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lieux communs (et autres fadaises)
3 avril 2017

congélateur

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ORPHELINE
d'Arnaud des Pallières

Des films et de la façon dont on les reçoit... J'ai assisté à la première séance, mercredi 13h20, avec mon amie Dominique. Au générique de fin, elle s'est tournée vers moi et m'a dit "Je n'ai pas du tout aimé ce film...", alors que j'avais la langue levée pour lui dire que moi,  je l'avais vraiment beaucoup aimé. a la sortie d'un film, j'ai du mal à me lancer dans une grande discussion / analyse, avec arguments et justifications et réfutations. j'aime rester encore un peu dans les limbes du film. je n'ai donc pas argumenté quand elle m'a dit "j'ai trouvé ça très glauque...", j'ai juste répondu "et moi j'adore la façon dont c'est réalisé..." Et fin de la discute.
Arnaud des Pallières ? finalement, je n'ai pas vu grand chose de lui, excepté Michael Kohlhaas, que j'avais aimé mais pas à la folie, mais surtout un moyen-métrage, Dysneyland mon vieux pays natal, qui m'avait, lui, fort impressionné (je m'étais évoqué David Lynch à son propos, c'est dire...).
Références. Des Pallières, ici, utilise le même procédé stylistique que François Ozon dans son (très aimé) 5x2. Une histoire racontée à rebours, centrée sur un même personnage féminin, en quatre "épisodes", sauf qu'ici ce même personnage est interprété par quatre actrices différentes (par ordre "décroissant", Adèle Haenel, Adèle Exarchopoulos, Solène Rigot et la fillette Vega Kuzytek). Le casting féminin, déjà chromé, étincelle encore plus, accompagné -réfléchi- qu'il est des mâles présences de Jalil Lespert, Sergi Lopez, Nicolas Duvauchelle et Karim Leklou qui leur prêtent main forte (pour certains d'entre eux, c'est vraiment très fort.)...
Le film est sans générique de début et sans coupure (couture ?) entre les différents segments. Et nécessite donc d'être très attentif lors des premières scènes, afin de ne perdre aucune information sur ces deux femmes qu'on suit en parallèle. Celui qui se lèvera au début du générique de fin (et c'est souvent le cas dans le bôô cinéma) ne verra pas le titre du film (et c'est logique, puisque le film avance à rebrousse-poil, que le tout début se retrouve à la toute fin).
Oui, j'aime vraiment beaucoup comme c'est fait, et l'attention active qu'il nous impose.
Remercions le réalisateur de ne pas nous prendre pour des cons, de ne pas nous prémâcher l'intrigue, de ne pas nous dispenser de la violence quand elle est "justifiée" dans son récit (de la façon dont un texte peut l'être, même si certains critiques ont pu y voir une certaine complaisance), mais d'avoir aussi l'intelligence de nous la mettre en off à un moment précis, important, primordial, puisque c'est de là que découle tout le reste du film). Et de montrer comment s'enracinent un comportement, une façon d'être, d'accepter les évènements (ou pas).
Et redire enfin le plaisir qu'on a à voir jouer ces quatre actrices (de la plus "vieille" à la plus jeunette), auxquelles il ne faut pas oublier de rajouter la piquante Gemma Arterton -qu'on vit il n'y a pas si longtemps amatrice de la baguette du boulanger Lucchini, oui oui...- Dire aussi que les personnages masculins qui leur font face n'ont pas forcément le beau rôle (tiens! je viens de voir aborder de magistrale façon dans le Neruda de Pablo Larrain, la notion, justement, de "personnage secondaire"... fermons la parenthèse) et représentent finalement un éventail assez... réaliste des divers comportements masculins (le père, l'amant, le mari, le compagnon, le client, l'ami) sans toutefois les cliver strictement (c'est là qu'il est très fort, le réalisateur).
Oui, elle peut paraître glauque la vie de cette femme (quand on apprend que le scénario est inspirée de la vraie vie de la co-scénariste du réalisateur, ça n'en devient que plus impressionnant), mais la mise en scène d'Arnaud Des Pallières réussit, en nous mettant presque tout le temps le nez dessus, à justement à nous en tenir à la bonne distance  (oui, il est très fort).
Je reste persuadé que, racontée linéairement, dans le "bon" sens, l'histoire aurait perdu beaucoup de sa force.
De la très belle ouvrage (revenons donc ici au féminin et restons-y).
Top 10 ?

