polyphonies corses
094
I COMETE
de Pascal Tagnati
Oh le beau film!
Séance de 15h45 au bôô cinéma : tous les gens, à la caisse, semblaient aller voir T*PGUN (de mes fesses), et moi,dans la salle 9 j'étais tout seul, j'étais le roi (tant pis pour eux tant mieux pour moi! )
Oh le beau film inattendu! (inespéré ?)
Je connaissais le morceau de critique que j'avais copié/collé dans notre plaquette (from Libé, qui avait a-do-ré mais bon des fois je me méfie), et qui ressemblait autant à une critique que ce film, justement, ressemble à un film : "de loin".
De "films corses" je connaissais surtout ceux de Thierry de Peretti (Les Apaches (2013), Une vie violente (2017)) âpres, épineux, maquisards) qui m'avaient beaucoup impressionné. J'avais aussi l'avis de Dominique qui avait réussi à le voir pendant sa très fugace exploitation bisontine, et qui avait "plutôt bien aimé". Et je savais que le film était passé par Belfort et Entrevues où il avait décroché quelque chose... (le prix "Films en cours", qui consistait en une aide à la post-production).
La Corse j'y connais rien (une visite il y a 40 ans quand Môve y était, dont m'est juste restée la phrasel(que j'avais eu beaucoup de mal à comprendre) "Ajaccio-Bastia je le fais en une heure...", c'est peu). J'ai abordé le film avec dans les yeux quasiment la candeur d'un nouveau-né. Au début j'ai pensé qu'il s'agissait d'un genre de documentaire sur un village corse en été, et j'ai pensé à Ce cher mois d'août de Miguel Gomes (2h30, où je m'étais quand même un peu emmerdouillé...).
Un film qui, dans ses premières répliques, parle (en corse) de tarte au concombre et de couilles bénéficiera automatiquement, chez moi, d'un a priori sympathique (voire très sympathique). Cette première scène (en plan fixe), entre des enfants et un vieux qui vient râler, sera suivie de beaucoup d'autres (2h07), toujours en plan fixe (c'est la marque de fabrique du film), pour nous montrer des gens, dans la chaleur estivale de ce village corse aussi imaginaire que jamais nommé, au fil de scènes plus ou moins longues, plus ou moins dialoguées, plus ou moins audibles et/ou compréhensibles ((je pense notamment à un échange entre deux mecs en boîte de nuit sur fond de musique boumboum, où on comprend qu'il est question de fellation et des différentes catégories de demoiselles qui la pratiquent -le film est très hétéronormé, normal, on est en Corse, et je ne m'en offusquerai pas plus que ça...-, et la pipe semble d'ailleurs être un sujet d'intérêt récurrent pour les mâles locaux -il en sera question à au moins trois reprises-...). De mâles, il en sera beaucoup question, dans tous leurs états, mais pas que, du tout du tout. Le réalisateur ratisse large et sa caméra tendrait à être la plus objective possible : femmes, enfants, ados, adotes, parents, célibataires, papys, mamies, autochtones, touristes, défileront ainsi sous nos yeux (et la caméra bienveillante de Pascal Tagnati).
Un certain rythme alors se crée, de par la durée des plans et leur enchaînement, un peu indolent / estival dans un premier temps, et le spectateur se laisse porter par la succession et l'enfilade comme s'il assistait à tout ça depuis son transat au bord de la piscine (ou par la fenêtre ouverte de sa chambre la nuit), spectateur donc attentif (plus ou moins) ainsi à chaque scène (ce qui s'y joue, ce qui s'y dit, ce qui pourrait), jusqu'à ce que se remarque la réapparition de certains personnages, pas toujours dans les mêmes lieux, chacun(e) dans son histoire, mais voilà que certaines histoires semblent s'ajuster (plus ou moins précisément), et c'est donc à chaque spectateur de faire l'effort, s'il en a l'envie (et l'énergie), de tenter de reconstituer et d'agencer ces bouts d'histoire(s), certaines qui se répondent et d'autres qui sont autonomes, parfois juste pour leur propre plaisir interne (le pianiste, les pompiers...), et parfois pour la façon dont elles se raccrochent (rapprochent) à un fragment déjà vu auparavant, et plus on progresse, et plus le film nousaccroche, nous appâte, nous tient en haleine (que va-t-il se passer ensuite ?) mais, en même temps, se déguste au présent, au coup par coup, bouchée par bouchée (c'est vraiment la première fois que j'avais ce sentiment quasiment gustatif en sortant de la salle : un film qui, comme un dessert délicieux, laisse dans la bouche un goût très agréable, et qui dure longtemps... I comete est un film long en bouche (et ne voyez là aucune allusion graveleuse, quoique que si, peut-être finalement, en y réfléchissant un peu mais bon chacun(e) voit midi à sa porte, hein... et il n'est alors question que de plaisir!)
