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lieux communs (et autres fadaises)
14 janvier 2012

patate chaude

LE CHEVAL DE TURIN
de Béla Tarr

Vu à la fin de l'année (dans un MK2 Beaubourg salle 3 complet), mis dans le top 10 mais à mi-chemin car malgré l'intensité du choc frontal esthétique, la sensation de durée excessive avait tempéré la dithyrambe, et revu hier soir pour la quasi-unique séance potable au bôô cinéma, avec le plaisir de le partager (le plaisir) avec quasi une vingtaine de spectateurs.
Avant la séance, quand je suis passé chercher Sylvain, je lui ai dit que j'avais le sentiment de me rendre à une cérémonie, j'avais du mal à trouver le terme exact,  quelque chose en tout cas qui avait à voir avec le partage et le recueillement, et, en effet, j'ai eu, dès le début, assez violemment les larmes aux yeux (même si cela s'est calmé assez vite).
Le fait d'avoir déjà vu le film présente, me semble-t-il certains avantages. (Je savais qu'il y avait six jours, je me remémorais la succession des "péripéties" -le voisin / les tsiganes / le puits / le départ / le retour / l'obscurité-, je savais déjà à l'avance les moments que j'allais davantage savourer, et ne les en savourais que plus...). Un tout petit peu inquiet au début (le premier) sur cette re-expérience de la durée, je n'ai eu ensuite qu'à me laisser porter...

J'aime ce noir et blanc, j'aime cette perpétuelle tempête de fin du monde à l'extérieur, tandis que ce silence à l'intérieur de la maison, j'aime la répétitivité de cette musique (il n'y a en tout et pour tout qu'un seul et unique thème, même si subtilement -imperceptiblement ? - décliné),lancinante, exténuée, j'aime cette façon de s'asseoir devant (et de regarder par) la fenêtre, j'aime la façon dont les acteurs habitent leurs personnages (ou plutôt dont les personnages sont habités par leurs acteurs, c'est vrai ce que disait Sylvain à la sortie, on ne les imagine pas -les acteurs- sortis de là, pouvoir faire autre chose, vivre autrement), j'aime cette quintessence de désespoir présentée comme une chose simple, quotidienne, allant de soi, j'aime autant le plan d'ouverure (le cocher et le cheval qui rentrent à la maison) que celui de la fin (j'avais écrit la faim, et le lapsus se justifie) avec ces ténèbres qui ont englouti le monde, le film, les personnages, et le cinéma en général, par la même occasion.
J'aime le monologue du voisin, je ne sais pas pourquoi puisque je ne comprends pas véritablement de quoi il parle, mais cette parole accumulée, fluante et refluante, "théâtrale", presque, me touche tout particulièrement, ce discours d'une noirceur désespérée, rythmé ressassé, (c'en serait presque de la poésie sonore), jusqu'à ce que le père le coupe d'un "foutaises..." sans appel.
J'aime ce mot de "palinka" (et j'aimerais bien y goûter, juste de façon osmotique sans doute).
J'aime ce extrémisme de Béla Tarr, cette façon d'aller jusqu'au bout du plan, et même parfois un peu plus loin, de l'exténuer.
J'aime cette volonté de dés-"iconiser" les plans, justement, par le contrepoint du langage, et , de la même façon, (dans un mouvement inverse) d'élaborer, à partir d'un matériau volontairement simple, rustre,  terrestre, misérable, un genre de cosmogonie baroque hallucinante, une célébration violemment lyrique.
J'aime ces feuilles qui volent, ces bourrasques continuelles, ce harcèlement sonore, ce microcosme du souffle et de la fatigue,sans fin.
J'aime ce lyrisme glacé, cette folle empathie du réalisateur pour ces (ses) personnages.

Ce film, incontestablement constitue un choc frontal (je l'ai écrit plus haut) à la fois esthétique et mental, et cinématographique, par la force et la rigueur de qu'il montre, et peut-être encore plus de ce qu'il ne montre pas. L'entre deux, l'après, le caché derrière, ou l'avant. On est tous sortis de la salle, me semble-t-il, comme secoués, touchés, admiratifs et sans voix... Tarr a annoncé qu'avec Le cheval de Turin, il tirait définitivement le rideau. Et ça laisse forcément des regrets...

19840106

 

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