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lieux communs (et autres fadaises)
23 septembre 2015

mécaniciens

LA PROMESSE
de Hubert Mingarelli

De retour à mon Intégrale Mingarelli après une parenthèse estivale, et, surtout, la non-lecture de Marcher sur la rivière, que je n'ai pas réussi à terminer, bien que je l'aie repris plusieurs fois (je crois bien que l'Afrique me désintéresse).
Et retour triomphal. Car cette Promesse est un grand Mingarelli.
Même pas 140 pages, mais des émotions de lecture aussi intenses que celles que m'ont procuré Réparer les vivants (dont il faudra que je parle ici) avec pourtant des moyens plus simples, un style moins flamboyant. La minutie de Mingarelli, son minimalisme pourrait-on dire.

Un homme en barque sur un lac. Avec une boîte dans sa poche. Il s'appelle Fedia, il se rappelle qu'il a été marin, et qu'il avait un ami prénommé Vassili, à l'école de mécaniciens qualifiés. Et tandis que la barque progresse au fil de l'eau, que la journée passe, Fedia se remémore l'histoire de son amitié avec Vassili...
C'est très fort parce que c'est très simple. Aussi simple que ça. on est incontestablement dans  un univers familier (pour les lecteurs de Mingarelli). Deux hommes (et quelques autres, satellitaires), deux marins à terre (Hommes sans mère) qui hésitent entre aller voir les Polonaises et rester assis entre eux sur la jetée. Un père et son fils, aussi, en filigrane (comme dans beaucoup de romans de l'auteur). Des conversations minimales. Un récit fracturé d'ellipses. Des émotions ressenties mais non dites, comme si à peine effleurées. Tout ce que j'aime chez Hubert Mingarelli.

Une pudeur virile, comme la surface de l'eau qui en laisse juste deviner la profondeur sous la coque du bateau, et empêche d'appréhender pleinement ces sentiments qui filent dans l'obscurité. L'amitié entre Fedia et Vassili est tellement intense qu'elle pourrait aussi bien s'appeler de l'amour, si elle l'osait, si elle osait en prendre conscience.
Cette amitié romanesque est si forte qu'elle fait venir les larmes aux yeux. on serait presque jaloux de ces deux-là (on c'est surtout moi) d'autant plus que ce sont des choses tellement simples qui la matérialisent : une maquette d'avion, des boîtes de conserve, des cigarettes, un tas de bois, des couvertures. Et même un joint, tiens, fumé à deux dans la nuit face à la mer. On rêve d'avoir un ami comme ça (on c'est encore moi), et le livre m'a fait revenir d'autres feux de bois dans la nuit et d'autres joints partagés (nostalgie).
Fedia rame, il se parle de temps en temps (toujours aussi simplement), et toute son histoire est résumée, finalement, dans les cendres contenues dans la petite boîte en carton qu'il garde dans sa poche, et qu'il a emportée en vue de ce jour précis. (de cette nuit, plutôt, et du reflet de la lune dans l'eau).

Et c'est -tout simplement- beau à pleurer (je me répète mais j'insiste).

minga promesse

22 septembre 2015

c'est la rentrée (littéraire)

Dilemne...
J'avais un chèque-cadeau à utiliser, et je ne trouvais rien d'assez bien...
J'ai erré longuement au rayon "nouveautés" et donc "rentrée littéraire", mais je n'arrivais pas à me décider... Pas de coup de foudre indiscutable, comme s'il ya vait eu, disons... un Jean Echenoz, un  Rick Moody, un John Cheever, un Richard Yates...
J'en ai tenu plusieurs, successivement, j'ai lu les quatrièmes de couv', j'ai hésité et finalement je n'ai rien pris.
Ce n'est qu'en rentrant chez moi, le soir, que j'ai regretté de ne pas avoir pris Les amygdales, le premier roman de Gérard Lefort. (Ah, les regrets les regrets les regrets... air connu). Quand je suis revenu au magasin, deux jours plus tard, je me suis précipité dans le même rayon, je savais ce que je voulais, et, ô chance, je le trouve illico, posé en travers sur la pile d'exemplaires d'un autre roman publié aussi à L'Olivier. Un seul! Et de traviole, il m'attendait, et je l'ai donc pris (je l'ai tenu, ensuite, pendant un certain temps, cherchant un autre volume pour l'apparier afin de dépenser exactement le montant du chèque cadeau, mais hélas je n'ai rien trouvé d'autre d'aussi bien... il y avait bien le bouquin de Delphine de Vigan qui m'appâtait, mais bon, il y en avait au moins une pile de 25, et j'ai horreur de faire comme tout-un-chacun, surtout pour les livres, et je ne l'ai donc pas pris.)
Je suis sorti avec mon petit roman, dans mon petit sac, avec un joli bandeau Gérard Lefort écrit en blanc sur fond bleu, assez joyeux. Du bouquin je ne savais strictement rien, à part son titre, et le fait que j'ai toujours pris un énorme plaisir à lire les chroniques de Gérard Lefort (surtout les critiques de films, qu'il devrait bien rééditer, comme le fit en son temps Jean-Louis Bory (? non non, j'ai dit ce nom-là comme ça, presque par hasard...). Je ne l'ai pas ouvert tout de suite, d'ailleurs, j'en avais un autre à finir. Et j'ai vu entretemps une chronique qui en parlait, dans Libé justement, dont le titre m'a semblé hélas un poil trop révélateur (je ne l'ai donc pas lue en entier).

