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lieux communs (et autres fadaises)
17 décembre 2022

azeri

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AUCUN OURS
de Jafar Panahi

Je voue à cette homme une grande admiration, et j'étais donc là à la première séance dans le bôô cinéma.
Et j'ai été une nouvelle fois sidéré par l'intelligence de ce réalisateur, et la puissance de son "cinéma / non cinéma", la preuve au bout de quelques minutes à peine j'avais déjà les larmes aux yeux, et à la fin du film je les avais encore. Il y a chez moi ce symptome "physique" du fait que je suis particulièrement bouleversé par un film, ce sentiment de bonheur cinéphilique intense qui s'exprime par le fait que j'ai la sensation d'avoir le souffle coupé tellement je trouve ça fort (je pourrais nommer ça l'apnée admirative).
le Jafar Panahi du film a quitté Téhéran et s'est installé dans un village près de la frontière, où il loue chez l'habitant une sympathique piaule aimablement biscornue (la porte-fenêtre est tellement de traviole que ça en devient attendrissant). Il tourne aussi (à distance, les critiques m'ont appris que c'était en Turquie, moi je m'étonnais juste que toutes les femmes soient "en cheveux"), par ordinateur et réseaux de communication, un film sur deux amoureux qui veulent quitter Téhéran (?) (il vient de lui trouver un faux passeport, mais elle ne veut pas partir seule sans lui), mais comme le réseau laisse à désirer et que les communications sont souvent coupées, jafar P. s'occupe, et prend aussi beaucoup de photos, partout dans ce village où il réside (où il est "invité"). Et c'est justement une des ces photos qui va déclencher un esclandre villageois (on y est très attaché aux traditions ancestrales, mêmes si elles peuvent sembler complètement stupides, comme celle qui consiste à promettre une fillette à un époux au moment où on coupe son cordon ombilical...), dans un effet boule de neige plutôt plaisant. Le film alterne des séquences du film tourné par Panahi à distance et de ce qu'il est en train de vivre dans le village, (qui est un autre film), qui est censé être la "réalité",  et les deux histoires se télescopent, et interfèrent,  de façon de plus en plus intime et vertigineuse.
Il y a des moments particulièrement beaux, comme la longue séquence nocturne où le réalisateur lui apporte en main propre le disque dur externe contenant les rushes, et où ils vont tous les deux se rapprocher très dangereusement de la frontière, mais l'ensemble du film est de la même étoffe (comme dirait Shakespeare "celle dont les songes son faits"), et on ne peut pas s'empêcher de penser à l'ami Kiarostami, notamment pour tout ce qui concerne la chronique villageoise et le scandale à propos de "la" photo.
C'est remarquable comme les Iraniens (enfin, ceux du film) sont, a priori, aimables et souriants et polis lorsqu'ils sont en visite chez quelqu'un (ou lorsqu'ils reçoivent quelqu'un) : on salue, on se déchausse, on invite à entrer, à s'asseoir, on offre un thé, juste au moment où on ne donne pas à leur requête la réponse qu'ils attendaient et qu'ils se lèvent brusquement en refusant de boire le thé comme des goujats...
En apparence il n'est question que de cinéma et de photographie (et de traditions), mais Jafar Panahi est suffisamment rompu à l'exercice (et, par la force des choses,  coutumier du fait) qu'il sait magnifiquement en dire bien plus que juste ce qu'il montre. Le film a été tourné à la sauvette, sans aucune autorisation, avant les événements (la révolte) qui secouent le pays, mais aussi avant que Jafar Panahi ne soit incarcéré lui aussi, pour être venu témoigner en faveur de deux autres cinéastes qui l'étaient déjà, Mohammad Rasoulof et Mostafa Al-Ahmad.
Il a été condamné à 6 ans d'emprisonnement...

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