ZERO DARK THIRTY
de Kathryn Bigelow
Pfiououh! Ca, c'est du cinoche! Du ricain, du viril, du costaud, du testostéroné, du couillu, et, pourtant, comme le mari de ma voisine s'en émut au générique de fin auprès de son épouse "Mais, Kathryn, c'est un prénom de femme, non ?", à la lecture du nom de la, justement, réalisatrice.
Mais c'est d'abord l'histoire d'une femme, Maya (Jessica Chastain) racontée par une autre femme. Mais bon, comme je l'ai souligné, elle ne fait pas dans la dentelle ni dans les émois amoureux et la pâmoison. Maya se concentre uniquement sur la traque de Ben Laden, tout au long d'une dizaine d'années au bout desquelles son obstination finira par payer (Finalement, le personnage aurait pu être un mec tellement elle est sexuellement indifférenciée la plupart du temps, - à part peut-être quand elle met un foulard sur ses cheveux pour questionner un islamiste - et que la réalisatrice ne la dote d'aucun background affectif ou sexuel spécifique, exactement comme elle le fait pour les autres mâles couillus qui l'entourent (d'ailleurs, à un moment, elle se présente à un gros bonnet de l'armée (mon gros James Gandolfini chéri, ici lunetté et très bien peigné) simplement comme "a motherfucker" (et l'indéfinition grammaticale liée au genre dans la langue anglaise ajoute encore à la force et à l'ambiguité du propos), ah si peut-être quand on aperçoit brièvement, vers la fin, sur la page d'accueil de son ordi, une photo qui représente une mère souriante et un enfant, et encore. Maya est une rousse flamboyante juste comme son collègue arbore une bien jolie barbe, point barre.
D'ordinaire les histoires de CIA, d'espionnage, de manipulations, d'infiltration, d'interrogatoires me laissent assez indifférent, alors, allez savoir pourquoi, pendant 2h40 je suis resté scotché sur mon siège (pour un peu je me serais mis à pétrir nerveusement le bras de ma voisine de droite), en suivant cette histoire de traque (pourtant, comme la vie de Jésus, ou le procès de Jeanne d'Arc, on connaît déjà la fin...) dont la trajectoire impitoyablement élaborée est une perpétuelle ascension, culminant bien entendu dans la scène finale de l'assaut du même nom (où les bidasses intervenant répondent au doux surnom de "canaris"), mais vous prenant de plus en plus aux tripes et vous mettant de plus en plus la pression au fur et à mesure que les années passent et que Maya se rapproche de son but.
Mais contrairement à ce que pourrait faire croire que ce je viens de dire ("trajectoire furieusement ascendante" etc.) on ne part pas du niveau zéro, puisque le film, après une évocation rigoureusement sobre du 11 septembre, nous plonge directos dans les interrogatoires musclés et les séances de torture (on assiste ainsi, en même temps que Maya à sa première séance - où on a d'ailleurs le plaisir de reconnaître un acteur français qu'on aime beaucoup : Reda Kateb, dans le rôle du torturé qui tient le coup très longtemps -respect! - mais qui va finir par craquer et donner à Maya le nom qui va lui permettre d'avancer : Abou-Ahmed.- ) Donc ça démarre plein pot en nous mettant tout de go si je puis dire "dans le bain". Il n'est pas, heureusement, question que de tortures, mais de tout le travail de fourmi obsessionnel mené en parallèle (photos, noms, dates, recoupements), auquel se rajoute l'environnement "social" de notre héroïne et de ses collègues (apaisement de la ligne narrative), avec à intervalles réguliers, comme sur un joli collier, la pierre brillante et dure d'une scène spécialement tendue (l'arrivée de la voiture de l'émissaire, ou bien le repérage du mec qui téléphone au milieu de la foule) ou l'éclat d'un rebondissement aussi sonore qu'inattendu. Boum!
Oui, pour filer la métaphore, la dame s'y indiscutablement connaît en bijoux! (de famille ? hihihi), et s'y entend pour les faire miroiter (leur faire prendre la lumière) sous l'angle adéquat pour nous en mettre plein la vue.
En parlant de voir, d'ailleurs, il est assez rigolo de... voir, justement que Oussamachounet, l'objet de tant d'obstination de la part de Maya ne nous sera jamais véritablement montré (comme si la traque - la chasse - était bien plus importante que son objet-même - le gibier -), juste un machin mort dans une housse en plastoche. et le dernier plan nous montre la chasseresse, le regard dans le vague, seule dans son avion ("vous devez être drôlement importante, il n'y a personne d'autre dans l'avion...") qui la ramène... vers quoi, au fait ???
(deux variations typographiques pour l'affiche, c'est la plus forte qui a été écartée...)