Je l'ai donc entamé hier. Il est question d'un enfant. D'une enfance, plutôt, de l'enfance d'un garçon racontée par lui-même. Il faut bien un ou deux chapitres pour se mettre dans le bain, à bonne température. L'écriture, le style, je les connais, je m'en suis toujours régalé (cf plus haut), mais là il s'agit d'autre chose. Un roman, une fiction (pas question d'auto-) dont la  construction évoque, assez vite, celle d'une autre enfance romanesque (mais, elle très auto-, justement) célèbre : le Poil de carotte de Jules Renard. sauf que l'enfant depapier ne sera, ici, jamais nommé. Une suite de chapitres courts, chacun avec un titre court (les amygdales en est un, justement), qui ne constituent pas une narration strictement chronologique -on pourrait les permuter-, mais plutôt une série de vignettes, d'instants, de madeleines, d'épiphanies (chacun les nommera selon son envie). Et qui  comme les madeleines justement, ou les chocolats, ou les pistaches,  quand on met le nez dedans, se révèlent assez vite terriblement addictives. Une première juste pour goûter en appelle une autre qui à son tour, etc.

le seul regret que j'aurai à propos de ce bouquin, c'est qu'il est trop court (288 pages), j'en aurais voulu plus, encore et encore.

Car tout ça me plaît d'autant plus que c'est un gamin dans lequel je me retrouve, au moins à double titre : d'abord parce qu'il lit beaucoup et, par cette appréhension livresque du monde, il s'est donc construit un univers fantasmatique très riche et flamboyant, passionné, dramatique, violent, romanesque (le naufrage du Titanic, par exemple, y occupera un chapitre de choix), mais aussi, -et surtout-, parce que cet enfant éprouve une fascination (que j'ai aussi ressentie très tôt) pour un objet qui m'est toujours très cher, le corps des hommes (et, donc, l'amour des hommes aussi).

Les amygdales se compose de 5 parties, au début on se demande pourquoi, puis on réalise qu'on pourrait les qualifier de concentriques (ou d'oignonesques) par cette façon qu'elles ont de faire progresser le lecteur de l'extérieur "réel" (la famille, les événements) vers l'intérieur -de plus en plus intimement-. Ca commence par le chapitre intitulé La maison et ça se clôt (ou s'ouvre, justement) sur le chapitre intitulé Le paradis. Le gamin des Amygdales est un héros de fiction, mais doit avoir avec son auteur  les points communs les plus intimes (le goût des hommes tel qu'il est dépeint, ça ne s'invente pas, d'une façon aussi juste -et réjouissante-, non ?) . Comme tout bon (jeune) lecteur, il s'identifie aux héros de ses livres ou des récits des faits divers, il les incarne, il les joue, il les accommode à sa sauce, il les fait vivre (et parfois mourir) au gré de ses envies. C'est drôle, tristounet, juste, exagéré, tendre, vachard, troublant... Bref, j'ai adoré ça.

En plus, Lefort aime les énumérations (moi aussi, ça tombe bien!)