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l'affiche, que je trouve moyennement réussie, mais qui m'a évoqué -peut-être à tort-  celle de

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30 mars 2017

bestioles

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AMERICAN HONEY
d'Andrea Arnold

2h43, séance à 20h30... Comme a dit Romain à la caisse "Vous n'êtes pas couchés...". Et sans doute la durée a-t-elle effrayé quelques clients potentiels car on était peu dans la petite salle 1 du bôô cinéma. C'est le quatrième film d'Andrea Arnold, et le quatrième qu'on programme (après Red Road, Fishtank, et Wuthering Heights). Le film est passé à Cannes 2017, y a raflé le Prix du Jury (le troisième pour la réalisatrice!) et une critique... partagée, disons (de ***** à *, tout l'éventail de notes y est, de façon assez équilibrée).
Dans ses deux premiers longs métrages, la réalisatrice a été repertoriée "cinéma social britannique" : histoires de prolos, de familles dysfonctionnelles, de grisaille, de fins de mois difficiles et de de bières et de clopes... ici on est de l'autre côté de l'Atlantique, donc moins de crachin et de fish and chips, mais question familles dysfonctionnelles et white trash, on n'est pas vraiment dépaysé.
Une jeune fille, Star, que la scène d'ouverture nous présente fouillant dans les poubelles de supermarché pour y récupérer de la bouffe, en compagnie de deux enfants, qu'on suppose être les siens, ou (on en a discuté à la sortie) ceux de sa mère, mais qui s'avèrent être ceux de sa soeur. Qui danse la country en compagnie de son copain tatoué. A qui elle va les refiler (même si l'autre n'est pas très chaude) avant de se barrer rejoindre Jake, un type chelou qu'elle a croisé la veille, dans un minibus surpeuplé, et dont elle est tombée amoureuse. (On la comprend un peu, le Jake en question étant joué par Shia La Beouf, dont je suis toujours incapable de prononcer le nom, et dont on a du mal à distinguer les frasques dans la vraie vie et celle de ses personnages dans les films mais que je trouve assez, disons le mot... bandant).
Star se barre, et le film démarre vraiment, pour moi, à ce moment-là (le prélude family life étant légèrement indigeste pour moi) à partir du moment où on monte avec elle dans le van. On s'est déjà habitué au format inhabituel du film (celui qu'aime aussi Kelly Reichardt, presque carré), à la musique (la bande-son est très impressionnante) et on fait la connaissance des jeunes gens bruyants et rigolards qui y cohabitent (et vont de ville en ville pour faire du porte-à-porte (en vendant des magazines) sous les ordres d'une chef des ventes qui n'a pas l'air commode.)
2h43 juste pour ça ? Oui oui, et on ne les sent pas passer (ou si peu). C'est vrai que ça pourrait très vite être répétitif (le bus le matin, les clients la journée et la teuf le soir) mais c'est filmé de telle manière qu'on y reste scotché. Andrea Arnold a un certain génie pour glisser régulièrement une image, un plan, sublimes, dans ce qui pourrait n'être qu'un récit somme toute planplan de road-movie un peu déjanté dans une Amérique qui l'est tout autant. C'est un film de gens, essentiellement, et le qualificatif - bateau- d'entomologiste à propos du regard que la réalisatrice porte sur ses personnages se justifierait ici, et même à double titre, puisqu'apparaissent, tout aussi régulièrement que la bite qu'un des personnages se plaît à exhiber, des insectes, papillons et autres hyménoptères, dont la jeune fille, Star, se plait à faciliter la vie (voire la sauver).
On était peu dans la salle, je l'ai dit, mais presque tous nous sommes dit, à la sortie, combien le film nous avait plu, combien il nous avaient touchés, fascinés, émerveillés... American Honey fait partie de ces films où ce qu'on raconte est moins important que la façon dont on le raconte. De l'amour amer (à défaut de l'être à mort), des kilomètres, des rencontres (la scène dite "des texans" ou celle de l'ouvrier du pétrole) des  biffetons qui changent régulièrement de main,et même... des cris de loup (Wououououh!). Saluons donc le film comme il le mérite : en hurlant à la lune tout en regardant deux abrutis alcoolisés se flanquer une peignée (si si, à la lueur d'un bon feu de camp, je vous assure, ça a son charme...)

