secret défense
THE SECRET LIFE OF WORDS
d'Isabel Coixet
Je ne vois pas comment je pourrais commencer autrement que par : "J'ai beaucoup aimé mais..."
Troisième film de la dame, je n'ai pas vu les deux premiers, et je m'y rendais donc à priori avec un enthousiasme modéré. Comme dit la pub, Y a que les imbéciles qui changent pas d'avis, et me voilà donc contraint de changer mon jugement d'épaule. Ca commence dès le générique, joliet, avec un double travail sur les graphismes (un poil chichiteux) et les mots eux-mêmes (je ne me suis pas aperçu tout de suite qu'il y avait à côté de chaque nom propre cité un autre mot, un nom commun, qui venait s'y accoller)... faudrait peut-être que je le revoie, hein ?
Une demoiselle blonde sourde et mutique (Sarah Polley) travaille dans une usine. Elle a l'air très malheureuse-mais-digne. On lui conseille de prendre des vacances (comme dit le patron "Je n'ai rien à vous reprocher, je suis content de vous, mais les autres se plaignent ; prenez donc des vacances !"). Elle en profite pour aller, non pas à Cocapacabana boire des tequila sunrise, mais sur une plate-forme de forage pour s'occuper d'un homme (ce grand machin de Tim Robbins) blessé pendant un incendie (qu'on a vu au prégénérique) et atteint de surcroit de cécité temporaire. Elle va s'en occuper avec dévouement. Ils souffrent tous deux à cause de quelque chose, ils ont tous deux vécu un trauma, qu'ils finiront par se raconter mutuellement, après un patient (et touchant) jeu du chat (aveugle) et de la souris (quasiment muette)... et plus rien après ne sera désormais comme avant.
Le film se divise en trois parties : avant (l'usine and co) pendant (la plate-forme) et après (re l'usine and co). C'est incontestablement la partie centrale la mieux réussie, la plus dense, la plus riche, les deux autres n'étant somme toute que des parenthèses, exposition et conclusion. Le début nous présente Hannah à travers sa solitude et ses bizarreries : elle coupe son appareil auditif, elle ne se nourrit que de poulet de riz et de pommes, elle stocke des dizaines de pains de savon qu'lle jette après s'être lavée avec une seule fois, etc... Elle parle très peu, semble confinée au dedans d'elle-même. Blessée. Attention, elle souffre, elle a souffert ! semble surligner le scénariste.
Tout se met en place dès son arrivée sur la plate-forme. La caméra semble tout de suite plus dans son élément, posée au milieu de ce microcosme, et ne va pas se priver de nous en faire profiter. Le lieu, d'abord, genre de porte-avions, en plus cubique et rouillé, avec ses coursives, ses cabines, ses ponts et son bastingage, comme un énorme oiseau métallique accroupi au milieu de la flotte et de nulle part ; ses occupants ensuite, une poignée d'hommes (hmm le fantasme de la promiscuité masculine en milieu clos...) plus ou moins archétypaux (le boss, le cuistot, les machinos, le scientifique...) que la réalisatrice prend plaisir à présenter et à mettre en place, par petites touches intimistes / poétiques / esthétiques, comme une toile de fond agréable, un papier-cadeau enveloppant le huis-clos stérilisé dans l'infirmerie entre le Grand Truc et la Petite Chose. Même si on peut regretter justement que ce background soit parfois traité un peu désinvoltement...
C'est sûr, Miss Coixet sait filmer. Composition, cadrage, éclairage, couleur, c'est nickel. Bon c'est vrai, l'eau c'est photogénique, les différents plans de la plate-forme idem, et quand elle a la bonne idée d'y rajouter des inserts comme une oie qui court, un cuisinier barbu (bon là il s'agit je l'avoue d'une esthétique strictement personnelle...),c'est plutôt plaisant à l'oeil.
Alors d'où me vient cette sensation de ... flottement ? Peut-être dans la résolution -un chouïa pataude mais c'est rien de le dire- du secret de l'héroïne. Plaf! on se doutait bien qu'il y avait quelque chose d'épouvantable caché derrière sa douleur silencieuse, mais la chose elle-même, et surtout la façon de nous la faire ainsi découvrir, narrée par la demoiselle, n'apporte rien, voire même plombe carrément la fiction. C'est dur d'en parler sans en parler tout en en parlant, mais je ne peux tout de même pas vous mettre tous les points sur tous les i!.
On dirait qu'elle a voulu en faire trop. C'est dommage.