Un livre à ranger au rayon (pas si fourni) des livres qui parlent, justement, de l'enfance, par fragments : Poil de Carotte, donc, déjà évoqué, et Les Contes du Chat perché, l'Opoponax, Le Grand Cahier, Le Crispougne, Les Malheurs de Sophie (oui oui!). On a souvent évoqué le vert paradis des amours enfantines, il faudrait voir à ne pas oublier celui des cruautés du même nom (ça va forcément avec, non ?) Chapeau, Gérard!

lefort

29 juin 2015

notes

LES FAUSSES DENTS DE BERLUSCONI
de Jacques Drillon

Celui-là, il me semble bien que, l'avant-dernière fois que j'étais allé fouiner chez Gibert J (dans les occases pas chères, et très mal rangées, à l'extérieur du magasin) que je l'avais tenu, feuilleté, et, -j'ignore pourquoi- finalement reposé. Je dis bien "il me semble", mais là, à 2,50€, je n'ai vraiment pas hésité longtemps.
Je connais depuis longtemps Jacques Drillon par un seul livre, le délicieux (et trop court) Livre des regrets, paru chez Actes sud il y a ... très longtemps (et qui m'avait, d'ailleurs, été recommandé par Philou), livre qui ne pouvait que me plaire, puisque déclinant à la façon du I remember de Joe Brainard l'expression Je regrette...
Je me rends compte, en lisant la bibliographie  (qui nécessite une page en début de volume et une autre en fin) de Jacques Drillon qu'il en a depuis, écrit, une flopée, une palanquée, et qu'il n'est pas uniquement passionné de musique (comme je l'avais cru en lisant Le livre des regrets, mais faudrait peut-être alors que je le relise) mais volette, tel le joyeux et insouciant papillon, de fleurs en fleurs telles que la ponctuation, la conjugaison, les figures de style, la grammaire, les artistes, les hommes politiques, les mots croisés, l'érotisme même... tous sujets que ces Fausses dents de Berlusconi abordent, en italique et en grand nombre (il s'agissait à l'origine de 1003 post-it).
Ici, pas de formule récurrente, juste des notes, (pour un amteur de musique, hihi) sans hiérarchie, de taille variable (de juste quelques mots à presque quelques pages) et de hauteur différente (de la plus terre-à-terre à la plus érudite, de la plus prosaïque à la plus formaliste, mais, cela, l'auteur le revendique dans son prologue Pro domo.) Où chacun (des lecteurs) est susceptible de trouver de l'intéressant et du moins, du drôle et du moins, de l'inédit et du moins. Un livre de chevet, en somme, qu'on peut avoir pendant très longtemps sur sa table de nuit pour pouvoir l'ouvrir (le parcourir) tout à loisir.
J'adore ces livres en pièces, en fragments, en notations (je commence à en avoir un certain nombre sur ma petite étagère), l'avant-dernier du genre était les pierres qui montent, d'Hédi Kaddour, découvert tout à fait par hasard (et le tout premier je crois Le poids du monde, de Peter Handke). Je suis très sensible à ces accumulations de formes brèves. Je les recherche, même, en feuilletant les livres sur les éventaires des libraires et des bouquinistes. On peut aussi ranger dans cette catégorie une grande partie des Journaux d'écrivains (dont je n'ai pas lu énormément).
Drillon est un observateur  documenté, précis, (à la loupe, ou, mieux, au microscope),  aussi bien des gens (le plus souvent des artistes) que de ce qu'ils écrivent, ou disent. Un observateur (un défenseur) de la langue juste -écrite et/ou parlée-, un grammaturge (ce mot fut inventé, le concernant, en compagnie d'un autre qu'hélas je ne retrouvai jamais, pour un projet de ce post que je fis un matin que j'étais allé me recoucher, à ce moment instable où l'on bascule dans le sommeil, en étant encore un tout petit peu conscient, et me fit sourire de ravissement). Il s'agit souvent - concernant les gens- d'anecdotes, de détails, de faits précis, d'éléments remarquables. Des écrivains, certes, et des musiciens. Et c'est vrai que finalement, en relisant, je réalise qu'il est beaucoup plus question de musique  que du reste (toute une série de blagues d'altos qui devrait réjouir mon ami Zvezdo).
Un livre, précieux, élégant, érudit, drôle (et vachard).