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27 mars 2017

diapositives

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SAGE FEMME
de Martin Provost

La bande-annonce faisait envie (Deneuve / Frot / Gourmet / Dolmaire). A la sortie, Emma a entendu nos voisines qui disaient "C'est bien joué, la musique est belle...". Oui, mais...
Oui, voilà...
Ce qu'on avait compris dans la bande-annonce (Une femme est recontactée par l'ancienne maîtresse de son père, qui s'est suicidé suite à son départ. Cette femme est sage-femme, elle a un fils et un ami/copain/amant qui est chauffeur routier. La "revenante" est du type fofolle (elle auraît pu être jouée par Maria Pacôme), alors que la sage-femme est plutôt du genre coincée, les relations entre les femmes sont tendues au début, mais deviennent ensuite plus complices et joyeuses...) se confirme à peu près exactement au fil du film. Un élément important n'y avait pas transparu, qui concerne Béatrice, le personnage joué par Deneuve, mais il n'est ni le plus intéressant ni le plus finement exploité.
Les voisines avaient raison, c'est très bien joué ; face à une Deneuve impériale, Frot ne démérite pas dans un personnage qui s'entrouvre doucement à la vie, et on n'aura jamais vu Gourmet aussi souriant joyeux et rassurant. Trop peut-être. Les acteurs, aussi excellents soient-ils, ne peuvent finalement en faire davantage que ce que le scénario leur permet (ou le metteur en scène). La frivole (l'épicurienne), la tristoune (la stoïque) , et le gentil (le nounours) restent assujettis à leurs rails narratifs jusqu'au bout et le propos en souffre.
Propos qui relève d'ailleurs assez souvent du style fil blanc et gros sabots (et grosses ficelles aussi). On aurait aimé qu'avec de tels stradivarius la musique en fût plus grande. On espérait Bach et on a du Paul Mauriat. On reste sagement dans la comédie dramatique, un coup je ris un coup je pleure, entre mélo (oh les pertes d'équilibre et les silences soudains) et roman-photo (aïe la séance de diapos). Le seul personnage qui évolue est celui de la sage-femme (qui devient, le générique nous le souligne dès le départ, une femme sage) mais elle le fait avec une démesure un peu simpliste, du tout au tout, au départ drapée dans un quasi mormonisme rigoriste (pas de viande, pas d'alcool, pas de clope, pas de zigzig, le travail le travail rien que le travail -on en voit naître au moins quatre ou cinq, de ces bébés-) et qui  finit, les cheveux défaits, bouteille à la main, vautrée nue avec son chéri dans sa cabane de jardin ("Tu veux des courgettes ? Elles sont excellentes...").
Rendons grâce au réalisateur d'avoir su ne ne pas nous  infliger "la" scène finale qui s'annonçait, (et aurait pu virer lourde et racoleuse), et de terminer son film, au contraire, sur une image superbe (la barque...).
Oui, voilà, c'est bien joué, la musique est belle, on ne s'ennuie pas, mais mais mais...

