MARIE-ANTOINETTE
de Sofia Coppola
Au début, c'est vrai, je n'avais pas trop envie... : film "en costumes" / tournage médiatique / effet d'annonce / présentation cannoise... Et puis qu'est-ce qui m'a décidé ? Lorsque j'ai entendu à la radio que le film, lors de sa première et matinale projection cannoise avait reçu un accueil glacial... Ah ah! Contre tout ce qui est pour, et pour tout ce qui est contre, j'ai fait mienne cette devise de je-ne-sais-plus-qui, et donc si la critique était unanimement méchante, ça sentait la cabale, la conspiration, l'entente illicite de Ceux-Qui-Critiquoient (pour faire plus "historique"), j'ai donc décidé que j'allais faire mon chevalier Bayard, et voler illico au secours de la gente dame sur le blanc destrier de ce blog.
Clataclop clataclop.
Résultat (des courses) ? Ben, tout faux. Enfin, je veux dire, les vilains critiques ont tout faux. Ce film mérite tout sauf un accueil glacial. Un applaudissement des deux mains, un jeté d'éventail avec cris ad hoc, une canonnade virile et enthousiaste, une haie d'honneur de marquis et marquises poudrées, un galop festif en escarpins et perruque d'époque, bref un sortage de grosse artillerie enthousiaste. Pendant les deux heures et quelques que dure la chose, je me suis ré-ga-lé! Je me dépêche donc vite vite de rédiger ce post à chaud avant de lire quoi que ce soit d'autre dessus, et de voir de quel côté penchouille la balance critique écrite...
J'avoue que les reconstitutions historiques à priori me barbent un peu. Ca me fait souvent penser (smiley aux joues roses de honte) au clips de Mylène Farmer. Mais bon il y a en général des belles robes, des chapeaux rigolos, des calèches (ou autres draisiennes, en tout cas moyens de locomotion obsolètes) des décors impressionnants de réalisme, (je scrute avec attention pour dénicher dans le champ un fil électrique ou une trace de montre qui auraient échappé à l'oeil de lynx de la script), des épées qu'on tire de leur fourreau, des hauts-de-chausses, des méchants avec du poison dans leurs bagues, des jardins à la française admirables, etc... mais en général les faits narrés, et la fin surtout, on les connaît à l'avance, alors le plaisir est un peu gâché...
Sofia Coppola l'a joué très fin sur le coup. On a, sur l'écran, peu ou prou ce à quoi on s'attendait question costumes et décors (Kirsten Dunst porte dans le film encore plus de robes ébouriffantes que Maggie Cheung dans In the mood for love) mais tout ça est cuisiné à la petite sauce perso de la réalisatrice. Aigre-doux. L'histoire (avec un grand et un petit h) est celle donc de la Reine en question, et on suit le parcours de cette gamine diaphane depuis la Cour d'Autriche à celle de France, où elle atterrit dans un premier temps un peu comme un investissement, un bien mobilier, en tout cas comme une valise diplomatique de luxe, pendant quelques années (ne me demandez pas combien, je suis nullos en chronologie!) jusqu'à un peu avant sa décapitation.
C'est une adolescente aussi frêle que blonde (et le choix de Kirsten Dunst est un coup de génie : autant elle m'avait semblé nunuche falote et -oui je l'avoue- inconsistante dans Spiderman, autant là elle touche à la grâce et frôle le sublime du bout de son éventail, ah cette pâleur translucide, ce rose aux joues quasi-enfantin, ces moues divines et cette gorge d'albâtre...) qui est parachutée dans un milieu clos, superficiel et hypocrite, (celui de la noblesse et de Versailles) et va devoir apprendre à y vivre.