drillon berlusconi

28 juin 2015

les nourritures terrestres

LE BEL APPETIT
de Paul Fournel

Celui-là, j'en avais tellement envie (après l'avoir vu chroniqué dans Libé, me semble-t-il... à moins que Téléramuche ?) que je me le suis offert, à la librairie, en vrai, au vrai prix, et tout et tout.
Un livre qui se déguste, vraiment. un bel objet, lourd et crème, dense comme un "vrai" pain. Appétissant et délicieux (et apéritif) puisqu'il parle d'aliments, de nourriture, de recettes, de façons de faire et façons de manger sous forme poétique (parfois libre, parfois versifiée, parfois rimant et parfois non, et ce n'est que plus agréable de le déguster, deux pages par deux pages (c'est la longueur moyenne accordée à chaque thème), de le savourer, de picorer dans la table des matières ou de le lire en suivant (au menu ou à la carte, c'est selon).
Mais il en va des textes (jai horreur du mot poèmes, et pourtant c'en sont) du Bel appétit comme il en va des choses appétissantes et de petite taille, disponibles et offertes en grand nombre (cerises, chamallows, calissons, noix diverses, crocodiles Haribo,  fromage râpé, fraises des bois, lardons, apéricubes, chips, pralines) : une certaine addictivité répétitive : on en goûte une, puis une autre, qui en appelle encore une autre, on a du mal à s'arrêter, le compulsivement n'est alors jamais loin.
Puisque le sieur Fournel est tout de même un oulipien en chef, on se dit forcément qu'aucun de ces textes n'est -formellement- aussi anodin (banal, simple,inoffensif, etc.) qu'il voudrait bien le paraître, et que peut-être le cahier des charges des contraintes y afférant est aussi conséquent que le recueil lui-même... Qu'importe.
Comme d'un plat qu'on apprécie on ne voudra pas forcément à chaque fois connaître la recette (quoique...), de la même façon on peut tout à fait de ce Bel appétit  faire la lecture ainsi, à plat, naïvement, sans arrière-pensées. Pour la première lecture, bien sûr. Rien n'empêche ensuite d'y revenir, ultérieurement, en scrutateur beaucoup plus pointilleux et tatillon, la loupe à la main, et le pied-à-coulisse, pour tenter de découvrir la façon de faire, justement, de chacune de ces recettes gourmandes.
Mais on n'y est pas obligé. On peut juste se faire plaisir, comme ça, sans avoir envie d'aller chercher plus loin.
Un délice.
Savourez, vous dis-je.

Bel Appétit

 

14 juin 2015

jeunot

LE VOYAGE D'ELADIO
de Hubert Mingarelli

Je viens de le finir.
Chez Mingarelli, il y a toujours un moment où j'ai les larmes aux yeux. Là, c'est presque à la fin. On est à nouveau dans une Amérique Latine stylisée, comme dans Hommes sans mère ('histoire des deux marins en bordée). Au début, un vieil homme, Eladio, se fait frapper (et assommer) devant sa maison par une troupe de "rebelles", parce qu'il leur a reproché d'avoir pris les bottes de son maître. Lorsqu'il reprend connaissance, il décide de se mettre en marche pour aller retrouver "dans les montagnes" ces voleurs de bottes (un groupe d'hommes, comme d'hab' chez Hubert M., ce qui est sans doute pour beaucoup dans le plaisir que j'ai à le lire) pour tenter de récupérer les bottes en question. Groupe qui a pris de l'avance et qu'il essaie désespérément de rattraper. Et c'est tout ? Oui, c'est tout. Un vieil homme qui marche, qui cogite aussi, qui parle tout seul (et parfois discute aussi imaginairement avec son patron -le propriétaire des bottes-, entre autres).
Une écriture serrée pour une avancée rectiligne, des sensations élémentaires (la soif, la faim, le froid, la peur), un trajet à l'image du paysage, un récit tout de montées et de descentes, qui parfois coupe le souffle, avec quelques haltes pour récupérer un peu, tout ça dans un trajet à pied de quelques jours à peine, qui progresse comme la vie d'Eladio a passé. Assez peu de rencontres (celle qui ouvre le livre et celle qui le termine presque, avec, entre les deux, l'apparition d'un beau personnage de femme -presque comme la Fée Bleue de Pinocchio-), la plupart du temps Eladio marche seul mais ses souvenirs, ses rêves ou ses fantasmes (et ses regrets aussi) lui tiennent compagnie et l'aident à "entretenir la discussion", et à aller de l'avant.
Le livre insère donc le discours intérieur d'Eladio dans le récit de son périple, comme toujours chez Mingarelli en phrases simples mais efficaces. Pas de chichis ni d'enjolivures, avec même des insultes et des gros mots quand Eladio parle dans sa tête (Mingarelli sait quand même se tenir et écrit toujours uriner à la place du plus couillu -et plus ordinaire- pisser). Et c'est cette précision là qui la rend encore plus attachante.Encore une fois, c'est à la fois très simple et très beau, .
C'est d'autant plus touchant que l'habituelle problématique mingarellienne (les rapports entre un adulte et un jeune homme, pour faire court) intervient ici mais, comme subtilement aménagée. (et la presque fin est à ce titre très forte, oui, les larmes sont venues).

Le-Voyage-dEladio_4638

Ce qui en reste : la semelle de la chaussure, le jus d'herbe, la couverture, la maison sans toit dans la nuit...