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26 mars 2017

on verra

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UN LEVER DE RIDEAU
de François Ozon

(Merci Uncut!) Une forme courte (28') de François ozon, avec Mathieu Amalric, Luis Garrel, et Vahina Giocante. Un huis-clos, dans un appartement bourgeois, entre deux amis dont l'un attend sa chérie qui a déjà une demi-heure de retard. un dialogue très écrit (on pense à Beaumarchais, mais c'est une adapation de Montherlant), très bien mis en forme. Sur l'amour, ses servitudes et ses grandeurs. Quand la demoiselle arrive, elle est accueillie par l'ami du soupirant (ledit soupirant est dans la salle de bains où il se préparait à partir définitivement, la belle ayant dépassé la durée fatidique de trois-quarts d'heure qu'il avait fixée comme limite ultime, Rubycon à ne pas franchir. il partira, mais pas immédiatement, non sans une explication avec la jeune fille, avant un épilogue, toujours aussi écrit, entre les deux amis.
C'est plaisant, bien joué, bien troussé, bien costumé, bien repassé...
Voilà, que dire d'autre ?

Un lever de rideau : Affiche

 

25 mars 2017

brindille

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LOVING
de Jeff Nichols
Printemps du Cinéma : lundi 11h, cette fois j'ai réussi à entrer dans la salle (contrairement à dimanche 16h). Un film que j'ai trouvé magnifique, et dont on se demande pourquoi il est passé inaperçu à Cannes. Joel Edgerton (qui m'avait déjà tapé dans l'oeil lors du précédent film de Nichols) et Ruth Negga (c'est elle, la Brindille du titre de ce post) s'aiment, elle est enceinte, il la demande en mariage au milieu du terrain qu'il a acheté pour y bâtir leur future maison, et ils vont se marier en douce à Washington "parce que là-bas il y a moins de paperasse". Et tout va bien, vive l'amour et tout ça.
Sauf qu'eux habitent en Virginie, et qu'en Virginie, pas question de couples mixtes. Les blancs avec les blancs et les noirs avec les noirs parce que "si dieu avait voulu que les races se mélangent, ils les aurait mises ensemble" (comme l'explique, finement, le juge qui les condamne.) Car les voilà arrêtés, mis en cellule, en pleine nuit par les flics du cru. Et comme le juge est un pote de leur avocat (car ils se sont décider à en appeler un) il ne les condamne qu'à un an de prison, suspendu à condition qu'ils acceptent de ne pas revenir ensemble dans l'état (de Virginie) pendant les... 25 prochaines années! Que les hommes sont donc cons lorsqu'il rédigent des lois, des régles, des règlements, des règlementations, des règlementationnements, etc. )
Eux qui, comme on dit dans les romans "n'aspirent qu'à un bonheur simple", les voilà en butte aux tracas administratifs, et voilà que de nouveaux avocats s'en mêlent, et les médias, et Life magazine, au fil de leur épopée judiciaire, jusqu'à l'arrivée devant la Supreme Court, où ils ne se rendront pas d'ailleurs...
Comme d'habitude, c'est magnifiquement filmé. Et on ne peut pas s'empêcher de repenser à d'autres films de Jeff Nichols. Lorsque Francis, debout devant sa maison face à l'obscurité attend farouchement "quelqu'un" (ou quelque chose), je n'ai pas pu m'empêcher de revoir Michael Shannon, à la fin de Take Shelter. (Michael Shannon, d'ailleurs, qui est à Nichols ce que Joaquin Phoenix est à James Gray, on l'attend, on se demande pendant un certain temps où il est donc passé, et si le réal' a fait sans lui, mais non... le voilà enfin, dans un petit rôle, mais un petit rôle important...
Malgré l'écueil du "d'après une histoire vraie" et des passages obligés des "histoires d'avocat(s)", Jeff Nichols réussit à adpater tout ça à sa sauce, et en fait un très touchant moment de cinéma, grâce à l'intensité de ses deux interprètes principaux (Joel Edgerton et Ruth Negga magnifiques je le répète), et grâce aussi à sa grande maîtrise (habituelle) des scènes nocturnes et/ou d'inquiétude : c'est fou ce qu'il réussit à faire avec juste une route la nuit et des feux arrière de voiture...
Une belle histoire, un beau titre, un beau film, et tout ça simplement...

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ps : et j'ai enfin réussi à retrouver où j'avais déjà vu la délicieuse Ruth Negga : dans l'explosive et déjantée série Preacher, où elle jouait la copine du héros, une composition bien plus... tonitruante !

