Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
lieux communs (et autres fadaises)
17 juillet 2007

matelas

I DON'T WANT TO SLEEP ALONE
de Tsai Ming liang

(en guise de prologue) Où il apparaît que la vision d'un film est par définition subjective : alors que je sortais de la salle, après un générique parfaitement silencieux, tout embrumé encore de la vision du dernier plan, sublime, voilà que m'aborde une connaissance, qui me lance, en souriant, "Y en a marre de ces réalisateurs qui ne savent pas comment terminer leur film..." Je le regarde, étonné, pensant qu'il plaisantait, mais non. Je lui ai juste dit "S'il te plaît, ne me gâche pas mon plaisir" et  l'ai salué en tournant vite les talons, de peur qu'il n'en remette une couche...

Les films de Tsai Ming Liang sont lancinants, comme on le dirait d'une douleur, et celui-ci ne faillit pas à la règle. Bien au contraire. Oh, on est dès le départ en terrain connu, avec ces longs plans fixes (et la perfection des cadres qu'ils définissent), plans fixes que certains esprits chagrins pourraient qualifier d'interminables mais dont je dirai juste qu'ils sont pleins, Lee Kang Sheng, le complice acteur de tous les films précédents, est là aussi (et pas qu'un peu) ; on l'a connu mieux coiffé mais on comprendra pourquoi au générique de fin (je ne le suis pas très, fin, moi d'ailleurs!), les dialogues doivent tenir sur un demi-confetti (les trois protagonistes principaux ne s'adresseront d'ailleurs pas un mot de tout le film, où tous les dialogues prononcés sont d'ailleurs accessoires), et ce sont les chansons qui les remplacent (mais attention, on n'est pas chez Demy!), sans oublier l'eau, comme d'hab', (dans les films de Tsai Ming Liang, il est toujours question d'eau, sous une forme une autre : rivière, pluie, inondation, voire même sècheresse!), bref les amateurs (et j'en suis, j'irais même jusqu'à "inconditionnel") de son univers ne seront pas dépaysés...

Kuala-Lumpur, Malaisie. (Je me suis renseigné, vu que ce n'est mentionné nulle part dans le film, il est juste question de langue malaise et de monnaie malaise. Malaise, malaise, oui...) De la même façon que dans le film (et au générique), les personnages ne sont jamais nommés : comment les critiques  ont-il donc deviné comment ils s'appelaient ? ) C'est donc là que prend place le récit des péripéties (!) qui vont réunir sur le matelas de l'affiche un sdf (au centre), un ouvrier bengladeshi (à droite) qui l'a recueilli et soigné, et une demoiselle qui s'occupe de l'entretien d'un homme dans le coma (à gauche, donc). Le matelas a une grande importance, il est en somme le quatrième personnage du film (et, à ce titre, pas plus bavard que les autres) et on le verra d'ailleurs passer et repasser tout au long du film, porté par les uns ou les autres, d'un lieu à l'autre, d'une histoire à l'autre, crade et pesant toujours, comme la réalité.

Tsai Ming Liang possède le sens du cadrage, mais il a aussi, incontestablement, celui du décor, le plus impressionnant ici étant sans conteste ce bâtiment abandonné où vivent les ouvriers, dès le début à demi submergé (et je ne vous raconte pas l'état à la fin!), prétexte à de bluffants reflets architecturaux dans une eau parfaitement immobile, lors de plans d'ensemble qui viennent aérer un récit (plutôt moite et confiné d'ailleurs) en général proche de (et attentif à) ses personnages, mais toujours avec le plus grand raffinement dans la composition. Il nous parle de pauvres (on est vraiment chez les prolos,  comme ceux de Still Life, de Jhia-Zang-Khe) mais dont il transfigure en quelque sorte le quotidien asphyxié et oppressant...