23 avril 2015

mingarellirama

HOMMES SANS MERE
d'Hubert Mingarelli

J'ai donc continué ma lecture chronologique des romans d'Hubert Mingarelli. Après l'hiver de La beauté des loutres et son camion de moutons, on change ici complètement de décor. Nous voici dans une Amérique latine (ou centrale ? On sait juste qu'il y a la mer) à peine esquissée, sur les pas de deux marins à la recherche d'un problématique bordel où aller passer la nuit. Homer et Olmann. Ils marchent, et, en marchant, bien sûr, ils parlent. Peu, ce ne sont pas de grands orateurs, comme la majorité des personnages d'Hubert Mingarelli, mais suffisamment pour qu'on puisse apprendre d'eux juste ce qui est nécessaire. (et comme d'habitude, supputer sur les manques, les blancs, et comment remplit ces interstices).
ils vont finir par la trouver, cette maison, et même y passer la nuit, comme ils l'avaient prévu, mais pas forcément de la façon dont justement ils l'avaient prévu. Ensemble, mais séparément. tandis que le premier (Olmann) respecte le "cahier des charges" (bières, filles, etc.) le second (Homer) va faire la connaissance de Maria, une des "filles", et de Pedrico, le gardien muet. Et c'est surtout Homer qu'on va suivre, Olmann étant plutôt en toile de fond. Le roman les accompagnera tout au long de cette nuit, et les abandonnera au petit matin...
J'avoue qu'au départ le sous-sous-texte gay était pour moi assez attirant (deux marins, deux amis, qui dorment l'un au-dessus de l'autre) et m'intéressait davantage que la situation elle-même (pour résumer trivialement : deux marins en bordée vont aux putes). C'est drôle d'avoir choisi deux marins, alors qu'ils sont à terre, et que jamais en mer, nous, lecteurs, on ne les verra (ç'aurait pu être deux soldats, deux ouvriers, ou simplement juste deux potes, mais non, il est bien spécifié qu'ils sont marins : ce qui compte, ce sont les détails, ce qui est évoqué de la vie à bord, esquissé, ces croquis tellement simples qu'ils en deviennent encore plus touchants : la main qui pend de la couchette du dessus, la petite pièce où ils sont tous les deux de quart, et tiens, en écrivant cela, il me semble me souvenir que Mingarelli a été marin, lui aussi, d'où l'impression de justesse de ces fameux détails.)
Même si, au début, j'étais un peu réticent (j'avais vraiment été très touché par La beauté des loutres) et que j'ai commencé à le lire un peu désinvoltement, ces Hommes sans mère ont réussi, progressivement, à m'emmener avec eux, auprès d'eux, entre eux (ces fameux interstices mingarelliens, ce qui n'est pas dit, mais dont ce qu'on en devine -ou imagine- fait tout le prix.). Cette fameuse fraternité virile que j'aime tant dans chacun de ses romans, ces échanges, ces partages, ces hasards, ces éclats, ces blessures et ces pansements. Avec toujours la même économie. et la même lumière.
Oui, Hubert Mingarelli est bien un -grand- écrivain des hommes.

hommes sans mèreMoyenne

(Il faudrait sans doute aussi parler du titre, mais là, comme dirait l'autre, je suis justement assez mal placé pour en parler, ou trop bien, peut-être, justement...)

7 avril 2015

re-mingarelli

LA BEAUTÉ DES LOUTRES
Hubert Mingarelli

Je continue ma lecture chronologique des livres d'Hubert Mingarelli (j'en ai encore 7 ou 8 sous le coude, commandé chez un vendeur chez qui les frais d'expédition étaient gratuits au-delà de 26€, mais peut-être en ai-je déjà parlé...) celui-là est, je crois, le quatrième "pour adultes" (ne traduisez par "pour adultes avertis", mais plutôt "pas publié en collection "jeunesse").
Et c'est sidérant de le lire après ce roboratif Club des policiers yiddish que j'aurai longuement savouré. Je me demande s'il peut y avoir deux bouquins (ou deux styles d'écriture) aussi diamétralement opposés, mais qui pourtant me procurent autant de plaisir (mais peut-être pas exactement le même genre de plaisir ? Y a-t-il, d'ailleurs plusieurs genres de plaisir(s) de lire ??)
Un livre plus petit (en nombre de signes), plus ramassé, plus... simple ? (Je cherche mes mots). Autant chez Chabon on était dans la richesse, l'accumulation, la profusion, la gourmandise, l'excès, autant ici on est dans la sobriété, la retenue, l'épure, l'ascèse presque (sans aucune notion de mysticisme ou de religiosité.)

