THE HOST
de Bong Joon-Ho
Cet homme-là est très fort. Après un étrange et très beau polar sans assassin démasqué à la fin (Memories of murder), le voilà qui s'attaque à une très ancienne spécialité asiatique : le film de monstre. (Ah, Godzilla, Mothra et compagnie...) Mais attention ici pas de carton-pâte, pas d'animation rudimentaire, pas de transparences risibles, pas de mouvements ridiculement saccadés : la bestiole est assez hallucinante de réalisme (et parfois assez dégueulasse aussi, donc.)
La créature en question, dont la genèse est montrée assez rapidos en deux séances d'ouverture (un: le vilain savant qui oblige son sous-fifre à jeter dans l'évier -et donc dans le fleuve- des bouteilles et des bouteilles de formol dangereux sous prétexte qu'elles sont poussiéreuses ; deux : deux pêcheurs, quelques temps après, voient filer dans l'eau, du même fleuve, une drôle de petite bête) la créature, donc (je le rappelle, le sujet étant situé juste en début de paragraphe, très loin) nous est montrée très tôt, d'abord sous la forme d'un machin noir bizarre suspendu à un pont (un genre de cosse, comme dans Body Snatchers) qui va ensuite -splaouch!- plonger dans l'eau, pour réapparaître sur la berge quelques instants plus tard, grosse bébête avec une gueule béante en ouvertures superposées à la Alien (qu'on peut supposer d'une haleine assez strong) qui court -plaf plaf!- avec ses grosses papates à la Jurassic Park pour attraper des gens et les bouffer (elle est également munie d'une queue préhensile genre tentacule), et qui est capable d'accomplir des prouesses encore plus athlétiques qu'au championnat du monde de gymnastique sur pont (elle est très forte pour apparaître sur l'écran du côté où on ne l'attendait pas du tout), ce qui va provoquer sur le champ (sur la berge, plutôt) des scènes de paniques assez intenses.
Dans le même temps, le réalisateur a réussi à nous présenter toute une famille : le père tient un snack au bord du fleuve, il y vit avec un de ses fils (narcoleptique et teint en blond, et considéré par les autres comme un peu demeuré) et son adorable petite-fille, Hyun-seo (la fille du précédent). Il y a aussi une grande soeur championne de tir à l'arc (mais qui ne remporte que la médaille de bronze parce qu'elle est trop lente) et un autre frère "diplômé mais chômeur", et donc aussi un peu alcoolo sur les bords. (Non non, y a pas de maman, c'est comme ça.)
Tous sont aux premières loges lorsque la créature apparaît, et aussi lorsqu'elle emporte Hyun-seo, la fillette. Comme ils ont été exposés et que les pouvoirs publics veulent les mettre en quarantaine et les analyser par tous les bouts par crainte d'un virus mystérieux que le contact avec la créature aurait transmis, les voilà tous en fuite, poursuivis par l'armée et les flics, pendant qu'eux cherchent désespérément à retrouver leur petite Hyun-seo, dont on sait assez vite (merci les téléphones portables)qu'elle est toujours vivante, et que la bestiole l'a déposée dans un des égouts de la ville.
Le film va ensuite osciller entre ces trois pôles : les pouvoirs publics, la famille, et la petite fille, comme il va zigzaguer entre plusieurs genres : le fantastique, la comédie, le pamphlet. Je ne peux pas en dire plus (c'est presque déjà trop, là!) sachez que je trouve que c'est vraiment ça se goupille au petit poil. L'histoire n'est pas neuve mais Bong Joon-ho a su la rafraîchir, l'actualiser, et l'assaisonner à sa petite sauce personnelle. La créature est vraiment impressionnante, et on a le sentiment que chacun des membres de la famille existe vraiment, tant ils sont croqués avec précision , mais pourtant avec économie. C'est très bien filmé. Et on peut indifféremment suivre l'histoire en choisissant de rester au rez-de-chaussée de la narration (La petite belle et la grosse bête) ou bien faire son malin et se prendre un peu la tête pour y voir un peu plus, que ce soit à propos du couple et de la famille, voire, en élargissant, à propos de la Corée d'aujourd'hui et de ses rapports avec Les Zuhessa, par exemple... Bref, à tous les degrés, à tous les étages, y en a pour tous l'égout!
Mais Bong Joon-ho ne force jamais le trait, que ce soit dans des moments dramatiques ou dans des moments plus drôles (ou même dans des moments dramatiquement drôles), et ce gars-là est vraiment très fort pour les ruptures de ton, les passages d'une émotion à l'autre dans un même plan, les surprises filmiques (où vous mettez quelques secondes avant de comprendre le sens exact de la scène). C'est tenu, abouti, maîtrisé. C'est bien plus qu'une énième histoire de monstre, et bien autre chose qu'une simple chronique familiale. Je le répète, j'aime beaucoup sa façon de filmer, au monsieur. Les morceaux de bravoure ne manquent pas, mais j'ai une faiblesse pour une très longue scène de pluie (chez Resnais il neige chez Bong Joo-ho il pleut), qui fonctionne magistralement
Bon, évidemment, vous vous en doutez, la méchante très méchante bébète va y passer, parce que la famille entière aura su se mobiliser et réussi à unir ses efforts à la fin, mais euh... elle ne sera pas toute seule, quelques autres hélas y auront laissé des plumes (je préviens charitablement les âmes sensibles...) La parenthèse est bouclée, tout est calme en apparence. Quoique... Mais bon, si je vais un jour en Corée, j'y regarderai à deux fois avant de tremper les pieds dans le fleuve Han...