Et il y a l'amour... Sans un mot, sans une déclaration, juste des gestes, des regards, des actes... "Il n'y a pas d'amour, il n'y a que des preuves d'amour..." Yes, c'est ça, juste ça.Transporter un blessé, le soigner, le coucher, le nourrir, le laver, le regarder dormir, (j'ai pensé à cette nouvelle de Théodore Sturgeon Parcelle brillante ou un attardé mental recueille une prostituée qui s'est fait agresser, la soigne avec dévotion, et quand, elle est guérie et veut s'en aller, la retape un peu sur la tête pour pouvoir la soigner et l'aimer à nouveau...) L'ouvrier et le sdf, donc. Mais c'est un amour qui reste virtuel (hmm je connais ça, j'ai l'habitude, je suis en terrain de connaissance!), dans l'intention, juste dans la douceur d'un regard ému et bienveillant face au corps de l'autre (j'apprends sur allociné qu'il devait y avoir à l'origine une scène d'amour physique entre les deux mecs mais que l'acteur non professionnel qui interprète l'ouvrier n'a pu accomplir, étant musulman et arguant que l'homosexualité est un péché... Hmmm tout ça me navre un peu) Puis le sdf et la demoiselle. Qui eux feront l'amour. (Masque respiratoire inclus). Puis re-les deux garçons (la scène de la boîte de conserve, où une pulsion de meurtre (jalousie ?) se termine en caresse silencieuse, m'a laissé, vous vous en doutez, les yeux rouges et le coeur chaviré, midinons, midinons...), et finalement tous les trois, endormis en silence, en image fixe. Trois corps sur un matelas.

Car il y a les corps. Tout au long du film. Les corps de mecs, d'ailleurs, (moins réalistement prolétaires que ceux de Still Life, oui j'y reviens encore ) surtout, torses nus la plupart (il fait si moite, je l'ai déjà dit). Je ne voudrais pas avoir l'air de prêcher pour ma paroisse, mais c'est un fait que le réalisateur les filme sacrément bien, amoureusement je dirais, (avec cette prédilection qu'on lui a déjà connue pour les mecs en slip blanc d'ailleurs). Le corps désirant et le corps désiré, mais comme chantait Gainsbourg l'amour physique est sans issue... Le corps est ce qui reste, ce qui subsiste, même quand la conscience l'a abandonné (et que la demoiselle s'occupe de la toilette d'un jeune homme dans le coma répond, comme en écho, aux soins que prodigue l'ouvrier au corps inconscient et meurtri du sdf). Le corps qu'on lave, qu'on soigne, qu'on caresse, et souvent qu'on désire, qu'on appréhende, en tout cas qu'on regarde, à défaut d'oser (mais hmmm je m'emballe je m'emballe et je m'éloigne du sujet) bref l'intime et l'infime (ne l'ai-je pas aussi déjà dit ? je suis bien vieux et je radote...)

Il y a, dans chaque film de ce réalisateur (c'est pénible d'écrire toujours Tsai Ming Liang, d'ailleurs je ne suis même pas sûr de savoir où est son prénom, il semble que le Tsai soit le nom de famille, non ? vaut-il mieux dire Tsaïchounet ou Ming-Liangchounet?) une scène qui met mal à l'aise, une scène difficilement supportable, ou, en tout cas justifiable (dans La pastèque c'était  la scène de la fin, dans The river c'était la rencontre au sauna...) et elle a toujours à voir avec le sexe. Ici c'est celle dite "de la branlette",d'ailleurs, fausse pudeur,  filmée indirectement, un reflet dans un miroir piqueté,  scène dont la "violence" confine au grotesque (mais bon je suis une petite chose fragile...), et où le bruitage en rajoute encore dans le glauque... Mais peut-être finalement votre serviteur n'est-il qu'un moraliste rigoriste et luthérien qui s'ignore ? Chassez le naturel...

Bref (!)  le film est long (d'ailleurs je l'avoue -smiley rosissant- j'ai un tout petit peu décroché à un moment, la mise en place de l'idylle du sdf et de la demoiselle, comme par hasard, Tss tss!), il est exigeant (mais pas d'une exigence prétentieuse comme chez certains), il est sans compromis, il n'est certes pas très facile d'accès, mais recèle en son obscurité humide, en sa désespérance nocturne, en son son mutisme délibéré, des instants fulgurants de beauté, sublime, suffoquante.

18767084_w434_h578_q80

Commentaires
C
... mais on m'a quelques fois déjà reproché (à juste titre ,) d'en abuser... mais c'est vrai que j'adôôôre!<br /> :o)
Répondre
K
J'adore tes parenthèses! ^^
Répondre
C
Je vois qu'il y en a qui suivent... Eh bien figure-toi que normalement il est en salle à Besançon à partir de DEMAIN !(mais je ne sais pas encore à quels horaires...)
Répondre
Z
quand est-ce qu'on va voir le Apichatpongounet ? hein ?
Répondre
Archives
Newsletter
Visiteurs
Depuis la création 384 924