ascèse
"L'ascèse ou ascétisme est une discipline volontaire du corps et de l'esprit cherchant à tendre vers une perfection, par une forme de renoncement ou d'abnégation." dit wikipedia
(je ne suis pas certain que le mot ici convienne). Il y a juste un adulte (Horacio) et un (très) jeune homme (Vito), assis dans un camion, la nuit. Nuit d'hiver, route enneigée. Dans un camion qui transporte des moutons qu'ils vont vendre. Et ils se parlent, pendant ce trajet  (Horacio a embauché Vito), ils "font plus ample connaissance"...
Chez Chabon on était presque dans le pantagruélique, là, on est quasiment dans le raclé jusqu'à l'os. Des phrases courtes, des mots simples, des situations banales, des faits, et pourtant une indéniable fascination, qui va en s'approfondissant, en s'enracinant, au fur et à mesure que le récit progresse.
Si Michael C. me donnait envie de recopier des passages, Hubert M. serait, lui, capable de me faire venir les larmes aux yeux avec trois fois rien. Vraiment trois fois rien dans ce qui est écrit, mais tant d'espace justement généré par ses blancs, ses manques, ses silences. Tant de latitude. L'univers "habituel" de Mingarelli est là, dans toute sa force et toute sa simplicité. Deux hommes (un adulte et un enfant), un décor, prenant, même si juste ébauché (la nuit d'hiver, la montagne), un but (ici, "franchir le col"), et des échanges entre les deux. Des champss/contrechamps dirait-on au cinéma. Contrechamps de paroles, contrechamps affectifs, parfois le silence, parfois la violence, parfois la complicité. Quelques autres hommes, au fil du récit (celui à la cigarette, celui de la station-service, celui de la dépanneuse), jusquà la très belle -très simple- rencontre finale avec l'éleveur, et, in extremis, dans la grange, sa femme.
On se prend à rêver à ce qui peut bien remplir les interstices, longtemps après avoir refermé le livre...

loutre1

31 mars 2015

micro hors-série spécial "le club des policiers yiddish"

(entre les pages 314 et 530)

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Les serveuses sont connues pour leur retour d'âge, leur mauvais caractère, et un air de famille avec les cabines des semi-remorques.

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Pendant l'année de malheur qui avait précédé sa défection et sa reddition au côté juif de sa nature, avant que sa mère soit écrasée par un camion fou rempli de juifs déchaînés, le jeune Johnny Bear avait découvert le basket et Wilfred Dick, alors arbitre de 1,27 mètre. Ce fut la haine au premier coup d'oeil, le genre de grande haine romantique qui, chez les garçons de treize ans, est indiscernable de l'amour ou le plus près qu'ils puissent s'en approcher.

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Landsman reconnaît l'hébreu à l'oreille. mais l'hébreu qu'il a appris porte la marque de la tradition, c'est celui que ses ancêtres ont emporté avec eux pendant les millénaires de leur exil européen, huileux et salé tel un filet de poisson fumé pour conservation, avec une chair au fort parfum de yiddish.

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Retour au village de Jims : une rangée de toitures métalliques autour d'une crique, des habitations entassées pêle-mêle comme les dix dernières boites de haricots sur une étagère d'épicerie avant l'arrivée du cyclone. Des chiens des gamins et des paniers de basket. Un vieux plateau recouvert de mauvaises herbes et de branches épineuses de myrtilles, une chimère de camion et de feuillage.

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Hertz bouscule Landsman en exhalant une haleine parfumée à l'eau-de-vie de prune, avec un relent de hareng à l'huile si fort qu'on en sent même les arêtes.

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Les assiettes sont en fer-blanc émaillé, les verres en plastique, tandis que les couteaux ont des manches en os et des lames effrayantes, le genre d'ustensile qu'on utilise pour détacher le foie encore palpitant de l'abdomen d'un ours.

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Pendant qu'il contemple le saladier de boulettes d'élan, son estomac émet un gargouillis de lassitude, un son yiddish, à mi-chemin entre un renvoi et une lamentation.

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Sur la table de cuisine à côté de lui, la baisse de niveau d'une bouteille de slivovitz mesure à la façon d'un baromètre la dépression de son atmosphère personnelle.

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Quel ton ? riposte Berko, la voix chargée d'une demi-douzaine de tons, pareille à une mesure de partition musicale, un ensemble de chambre d'insolence, de ressentiment, de sarcasme, de provocation, d'innocence et de surprise. Mais quel ton ?

*

Litvak se déshabilla et accrocha ses vêtements à deux patères d'acier. il sentait déjà la marée montante des bains, une odeur de chlore et d'aisselles aux relents salés, qui, à la réflexion, venaient peut-être de l'usine de saumure du rez-de-chaussée.

