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lieux communs (et autres fadaises)
12 octobre 2013

l'écrit et l'oral

LA VIE D'ADELE
d'Abdellatif Kechiche

Avec tout le battage qui avait précédé la sortie, je me suis dit qu'il fallait que j'y aille le premier jour à la première séance, après je risquais peut-être de changer d'avis. Mercredi, 13h45, donc, dans le bôô cinéma. Ce fut une bonne et une mauvaise chose. Une bonne parce que le film est vraiment excellent, et une mauvaise parce que
1) j'ai raté les premières secondes du film pour cause de trop de monde à la caisse et d'une seule caisse ouverte
2) le public de la salle était particulièrement désagréable et énervant : d'abord les deux vieux qui sont venus s'installer sur les deux sièges vides à côté de moi et qui commentaient la séance comme s'ils étaient dans leur salon et qui sautaient sur leurs sièges comme s'ils étaient victimes d'un exorcisme, et, surtout, surtout, les greluches (il n'y a pas d'autres mots tout en restant poli) qui se sont mises à ricanasser au cours de la première scène de sexe -puis, avec régularité et enthousiasme, à chacune des suivantes-, et par qui, visiblement, je n'étais pas le seul dans le public à être exaspéré.
Première constation : Adèle Exarchopoulos est absolument magnifique, ce que m'avait laissé entrevoir la bande-annonce. Tout (le jeu, la voix, la coiffure, la présence) est parfait et parfaitement juste. Je suis tombé sous le charme (et, le lendemain, au moment où j'écris ce post, j'ai encore son visage qui traîne dans la tête), ce mélange de candeur enfantine et de maturité assumée. Je me suis imaginé que les "chapitres 1 et 2" du sous-titre correspondaient à "avant Emma" et "après Emma", mais cela pourrait tout aussi bien être "Emma" et "post Emma" (en parlant d'Emma, Léa Seydoux est elle aussi excellente et mérite les couronnes d'éloges qui lui/leur ont été décernées, mais bon, elle, elle a déjà quelques films à son actif et pourrait donc être qualifiée de "plus pro" (donc ayant plus de facilité, ou plus l'habitude...)
Tout la "première partie" est absolument extraordinaire, filmée très prés de ces ados et adotes, en cours ou dans la cour, en situation d'"apprenants" (lisant  des textes et discutant avec le prof de français), ou plus souvent en "stabulation libre", avant les cours, après, à l'extérieur, tels qu'en eux-même et fort justement captés par le réalisateur dont on sent qu'il est extrêmement à l'aise dans cet exercice (on ne peut pas ne pas penser à L'Esquive ).
On suit donc le quotidien de cette demoiselle, en première L, ses copines (à cet âge-là on est encore grégaire, même si dans les conversations -entre filles- il est de plus en plus question de niquer (eh oui, on ne cite pas toujours Marivaux dans le texte). Adèle rencontre Thomas, au bout d'un certain temps ils "passent à l'action", laissant Adèle, comme celle-ci l'expliquera à un copain gay "insatisfaite" : "il me manque quelque chose..." Et puis il y a cette fille auc cheveux bleus qu'elle a croisée quelques temps auparavant et qui visiblement l'obsède, et puis il y a cette copine qui l'embrasse tout à coup et lui fait entrevoir autre chose. A tort ou à raison. Prise à parti par ses copines, Adèle se défend d'être lesbienne, même si Emma, rencontrée un peu plus tôt dans un bar gay, est justement venue l'attendre à la sortie des cours...
Au plaisir de la rencontre et de la découverte progressive de l'autre (les "affinités électives") va succéder la phase physique,  "sexuée" (le premier baiser, la première caresse, le premier "rapport", dans une longue scène, juste après la visite d'un musée -Emma est aux Beaux-Arts-, où le réalisateur nous donne à voir sans pudibonderie deux corps de femmes dans une  étreinte passionnée, furieuse et sonore. Embrasement, embrassements. De la peau, des courbes, des halètements, des empoignades... -ce qui provoqua l'incrédulité ou la gêne ricanante et répétitive des greluches de la salle (qui ne se manifestaient d'ailleurs qu'à ces moments-là)- tandis que moi -attention je vais passer pour un gros bourrin de pédé de base, mais bon j'assume- je me tortillais plutôt sur mon siège car les scènes entre deux femmes ne me passionnent pas (c'est même ce qui serait  le plus éloigné de moi, exclusif  dévoué que je suis pour "le corps des hommes" : au moins dans un rapport hétérosexuel de base, je peux être au minimum à moitié intéressé, tandis que là, libidinalement, rien de rien.)
Puis voilà que cette relation entre Adèle et Emma va tendre à s'officialiser (repas de famille chez les parents de l'une, puis de l'autre, soirée festive avec ami(e)s...) et s'enraciner de plus en plus. S'installer dans la durée. Les voici désormais habitant ensemble, partageant leur quotidien, qui d'institutrice, qui d'artiste-peintre, jusqu'à ce que...

Fin peut-être, du chapitre 1.

C'est vrai que dès le début, on a corrigé le discours en disant qu'il s'agissait "d'une histoire d'amour", avant tout, avant de préciser "une histoire d'amour entre deux femmes". Une histoire, qui, comme dit la chanson, fit mal, en général. une histoire simple, forte, belle, une histoire "normale". Une passion, de a jusqu'à z. La faute à personne, la faute à tout le monde, à chacune sa part de responsabilités. Et c'est vrai que cette histoire est rendue encore plus follement belle par ses deux actrices principales (qui, fait unique, furent palme d'orées en même temps que le film à Cannes), avec un petit gros faible de ma part pour la jeune Adèle E. (c'est d'ailleurs elle qui donne son titre au film, non ?). Chacune des scènes fonctionne parfaitement, dans son parti-pris de longueur, d'exhaustivité. Et j'aime cette façon de filmer au plus proche des visages et des corps, en captant le grain de peau, la respiration, les larmes, comme pour parvenir à capturer l'indicible.
Monsieur Kéchiche est très fort, quelles que soient ses méthodes de tournage, et les effets  sont bien au-delà de ceux que m'avaient produit La graine et le mulet, par exemple (que j'avais trouvé, par exemple, paradoxalement plus long que celui-ci). C'est très fort, ce discours cinématographique qui parvient à saisir avec acuité et tendresse ce moment de la vie qu'on appelle l'adolescence, et à brasser son rapport avec la découverte de l'amour, avec l'appropriation de la culture (principalement ce qui se lit, qui se dit, qui se joue et qui se vit), avec la construction d'une identité en même temps qu'une place dans le monde, dans la vie.
Croque la vie disait un vieux film de J-L Tachella, et c'est vrai que le bouche (d'Adèle) revêt dans le film une singulière importance : importance de tout ce qui s'y mange (spaghetti bolognaise, "grec", sucreries, huîtres, etc.) et boit, force de tout ce qui s'y dit (j'adore, je le redis, la voix d'Adèle Axarchopoulos), et même, au repos, cette façon enfantine et poignante -attendrissante- de dormir...
Honnêtement, la durée ne m'a pas du tout gêné (alors que j'avais trouvé la fin de La graine... furieusement interminale) et j'aurais même été prêt à découvrir quelques chapitres supplémentaires...

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