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lieux communs (et autres fadaises)
31 mai 2016

combustion inversée

ELLE
de Paul Verhoeven

Oui, je l'avoue, fouettez-moi, (je le mérite sans doute) : je n'ai jamais lu un seul bouquin de Philippe Djian (et je n'en ai absolument pas l'intention) mais par contre j'en ai vu plusieurs adaptations cinématographiques (re-fouettez moi : j'avais trouvé 37°2 le matin un peu ennuyeux... Aïe, pas si fort! ça fait mal toutes ces gifles...)
Et donc là j'allais voir (bôô cinéma, avec Marie, séance de "retraités") davantage Verhoeven+Huppert que l'adaptation de Oh!. Ceci étant posé, deux mots sur la salle, qui malgré le petit nombre de spectateurs (premier jour, première séance), s'est révélée franchement pénible, tout particulièrement ces deux cruchasses du dernier rang qui ont passé leur temps à ricanasser régulièrement et de très bête façon, à des moments qui soient les dérangeaient soit qu'elles ne comprenaient pas (ou peut-être encore qu'elles avaient le ricanateur coincé en position "on" et qu'elles ne pouvaient rien y faire, les pauvres), ce qui a encore compliqué notre "entrée" dans le film, déjà pas si facile que ça par nature.

Car ça démarre tambour battant par un bruit de verre brisé sur fond d'écran noir, suivi par des bruits qu'on identifie comme de lutte, avant que l'image ne nous révèle (on nous met à la place du chat qui assiste à la scène) qu'il s'agit d'un viol, et que c'est le personnage d'Isabelle Huppert qui en est la victime. Viol spécialement brutal, mais, qui, étrangement ne semble, par la suite, pas l'affecter plus  que ça. "Tiens...", se dit-on. Et on va ensuite, sur ses traces, faire la connaissance du petit monde dont elle est le centre de gravité (ou d'indifférence) : ses collègues (femme, Anne Consigny, et hommes, tous les autres : elle est éditrice de jeux vidéos, et elle règne d'une main de fer dans un gant de fer aussi sur tout son staff de jeunots geeks ou apparentés), son fils qui s'est mis en ménage avec une "folle" (dixit Isabelle H.) et aurait besoin d'argent pour louer son nouvel appartement, sa mère (Judith Magre, grandiose), qui se tape un magnifique et musclé jeune gigolo avec qui elle projette de convoler, son ex-mari, (Charles Berling) écrivain raté un peu dans la dèche, sa belle-fille (qui mériterait effectivement des baffes) et last but not least le couple des nouveaux voisins, elle très catholique (Virginie Efira), et lui (Laurent Laffite) qui ne l'est peut-être pas tant que ça... Ah j'oubliais, et aussi son amant, qui s'avère être le mari de sa meilleure copine.

Voilà que sont mis en place les pions de la partie qui va se jouer. Paul Verhoeven l'est très, joueur. Et il va bien jouer, avec nos nerfs, avec nos angoisses, avec le feu, avec nos santés, (on peut s'amuser à continuer la liste...). Sans quitter des yeux isabelle H, en suivant ses traces : Isabelle à la maison, Isabelle au travail, Isabelle au restaurant, Isabelle dans sa chambre, etc. Bon, il y a eu cette histoire de viol, qu'on a vue en ouverture, et qu'on reverra plusieurs fois sous plusieurs coutures, mais ce n'est pas le plus étrange (ou le plus dérangeant) dans la vie de cette femme : on dirait que tout le monde s'y met autour d'elle (à déranger, déraper, désaxer). Violences, menaces, manipulations, mensonges, provocations, tout se met en branle autour de l'épicentre de ce viol initial, comme une onde qui se propagerait, une onde de malaise (on se dit à chaque instant que le pire pourrait arriver, mais, en général, c'est autre chose. Ou pas.), insidieuse, omniprésente.

Comme souvent chez Verhoeven, il est question d'apparences (et de faux-semblants), de violence (et de sursauts), de rapports de force  (qu'est-ce que se soumettre ?), de manipulation (s), mais surtout, grandiosement, de mise en scène (celle du film tout autant que celle qu'utilisent les personnages). Isabelle Huppert démontre, sans donner jamais le sentiment d'en faire trop, qu'elle est absolument celle qu'il fallait pour crédibiliser ce personnage. Elle y est souveraine (c'est le qualificatif qui a surgi pendant la projection) mais les autres ne déméritent pas et sont tous au diapason (avec un bémolet, peut-être, pour celui qui est derrière la cagoule, mais ça n'engage que moi...).

J'en ai profité pour, après,  réviser la filmographie de Verhoeven (ceux que j'ai vus) : Turkish Delices, Spetters, Le quatrième homme, (Je l'ai découvert parce que, dans sa première époque, la hollandaise,chacun de ces films était un FAQV. A Hollywood, bien entendu, les choses ont changé...) Total Recall, Robocop, Basic instinct, Starship troopers, Black Book...Oui, Isabelle Huppert (enfin, le personnage qu'elle incarne) ne dépare absolument pas au milieu de cette galerie de créatures (a minima) et de monstres (a maxima). Ici ne se joue pas la démesure science-fictionnesque des effets spéciaux, mais tout ça n'en est que plus impressionnant. En faisant semblant de faire profil bas, simple, français, quotidien presque, Paul Verhoeven nous embobine divinement. Mine de rien, le terrain est aussi miné qu'il l'était, déjà, pour les personnages des films précédents. Où la réalité ne serait qu'un point de vue.

Double-jeu. Ou jeu à plusieurs niveaux : Il fabrique un personnage qu'il met en scène dans un certain environnement (selon des codes précis), et le souligne en faisant de ce personnage le créateur/concepteur d'un jeu vidéo qui apporte à la création de son personnage principal (une guerrière qu'on pourrait qualifiée de "très sexuée") le même soin que celui du réalisateur qui l'a créeé. (Mise en abyme, mise en scène, mise en condition). Il s'agit bien alors de programmation (dans le jeu, seul le concepteur en connaît à l'avance non seulement les rebondissements mais aussi le "but" final) mais le spectateur est un gamer captif : il n'a pas de manette pour jouer, il ne peut compter que sur son propre cinéma intime (cette capacité d'envisager le pire) pour l'aider à progresser jusqu'à la fin de l'épopée. Alors on joue le jeu, on lâche prise, on se laisse manipuler, on est ravi. Et quand game is over on peut reprendre enfin son souffle.

Le film est long en bouche (en tête, plutôt),  on y prend goût,  on le savoure, et à la fin il ne vous laisse pas  vous en sortir si facilement. On est pendant deux heures monté et descendu, sur le carrousel déglingué (déchaîné) sur lequel Paul Verhoeven nous avait ficelé, voire on aurait tourné en rond, mais qu'importe. Le train fantôme, le grand-huit, la galerie des miroirs, les autos-tamponneuses, c'est comme si on avait tout fait, sans même avoir besoin de boucler sa ceinture. Cinéma forain, cinéma malin, on est passé partout, oui, et on a un peu les jambes qui flageolent. Et il y en a une qui nous regarde partir (en réalité c'est le contraire, c'est elle qu'on regarde s'éloigner, mais ça revient au même) avec un  éclat de rire presque narquois. Du grand art.

302600

(euh... vous auriez le petit doigt en l'air, vous, à ce moment-là?)

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