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Il passa la langue dans les zones vides de sa bouche, avec leur consistance de mastic gras. Il était habitué à la souffrance et à la casse, mais, depuis l'accident, son corps ne semblait plus lui appartenir. C'était un ensemble de pièces rapportées clouées les unes aux autres. Une maison d'oiseaux, confectionnée avec des chutes de bois et accrochée à un poteau, où son âme battait des ailes telle une chauve-souris affolée. Il était né, comme tout Juif, dans le mauvais monde, le mauvais pays, au mauvais moment, et maintenant il vivait aussi dans le mauvais corps.

*

- Alter Litvak je présume, articula-t-il en tendant la main à Litvak avec un froncement de sourcils, affectant une dureté virile d'une manière qui parodiait et la dureté et la virilté, ainsi que son propre manque relatif de ces deux qualités.

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Par équipes de deux, six hommes aux surnoms pittoresques de marins perdus dans un vieux film de sous-marins se relaient dans la salle toutes les quatre heures. L'un est un Noir, un deuxième un Latino, et les autres sont des géants roses aux gestes coulants et aux cheveux ras, occupant le créneau entre astronaute et chef-scout pédophile.

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Landsman prend une nouvelle gorgée d'eau minérale. elle est tiède, avec un goût de fond de poche de cardigan.

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Lansman considère les choses qu'il lui reste à perdre : une galette avachie en forme de chapeau, un jeu d'échecs de poche et la photo polaroïd d'un messie mort. Une carte des frontières de Sitka, profane, ad hoc, encyclopédique ; des ronces d'aronia, des gargotes et des lieux du crime imprimés dans les circonvolutions de son cerveau. Un brouillard hivernal qui ouate le coeur, des après-midi d'été qui s'étirent sans fin à la manière des arguties des Juifs. Des fantômes de la Russie impériale retrouvés dans l'oignon de la cathédrale de l'Archange Saint-Michel, et d'autres de Varsovie réveillés dans le bercement et le raclement d'un violoniste de café. Des canaux, des bateaux de pêche, des îles, des chiens errants, des conserveries, des restaurants de laiterie. La marquise de néon du Théâtre Baranof reflétée sur l'asphalte humide, des couleurs qui dégoulinent comme des aquarelles pendant qu'on sort d'une projection du Coeur des ténèbres d'Orson Welles à laquelle on vient d'assister pour la troisième fois avec la fille de ses rêves à son bras.

*

Son pouls rapide, sa bouche sèche et son système neurovégétatif sont prisonniers de l'exaspérante routine de sa phobie, mais le poste à galène qui est distribué à chaque Juif pour capter les messages du Messie vibre à la vue de la croupe de Bina, de sa longue courbe galbée comme une sorte de lettre d'alphabet magique, de rune dotée du pouvoir de repousser la dalle de pierre sous laquelle il a enseveli son désir pour elle.

*

Alors pourquoi son coeur cogne-t-il contre les barreaux de sa cage thoracique comme le quart métallique d'un récidiviste ? Pourquoi le lit parfumé de Bina lui fait-il l'effet d'une chaussette humide, d'un caleçon qui remonte ou d'un costume de laine par un après-midi torride ?

*

Landsman s'écroule sur une banquette dont les coussins couleur ecchymose dégagent un fort remugle alaskéen de tabac froid, mêlé d'une complexe odeur de sel, mi-mer démontée, mi-sueur imprégnant la doublure d'un feutre mou en laine.

*

 

