illusions perdues (x2)
016
LES PROMESSES
de Thomas Kruithof
Au début elle marche. Juste elle marche. Clip clop clip clop le bruit des talons (je repense illico au début de Valley of love). Rien que ça, elle est magnifique (et elle continuera de l'être tout au long du film. Qui ça ? Mais Isabelle Huppert, bien sûr. Qui campe ici une mairesse dévouée à sa ville et à ses habitants, qui arrive à la fin de son second mandat (elle a annoncé qu'elle ne se représenterait pas), assistée de son dir'cab' Yazid (Reda Kateb, impérial comme d'hab') et de son adjointe Naidra (Naidra Ayadi), prévue pour lui succéder... Mais voilà qu'une sombre (et complexe) affaire de réhabilitation du quartier des Bernardins (pour laquelle ladite mairesse se bat depuis un certain temps déjà) va empoisonner (sous diverses formes) sa fin de mandat, pendant que certains rendez-vous seraient susceptibles de modifier complètement son avenir politique, à notre très chère mairesse... Entre les magouilles et tractations politico-politiciennes, les locaux insalubres, les habitants révoltés, les marchands de sommeil abjects, les huiles des partis qui veillent au grain, les ambitions personnelles, les amitiés (ou inimitiés) qui le sont tout autant, Thomas Kruithof nous monte, avec la dextérité d'un grand chef, une sacrée mayonnaise, goûteuse et bien assisonnée, et réussit l'exploit de romantiser toutes ces saloperies afférentes au(x) pouvoir(s). La distribution, de haut vol, l'y aide grandement (en plus des déjà nommés autour de la reine Isabelle, on peut ajouter Laurent Poitrenaux et Hervé Pierre, idoines dans l'onctuosité para-élyséenne, sans oublier le jeune Stefan Crepon, en dir'cab du Premier ministre (dont Emma a réussi à retrouver qu'on l'avait vu dans la saison 5 du Bureau des légendes). On suit ça comme un polar, un thriller, monté sans temps morts, passionnant jusqu'au bout (et Reda Kateb fait vraiment le job, et même davantage, et nous laisse une fois de plus admiratifs et sur le carreau...)
017
UNE JEUNE FILLE QUI VA BIEN
de Sandrine Kiberlain
Le temps d'un café (ou d'un chocolat) et on passe de Huppert à Kiberlain. (A Rebecca Marder, plutôt, puisque Kiberlain, elle est derrière la caméra, et Rebecca Marder, c'est Irène, la jeune fille qui va bien du titre.) On passe aussi des années 2020 à des années bien antérieures, qu'on aura d'abord du mal à dater précisément -et c'est fait pour- , le film est dans un premier temps, à dessein, très ambigu à cet égard. On est en 1942, pendant la guerre (qui restera, pendant tout le film, quelque chose de très vague, à la périphérie, hors-champ quasiment). Mais c'est la vie d'irène qui va nous intéresser dans un premier temps (et ce jusqu'à la toute dernière image du film) : elle trottine, papillonne, virevolte, elle prépare son examen d'entrée au Conservatoire (une scène de Marivaux), elle se chamaille avec son frère (Anthony Bajon), se confie à sa grand-mère (Françoise Widhoff), tient un peu tête à son père (André Marcon, cette famille est décidément miraculeuse), bref une demoiselle de seize printemps (tout juste comme l'était Suzanne Lindon, la propre fille de Sandrine Kiberlain, dans son propre film du même nom) dans toute sa jeunesse, sa beauté, ses élans et ses doutes (elle découvre l'amour et elle hésite). Le temps, qui était depuis le début comme "suspendu" va progressivement se préciser, des indices sont délivrés, avec parcimonie, il est question de l'obligation d'apposer en rouge le terme JUIF sur les cartes d'identité de chacun des membres de la famille (le père, fonctionnaire, se soumet, la grand-mère n'accepte pas, le frère trouve ça dégueulasse, et Irène ne semble pas prendre la pleine mesure de, justement, ces mesures bureaucratiques vichyssoises et immondes, toute à son effervescence théâtrale et amoureuse d'adolescente...
La caméra, à de rares exceptions près (le plan d'ensemble des vélos et des radios) reste très proche des gens, et se concentre sur l'intime, ce qui se passe à l'intérieur (une scène d'anniversaire sur le pas de la porte, belle à pleurer), et l'histoire de cette famille juive est sans doute un peu stylisée, idéalisée (la guerre est commencée depuis trois ans...), nous prêtant sur le film un regard qui ressemble à celui d'Irène (Rebecca Marder est vraiment magnifique) qui ne réalise pas tout à fait (ou ne veut pas se rendre compte) de ce qui est en train de se passer.
Jusqu'à la fin, inéluctable sans doute mais pourtant aussi renversante que brutale, par le choix de mise en scène qu'a fait Sandrine Kiberlain, et qui nous a laissés tous deux (Emma et moi) pétrifiés sur nos sièges... Dans le même élan de larmes (de la même façon que j'avais éclaté en sanglots à la fin de La guerre d'un seul homme, d'Eduardo Cozrainsky.)