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lieux communs (et autres fadaises)
2 novembre 2016

décisionnaires

MOI, DANIEL BLAKE
de Ken Loach

Working class hero. En 1974, j'étais en terminale et je découvrais le cinéma, et en cours de philo ma copine Freddy m'apportait des critiques du Monde. C'est là que j'ai entendu le nom de Ken Loach pour la première fois, à propos de Family Life (avant de découvrir le film, glaçant, quelques temps après). C'est dire si on se connait depuis longtemps... J'ai vu presque tous ses films, au fil des ans. Des fois j'ai beaucoup aimé, d'autres j'ai beaucoup dormi. Loach c'est la capacité d'indignation, les petites gens, les années Thatcher, les syndicats, les services sociaux, la mouise, le pub, les tasses de thé et les fish & chips, bref une certaine idée de la Brittonitude, qui me touche toujours autant. Un genre de maître-étalon de. Et c'est vrai qu'il avait dit qu'il arrêtait après son avant-dernier film, et c'est vrai que j'avais un peu ronchonné à l'annonce de sa Palme d'Or à Cannes 2016, en me disant qu'il y avait sans doute plus jeune et plus original à Palmer...
Et bien je retire tout ça. (Y a que les imbéciles, etc.) Le film m'a bouleversé, d'un bout à l'autre. C'est du Loach pur jus, n'y manquent pas un bonnet ou un sac-poubelle (ou un formulaire de l'agence pour l'emploi). Du cinéma "social", attentif, indigné. Autour d'un homme plus tout jeune (lui, Daniel Blake) en arrêt maladie après un accident cardiaque, que son médecin n'autorise pas à reprendre son job, mais à qui, suite à un "questionnaire de santé" on décide de sucrer sa pension d'invalidité, et qu'on oblige à s'inscrire au chômage, et à prouver qu'il le mérite bien, son chômage, en rédigeant des cv et en sollicitant des emplois qu'il n'est pas autorisé (par son médecin) à prendre. Un vrai parcours du combattant, l'administration dans toute son imbécillité rigide, ses règlements abscons, ses formulaires, ses fourches caudines, sa lourdeur et ses complications ubuesques, sa paperasserie kafkaïenne...
Rien ne sera épargné à Daniel Blake, y compris la glissade inéluctable vers une précarisation parfaitement intolérable. Au début du film, il a sympathisé avec une mère de deux enfants, récemment parachutée à Newcastle par les services sociaux londoniens, dans ces mêmes locaux de l'agence pour l'emploi, en intervenant en sa faveur, justement, face  à la bureucratie tatillonne qui la menaçait de sanctions parce qu'elle était en retard de  dix minutes à ce premier rendez-vous ("Il y a des règlements...").
Dans les films de Loach, il est souvent question de pauvres. Et de gens qui s'entraident. Et Daniel va sympathiser avec la jeune femme et ses deux enfants. Et ils vont s'épauler. Les factures impayées, la faim, les restaus du coeur (ou leur équivalent anglais), la démerde, la quête de petits boulots de merde, bref, la "joyeuse vie" des petites gens en Grande-Bretagne aujourd'hui. C'est comme si Ken Loach nous retournait la caméra dans la figure, nous tapait sur l'épaule en disant "depuis 1974, vous voyez, ça n'a pas vraiment changé...".
C'est important de le dire, de le redire, de le montrer, d'enfoncer le clou... (Et si quelqu'un me parle de pathos, je lui donne une gifle. j'ai déjà été suffisamment agacé par la critique dans Libé : "jusqu'au-boutisme alarmiste fictionné en trémolos narratifs", ou le  méprisant dézinguage de Pr*mière : "il s'agit tout simplement d'un ratage, un vrai, qui s'inscrit dans la continuité de ce que produit le réalisateur anglais depuis une décennie". Pffff...)
Ken Loach n'a rien inventé. Il n'a fait que condenser dans son film un certain nombres d'éléments. C'est vrai qu'on pourrait presque le taxer d'angélisme (les  pauvres et leur sens de l'entr'aide inné) mais je préfère ça mille fois au dolorisme stigmatisé par d'autres journaux. Le constat est terrible, et l'impuissance aussi. Déshumanisation (inhumanisation serait encore plus juste) des prolétaires. Ken Loach, à quatre-vingt ans continue de les observer et de les montrer, et alors ? On reconnaît bien le droit à Woody Allen, à ce même grand âge, de continuer à se polariser sur les états d'âme des bourges blancs friqués de New-York (et là, critiques de s'extasier...), non ? Chacun son truc, hein...
Je ne vais pas cracher dans la soupe, ne me voilà pas soudain devenu une pasionaria du cinéma ouvrier militant pur et dur, le cinéma pour moi  n'est pas que ça, mais c'est aussi ça. Il y a eu par le passé des films de Ken Loach qui ne m'ont pas enthousiasmé, celui-là si. Le droit au respect, il est aussi valable pour Moi, Daniel Blake. Comme il l'écrit (Daniel) dans sa lettre finale (que je cite de mémoire) "un être humain, un citoyen, ni plus ni moins".

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