2 novembre 2014

wild wild west

FAILLIR ÊTRE FLINGUE
de Céline Minard

Waouhh! je viens de le terminer (c'est de ma faute, j'avais plusieurs livres sur le feu, et je n'arrivais pas à me décider) et j'avoue que j'ai versé ma petite larme. C'est surprenant, plutôt loin de nous dans l'espace et dans le temps, et c'est un western. Enfin, ça parle de cow-boys. Et un western dont le héros s'appelle Zébulon (même si par la suite souvent on le réduit et l'américanise en Zeb) mérite forcément que l'on s'y intéresse...
Je l'ai un peu trop fractionné au début, et c'est dommage, parce qu'il y a une sacrée flopée de personnages (presqu'autant que dans un jeu des sept familles : famille Pionniers, famille Garçons Vachers, famille Indiens, famille Bandits, famille En Ville, famille Saloon, etc.) que les histoires de chacun(e) sont au départ très fragmentées, et qu'il faut donc un minimum d'attention. Mais je m'y suis attelé (il y a une paire de boeufs, aussi!) consciencieusement, et je l'ai fini en deux fois.
Tout cela aurait pu ne se résumer qu'à un bout-à-bout laborieux d'archétypes ("Dictionnaire des passages obligés du Western") mais Céline Minard s'est vraiment donné la peine d'incarner chacun de ses personnages, de leur donner corps, de leur donner vie, une vraie épaisseur, comme une vision stéréoscopique dans un vieux viewmaster. Ce qui était tout plat à première vue, du papier découpé, des silhouettes, acquiert soudain une sidérante profondeur, et on fait ooooooh. Comme dans un pop-up. Hop! ça ce redresse, ça bouge et ça prend vie. Les portraits de chacun(e) sont au diapason : on n'est pas dans une bluette aseptisée et inodore : les cow-boys, c'est crade, ça pue, ça ne se lave qu'exceptionnellement, et le bouquin ne se prive pas de nous le rappeler.
On pourrait penser aux récents La dernière caravane de Kelly Reichardt ou Gold de Thomas Arslan pour trouver un équivalent cinématographique à cette veine relectrice "réaliste le nez dedans" du western (car il me semble qu'il n'existe pas, pour ce que j'en sais du moins, d'équivalent littéraire, dans la littérature française tout au moins, sans doute, peut-être chez Jim Harrison ou Cormac Mac Carthy ? Mais c'est vrai qu'a priori les histoires de cow-boys ne me passionnent pas...) de ce mélange d'extrême réalisme et pourtant de romanesque echevelé pourrais-je dire, puisqu'il y est si souvent question de scalp...
Car là on a tout, tout sous la main, devant les yeux, la crasse et la boue, d'accord, mais les grands espaces, les grands espoirs, les rêves fous, les vengeances, les trahisons, et la magie, le lyrisme, la violence, la générosité, l'humour aussi, et la tendresse parfois...
L'humanité, quoi...
Chaque personnage est hyper attachant, dans son trajet personnel et dans sa relation aux autres (qui cherche qui, qui vole qui, qui poursuit qui, qui aide qui, qui aime qui) et se tressent ainsi sous nos yeux les liens de la toile -brillante- qu'aura tendu patiemment Céline Minard sous nos yeux, le long de ces trois-cent pages formidables, qui font qu'à la dernière ligne de la dernière page on est comme pris de regrets, on n'a pas envie que le voyage s'achève, on ne veut pas avoir le sentiment d'être tout à coup ainsi abandonnés...

Faillir-etre-flingue-Minard_w525

27 octobre 2014

reine du bal

LA VIE DEVANT SES YEUX
de Laura Kasischke

Je l'ai terminé en arrivant à Paris. Et (oui je sais je suis bon public) c'est peut-être celui que j'ai préféré de tous ses bouquins (mais n'est-ce pas l'effet que ça me fait à chacun de ses bouquins que je lis ?).
il y a dans ce livre un "temps zéro" (celui où il commence et où il finit, d'ailleurs) : deux adolescentes dans les toilettes d'un établissement scolaire où est en train de sévir un jeune tueur, qui rentre dans les toilettes en leur annonçant "je vais en tuer une des deux, choisissez laquelle...", et de part et d'autre de cette scène primordiale, deux flux temporels : celui d'avant, où on suit les adolescentes jusqu'à ce moment crucial, et, parallèlement, celui d'après, où on suit le quotidien d'une des deux, devenue mère de famille "idéale", (comme beaucoup d'héroïnes de Laura K.).
Mais... tout ce qui est écrit n'est pas forcément vrai (et tout ce qui est vrai n'est pas, non plus, forcément écrit).
Une écriture magnifique, comme d'hab', simple, avec des embardées métaphoriques surprenantes que j'adore, une tension qui va croissant, avec des petits détails qui s'accumulent presqu'à la périphérie de la lecture, et une montée dramatique inexorable, qui culmine dans une sortie au zoo où la mère de famille a accompagné la classe de sa fille, avant que de vous envoyer une magnifique claque finale pour boucler le récit, de celles auxquelles Laura Kasischke nous a habitués, mais qu'il faut, cette fois, peut-être relire calmement afin d'être bien sûr de comprendre ce qu'on est en train de lire...
J'avoue que je suis allé voir sur le web, où il semblait effectivement que cette fin suscitait des interrogations, et j'y ai en même temps appris l'existence d'un film qui porte le même titre, avec Uma Thurman dans le rôle de la mère de famille, et dont la fin suscitait les mêmes interrogations...

14771753
(Le titre original Life before his eyes est peut-être plus juste que le titre français...)

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