supplément au CCCC24
(recopié -à ma demande - en 22 minutes par Pépin, je ne me souvenais que des derniers mots -en rouge- de la tirade de Florence)
L’Ainée
J’étais dans ma maison et j’attendais que la pluie
vienne.
Je regardais le ciel comme je le fais toujours, comme
je l’ai toujours fait,
je regardais le ciel et je regardais encore la campagne
qui descend doucement et s’éloigne de chez nous, la
route qui disparait au détour du bois là-bas.
Je regardais, c’était le soir et c’est toujours le soir que
je regarde, toujours le soir que je m’attarde sur le pas
de la porte et que je regarde.
J’étais là, debout comme je le suis toujours, comme
je l’ai toujours été, j’imagine cela,
j’étais là, debout, et j’attendais que la pluie vienne,
qu’elle tombe sur la campagne, les champs et les bois
et nous apaise.
J’attendais.
Est-ce que je n’ai pas toujours attendu ?
(Et dans ma tête, encore, je pensais cela : est-ce que
Je n’ai pas toujours attendu ? et cela me fit sourire, de
me voir ainsi.)
Je regardais la route et je songeais aussi, comme j’y
songe souvent, le soir, lorsque je suis sur le pas de la
porte et que j’attends que la pluie vienne,
je songeais encore aux années que nous avions vécues
là, toutes ces années ainsi,
nous, vous et moi, toutes les cinq, comme nous
sommes toujours et comme nous avons toujours été,
je songeais à cela,
toutes ces années que nous avions vécues et que nous
avions perdues, car nous les avons perdues,
toutes ces années que nous avions passées à l’attendre,
celui-là, le jeune frère, depuis qu’il était parti,
depuis que son père l’avait chassé,
aujourd’hui, ce jour précis, je pensais à cela, en ce
jour précis, je pensais à cela,
toutes ces années que nous avons perdues à ne plus
bouger, à attendre donc
(et là encore, peut-être, je me mis, une fois de plus, à
sourire de moi-même, de me voir ainsi, de m’imaginer
ainsi, et de sourire ainsi de moi-même me mena
vers le bord des larmes, et j’eus peur d’y sombrer)
...
(J'étais dans ma maison et j'attendais que la pluie vienne / Jean-Luc Lagarce)