On se dit "oh la la finalement, c'est chiant contraignant d'être reine..." L'étiquette, les courtisans, les jalousies et les rivalités, les mateurs, les fâcheux, les convenances, l'emploi du temps millimétré, tout ça pèse. Marie-Antoinette met donc des belles robes, se fait choucrouter grave les perruques, s'envoie des kilos de macarons et autant de litres de champagne, fait la teuf chaque soir, au casino ou bal masqué incognito, bref elle s'amuse comme une petite folle. Elle n'a que ça à faire. Et il faut bien qu'elle se change les idées, pour oublier que chaque soir le royaume entier retient son souffle, l'oreille collée au royal baldaquin, en attendant que son Dauphin d'époux veuille bien se décider à planter sa Royale Graine, alors que, pauvrette, elle n'a droit au mieux qu'à un malheureux et chaste bisou, ou un "pas ce soir chérie j'ai la migraine j'ai chassé comme un fou toute la journée."
Bref, pendant que son Louis dort, elle, elle se morfond. D'autant que tout le monde la rend responsable de la situation, depuis sa maman, qui l'abreuve de lettres autrichiennement amères, jusqu'à l'ensemble de la Cour qui la taxe de frigidité, et de non-stimulation de son Epoux, alors que son Loulou s'intéresse davantage au manuel du parfait serrurier qu'au mode d'emploi détaillé de son Royal Plantoir. Jason Schwartzman (que je n'avoue ne pas connaître, mais que je trouve très bien sur le coup) est tout à fait mimi en Louis XVI. Pas très beau, mais touchant, un peu rond, attendrissant dans sa fragilité. Comme son épouse, c'est encore un gamin, timide, maladroit, qui visiblement préfère tirer des coups avec ses potes chasseurs plutôt qu'en la galante compagnie de son Epouse, et qui aura besoin des conseils conjugaux éclairés du propre frère de Marie-Antoinette, venu tout exprès d'Autriche, pour se motiver et parvenir à tremper son Royal Biscuit.
Bref tous ces gens-là n'ont grosso modo qu'à se laisser vivre, entre fêtes, chasses et banquets (et ils n'ont même pas le souci de faire le ménage le lendemain matin!) Et la caméra de Sofia Coppola les accompagne avec un plaisir non dissimulé. C'est léger, virevoltant, frivole, roublard même, mais on est définitivement séduit. D'autant plus que la dame a choisi la tactique du contre-pied pour la bande-son qui accompagne le film: On a du Rameau, bien sûr, évidemment, mais aussi (et plus souvent) des musiques plus... actuelles et donc par la-même furieusement anachroniques : Aphex Twin, New order, Cure, The Strokes, pour emballer le tout en faisant s'entrechoquer les strates temporelles (ah ce sublime bal...) et ça fonctionne super!
Et lorsque finalement la caméra va prendre encore un peu de recul pour enfin nous laisser voir ce dont on n'a même pas soupçonné l'existence pendant une grande partie du film, puis qu'on n'a commencé par entendre qu'en bruit de fond avant que de le voir : le peuple ; le discours va, tout aussi naturellement se dépouiller un peu de sa frivolité clinquante, mais tout en gardant sa joliesse, au fur et à mesure que la situation se détériore, pour gagner en gravité, mais sans que la note soit forcée. (la réalisatrice attend vraiment le dernier moment pour nous montrer les révolutionnaires, qui n'apparaîtront que comme une masse confuse, braillarde, en colère, face à laquelle Marie-Antoinette n'aura d'autre ressource que de sortir sur son balcon et de les saluer d'une révérence aussi profonde que théâtrale.
Et aussi silencieuse qu'impuissante (Comment dit-on en autrichien E finita la comedia ?)
La fin de l'histoire, oui, on la connaît, et heureusement on ne la verra pas dans le film. La dernière partie du film est exemplaire de retenue. Les ultimes scènes, entre les deux époux enfin "rapprochés", sont touchantes parce qu'épurées, apaisées, et surtout d'une grande dignité. Elégance ultime qui paraphe à la perfection ce portrait d'une femme-enfant, sans doute trop vite obligée de grandir.
Après les oripeaux de l'adolescence, la provoc, les excès, la chandelle par les deux bouts c'est le temps d'un habit plus sage, de nuits plus calmes, des souvenirs et des regrets aussi...
L'exactitude historique ? On s'en tamponne, allez, là n'est pas le problème! Vive la jeunesse, vive l'insouciance, vive l'insolence!
...Vous reprendrez bien un petit macaron ???