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lieux communs (et autres fadaises)
8 juin 2008

nous vivons une guerre lente

ROME PLUTÔT QUE VOUS
de Tariq Teguia

Il y a plusieurs sortes de cinéastes : les raconteurs d'histoires, les montreurs d'images, les faiseurs de discours, et les essayeurs, qui n'hésitent pas à se colleter (souvent d'ailleurs pour la première fois) à la matière même du récit filmique, à sa forme, et qui n'hésitent pas à remonter les manches et à mettre les mains dans le cambouis. Tariq Teguia est de ceux-là.
Ils expérimentent, ils bidouillent, ils malaxent, ils étirent ils resserrent ils coupent et ils recollent. Ils déconstruisent, ou, au contraire, reconstituent. Ils sont libres, formellement, comme l'est le free jazz, comme l'est l'écriture automatique, comme le sont les improvisations. Mieux vaut tenter vivant que juste filmer mort.
En trois plans tout est dit : un travelling nocturne en caméra embarquée de bord de route bord de mer  crépusculaire, puis Kamel, face caméra, faisant des photos d'identité et sortant du champ après la deuxième, et Zina dans sa cuisine se préparant un café, en temps réel, et restant debout appuyée à la cuisinière, rêveuse et silencieuse, le temps qu'il soit prêt. Chaque plan, chaque vignette a son identité, son rythme, et génère sa façon de filmer propre. Plans d'ensemble, gros plan, travelling rêveur, plan séquence, caméra portée, plan fixe, toute la grammaire filmique est mise à contribution. Et à propos.
Un garçon, Kamel, une fille, Zina, puis un autre garçon, Merzak. Une certaine errance. Une ville aussi, Alger, grise, décrépite, étouffée, silencieuse. Un port, lieu de tous les possibles. Un quartier labyrinthique en démolition/reconstruction on ne sait plus bien. Et une (vieille) bagnole, empruntée par Kamel à son oncle. Toute la journée (tout le temps du film) Kamel cherchera Le Bosco, un marin, à la recherche d'un passeport, d'une identité, qui pourrait lui permettre de quitter le pays et d'aller voir de l'autre côté.
Intrigue suffisamment lâche pour permettre, autour, à côté de, de part et d'autre de cette "ligne principale" narrative, des tas de personnages, de petites histoires, d'interférences parallèles. Un jeune homme en t-shirt vert (je n'invente rien...) un autre en bleu de travail, un gros monsieur inquiet, un flingue, de l'argent qui change de mains, des flics arrogants... quelquefois, on n'en saura pas davantage de ces variations sur le motif.
Il y a des scènes muettes musicales belles juste pour elles (travelling nocturnes de bords de route), qui sandent le récit, des scènes réalistes étirées jusqu'à leur paroxysme (la visite à la Madrague, la scène avec les flics) et nous faisant alors vivre réellement la pénibilité de leur durée, et puis des scènes infiniment joyeuses et belles  : la "rencontre" dans la rue de Kamel et Zina avec la caméra qui leur court après ; une chorégraphie silencieuse entre chien et loup et deux mecs bourrés qui rentrent chez eux au petit matin (pourtant dieu sait si j'ai d'habitude horreur des scènes d'ivresse au cinéma, parce qu'elles sonnent faux la plupart du temps) ; une scène de danse à quatre filmée de très près ; la scène de plage  où passerait presque l'ombre -en couleurs!- de Stranger than paradise et  la partie de foot hâchée menu qui lui succède... Et, toujours, la ville, filmée comme une friche urbaine, lépreuse froide la nuit, ou au contraire diurne et surexposée et externe. Tariq Teguia filme sa ville, et la jeunesse comme pétrifiée, empêchée, de ses héros ("A Alger, tout le monde rase les murs...") avec une maîtrise assez sidérante.
A la fin,j'avais envie d'applaudir. D'ailleurs j'aurais pu, sans déranger personne. Parce que dans cette salle du bôôô cinéma, ce samedi-là à 18h, j'étais tout seul.

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