24 mars 2017

amazoniaque

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THE LOST CITY OF Z
de James Gray

James Gray, on connaît bien. Depuis le début. Cinq films, de Little Odessa (1993) à The Immigrant (2013). Un univers familier : ambiance noire, polar, morts violentes, rapports père/fils, histoire d'amour, et avec, dans presque tous, la présence reconnaissable de Joaquin Phoenix (que j'aime vraiment beaucoup...). Déjà dans The immigrant, il nous avait surpris en nous la jouant "en costumes" (mais toujours avec Jojo), et voilà qu'il fait un nouvel écart, pour nous surprendre encore plus, puisque si c'est bien "en costumes" (les 25 premières années du siècle précédent), c'est totalement sans Joaquin Phoenix. Mais beaucoup coup dans la jungle (terrible jungle... air connu).
On sera, donc, beaucoup en Bolivie, avec ce Fawcett (Bon sang mais c'est bien sûr! Ting!  Fawcett... comme dans "Sur la piste de Fawcett"*, la troisième aventure de Bob Morane ??? Ooooh je rajeunis...), un major anglais chargé de cartographier un peu plus précisément le pays, puisqu'à ce moment la carte en est quasiment encore vierge. Et qui va partir crapahuter dans la jungle une fois, puis deux, puis etc. (vous avez compris le système). La jungle mystérieuse, l'occidental qui devient fou d'elle... On pense à Kinski et Werner Herzog, bien sûr, on pense à L'étreinte du serpent, vu l'année dernière, on pense à La forêt d'émeraude de John Boorman (pas vu mais on en avait tellement parlé à l'époque) et on en arrive même à évoquer Spielberg et Indiana Jones, voire même Coppola et Apocalypse now !
James Gray se maintient largement à la hauteur de ses illustres prédécesseurs. En encrant d'abord longuement son récit dans la société victorienne à l'étiquette aussi rigide que les baleines des corsets de ses femmes, où les codes sociaux prennent le pas (le poids) sur toute initiative personnelle, où cette expédition cartographique en Bolivie est d'abord présentée à notre héros comme un moyen d'améliorer son rang social, de s'élever en "rachetant" les erreurs de son père. En lui permettant, ensuite, de changer d'air, à pleins poumons, de respirer plus librement,  et de vivre toutes ces aventures des hardis explorateurs de notre/son enfance.
Spectateurs, nous aurons la folie verte, les bestioles, les pirogues, les piranhas, l'attaque des indigènes mystérieux dans la forêt profonde sous une pluie de flèches vindicatives, les bestioles, les mille dangers qu'il faut braver pour parvenir jusqu'au fin fond, et là trouver des fragments de poteries, et entendre mentionner par les autochtones une mystérieuse Cité d'or. Avant d'être obligé de rebrousser chemin et de rentrer.
L'aventure, c'est l'aventuuuuuuure semble chanter à pleins poumons notre Fawcett (et le réalisateur en deuxième voix, qui l'accompagne.) Un plaisir de gosse, qu'il s'est fait, qu'il nous fait. Avec un point d'orgue nocturne et mystique dans la magnifique dernière scène, la nuit, les torches (connaissez-vous la nouvelle de Julio Cortazar La nuit face au ciel ?)