Le réalisateur est aussi acteur (il joue dans le film), il est corse, et en parle ainsi dans Libé :
"Quand je dis mon village, c’est celui que j’ai dans la tête, c’est mon image du village. Contrairement à beaucoup de Corses, je n’ai plus de village de famille. J’ai grandi dans une commune qui s’appelle Alata, proche d’Ajaccio, presque une banlieue. C’est rural, mais ce n’est pas le village tel qu’on le voit dans le film, dans les terres, quasiment désert l’hiver, repeuplé le temps de l’été. C’est donc un village imaginaire, et qui n’est jamais nommé. On a filmé au village de Tolla, mais je n’ai rien pris de son histoire. Cette histoire reste aux Tollais, je ne voulais pas la leur prendre, l’intégrer de façon documentaire dans mon film. Bien sûr, je capte un décor, un réel, et les habitants ont joué le jeu. Celui de l’accueil et de la confiance, ce qui n’est pas rien, et celui de la figuration, naturelle, ils passent, ils restent sur un muret. Ils participent à la vie mais je ne capture pas leur vie. Non qu’elle ne soit pas passionnante, mais c’est mon histoire que je raconte avant tout. Celle de personnages qui sont des images de ma vie, de mes rêves"
Le film revendique sa corsitude intrinsèque (celle du réalisateur, des villageois) mais sans en faire un manifeste gueulard, juste un état de fait (et je ne connais peut-être pas, je le répète, tout à fait assez la Corse pour apprécier pleinement (comprendre parfaitement) tout ce qui en fait la spécificité. Finalement (j'en reviens au gustatif) ce serait peut-être comme déguster une spécialité régionale, s'en délecter, et même lécher l'assiette tellement on a apprécié ça...
Certains critiques ont évoqué Tati, d'autres Elia Suleyman, ce que je trouve beaucoup plus pertinent, pour essayer de rattacher ce style de narration insulaire à un continent répertorié dans les atlas de la cinématographie mondiale, tellement elle est inhabituelle (par exemple, j'étais un peu étonné de voir le mot "scénario" au générique, tant un oeil un peu inattentif pourrait croire à un simple empilement de vignettes, et tout autant d'apprendre, de la bouche du réalisateur, que les dialogues étaient très écrits -pour 80%, et laissant les 20% restants à l'improvisation des acteurs, parmi lesquels -nouvelle précision du réal'- évoluaient côte à côte "vrais" acteurs et "vrais amateurs"-).
J'ai donc été incontestablement enthousiasmé (je n'ai pas fermé l'oeil une seconde!), il y a juste un moment où j'ai regardé l'heure (de l'avantage d'être seul dans une salle!), il devait encore rester quarante minutes, qui sont passées très (trop ?) rapidement, jusqu'au plan final (l'homme devant la fenêtre ouverte) qui m'a cueilli dans un état de ravissement...
Je me disais bien que film serait clivant, et donc je suis allé faire un tour dans (me délecter de) les critiques spectateurs sur allocinoche, en voici une, (elle le mérite) une perle à zéro * et demi :
"Ce film est une succession de saynettes sans intérêt, dont on ne comprend ni l’utilité, ni même souvent la signification (on ne comprend souvent qu’un mot sur deux, soit parce qu’il n’est pas traduit – du corse –, soit parce la bande son est d’une effroyable qualité). Le peu que l’on perçoit des dialogues est d’une affligeante banalité. Le vide reste du vide, même lorsqu’il est tourné en Corse. Ce n’est évidemment pas un documentaire paysager, tant le réalisateur est avare d’images, l’essentiel du film étant tourné en plan fixe. Et l’on s’ennuie, on s’ennuie… Deux scènes de masturbation explicites, l’une masculine, l’autre féminine, sont à peu près les seules scènes d’action du film. Pourquoi pas mais on a du mal à comprendre leur articulation dans le film. Un (beaucoup trop long) métrage, que l’on aura vite oublié et auquel on n’aurait rien perdu à ne jamais penser."