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21 mars 2017

splendeur 3

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MY WAY HOME
de Bill Douglas

Et j'ai enfin pu terminer la trilogie de Bill Douglas, avec ce dernier volet (à peine un peu moins effroyablement noir que les deux précédents, mais tout aussi sublime...) de son histoire. Sa propre enfance. Le héros, Jamie,  est désormais dans un orphelinat, toujours aussi seul, aussi triste, aussi opaque, aussi en colère, mais objet (comme les autres pensionnaires) de l'attention aimante du directeur de l'orphelinat, un gros bonhomme mélomane et touchant (une histoire magnifique d'harmonicas). Orphelinat dont viendra soudain le retirer son père, "qui pensait bien faire", pour le ramener à la maison où l'ambiance est toujours aussi instable et aigre (et sonore).
Bill Douglas enchaîne ensuite quelques épisodes de la vie de Jamie, souvent centrés sur un accessoire (un livre, des pommes dans un plat, un tas de charbon, un panneau indicateur de gare) et un lieu pour nous raconter, a minima, les nouvelles étapes de son périple. On est désormais attentif aux virages qui reviennent régulièrement dans le cinéma de Douglas. Qui dissimule ce qui s'en va (où ne laissait pas voir ce qui arrive).
Puis le film s'illumine, littéralement : Jamie est désormais militaire (de la RAF) en Egypte, il est occupé à peindre une ligne de briques posées alternativement en noir et en blanc, et il fait la connaissance de Robert, un autre soldat juste un peu plus âgé, qui lui offre son amitié, qu'il va finir par accepter.
Plus question ici de froid, de violence, de noirceur, de crasse, de hurlements. Une vie militaire faite surtout de corvées, d'inaction, et d'attente, toujours dans la même stylisation splendide qui tirerait parfois le récit quasiment vers l'abstraction (via la métaphysique du Désert des Tartares...), toujours à partir de choses simples : du sable, des traces de voiture, un insecte, un appareil-photo...
Le film se clôt (sans effusions excessives...) sur une image silencieuse mais riche de promesses.
L'acuité du regard de Bill Douglas est sidérante. Faisant du malheur un état de fait, et non pas un sujet d'attendrissement (ou un objet de compassion.) C'est comme ça, point. (Ou "c'est comme ça que je vous le montre, point.")
Ce qui me touche encore plus, bien sûr c'est que, à chacun des âges, dans chacun des trois films, c'est à chaque fois un homme qui aidera le jeune Jamie (le soldat allemand, le grand-père, le directeur de l'orphelinat, et Robert...)

Bill Douglas est mort en 1991. Il aura juste réalisé cette trilogie (3 films d'une heure ou presque) et Comrades (une film de trois heures ou presque). Son acteur principal, Stephen Archibald (son Jean-Pierre Léaud à lui) est mort  très jeune, à 37 ans.

"La force insoutenable de la mise en scène de Bill Douglas tient au fait que son désir de voir ne découle jamais d’un désir intellectuel de comprendre. “On pourrait croire que je suis opposé à la compréhension, mais avec ce film il ne s’agit pas a priori de comprendre, mais de sentir. Et la particularité de ce film est que les deux ne peuvent pas, comme dans la structure classique, aller de pair.” Cette vision du monde s’ancre dans une méthode : choix d’acteurs non professionnels à qui le cinéaste demande de revivre sa propre enfance (“Je suis content de ne pas être toi”, lui dira Stephen Archibald) ; tournage obligeant l’équipe à retraverser la dépression, la terreur, l’injustice, les failles intimes du cinéaste, mais, avant tout, celles de chacun. “Si je ne ressens rien, alors je sais que c’est faux”, disait Bill Douglas." Les Inrocks

my way home

illustration trouvée sur Filmoteca Hawkmen Blues,
le blog magnifique d'un cinéphile archiviste español, ici.

 

20 mars 2017

à 3 on saute

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CORNICHE KENNEDY
de Dominique Cabrera

Enfin le voilà...
Sorti depuis la mi-janvier, et pourtant invisible. "Disparu des radars".
Le voilà programmé par nous cette semaine dans le bôô cinéma, mais heureusement que je ne travaille plus sinon je l'aurais eu amère : sur les sept ou huit  séances, seul un petit tiers est accessible à des horaires dits "normaux". On était deux dans la salle pour la séance de retraités de cet après-midi (oui, qui d'autre peut aller prendre le frais au cinoche un jeudi à 13h45, hein ?) Tant pis pour les pauvres travailleurs, hein, qu'ils se brossent...
Deuxième film adapté de Maylis de Kerangal (après Réparer les vivants par Katel Quillévéré et avant Naissance d'un pont par Julie Gavras, tiens, que des réalisatrices...) réalisé par Dominique Cabrera que j'aime plutôt beaucoup (Nadia et les hippopotames est un film que j'adore...).
Philou m'avait prêté le roman, que je n'avais pas terminé : autant l'écriture m'en paraissait magnifique et digne d'éloges, autant l'histoire racontée ne m'intéressait pas... Des ados qui sautent de très haut, une jeune bourge qu'ils fascinent, des flics et des histoires de came, à Marseille, ouais bof. D'après le peu dont je me souviens, l'histoire a l'air d'être assez fidèlement adaptée (sauf qu'il me semble qu'il s'agissait d'un flic, et qu'il était blanc, mais je peux me tromper...)
Marseille donc, grand beau temps, jeunes gens torse-nu en maillot qui s'amusent à sauter dans la mer depuis une hauteur d'une dizaine de mètres (comme l'héroîne, je suis sujet au vertige, et question d'à-pic ici on est gâté...) Adrénaline.  Elle, c'est Suzanne, vite surnommée "Madame Bovary", et elle va -assez vite- se rapprocher de deux garçons du groupe, Mehdi et Marco. Et c'est vachement bien, à trois sur le scooter...
Un film solaire, de plein été, la chaleur de la pierre et la fraîcheur de l'eau, les éclaboussures, l'effet de bande (la vie de groupe), les pétards fumés au soleil, les barbeuk' avec de la viande volée dans les supermarchés, l'indolence jusqu'à l'insolence (et vice-versa),  toute une vie adolescente précisée "marseillaise".
Le portrait d'un lieu, beau à tomber, précisément, resserré sur un groupe, puis encore plus sur un trio. nos trois tourtereaux, la bourgette, le rebeu, le nounours. Elan. Et, comme dans la chanson enfantine "entre les deux mon ceur balance...". On n'a d'yeux que pour eux. Sur quoi vient (comme dans le roman) se greffer (cela aurait comme un rapport avec le bouturage, ou la chirurgie, au choix) une histoire de came, de dealers, de flics et de fric, qui n'apporte pas grand-chose à l'ensemble, et le tire vers quelque chose de plus connu, de plus balisé, de plus "folklorique"... Entre Jules et Jim, jeunot, avec l'accent,  et Razzia sur la schnouf, sans flingue ou presque. Bon, les damoiseaux, ils ne pouvaient quand même pas passer tout le film à sauter dans l'eau (quoique...), mais l'hybridation entre les deux histoires déséquilibre un peu le récit (l'attiédit).
"Il y a le ciel, le soleil et la mer..." sirupait cette vieille rengaine* , (ici on serait plutôt ambiance Sea sex and sun), Dominique Cabrera (et Maylis de Kerangal) font comme si elles la chantonnaient et y rajoutent "... et la Corniche". Et l'amour aussi. Ce trio adolescent est aussi mimi entre ciel et mer que sur son scooter. Ils sont tellement... émouvants, d'autant plus qu'hormis Lola Creton qui joue Suzanne, tous les autres sont non professionnels, mais comme ils jouent leur propre rôle on ne s'en rend (presque) pas compte, juste on perçoit parfois cette fragilité dans le jeu qui les rend encore plus touchants.
Et puis la métaphore du vertige (ou de la chute) pour figurer le sentiment amoureux, (la façon dont on s'avance jusqu'au bord avant de se lancer, en fermant les yeux ou pas, en donnant la main ou pas...) est assez exacte. et je pourrais conclure avec une dernière chanson, Vertige de l'amour, bien sûr, pour rester dans le ton.
Si vous êtes en retraite, profitez-en pour aller les voir! (en plus, ça vous rappellera votre jeunesse...)
Ah tiens, au fait : et bon printemps!!!

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la version vertigineuse (en contreplongée)

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... et la version "recadrée", moins intéressante graphiquement

* (François Deguelt, hihi qui s'en souvient ?)

19 mars 2017

d'abord les mélancoliques

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L'AUTRE CÔTÉ DE L'ESPOIR
d'Aki Kaurismäki

Le temps d'un petit Perrier-menthe (printemps proche oblige) pour faire passer Grave, et on retrouve Emma devant le Victor Hugo pour ce film très attendu (vu que Kaurismaki l'annonce -une nouvelle fois- comme son dernier, mais si si promis juré craché cette fois c'est vraiment le dernier).
Et qui m'enthousiasmera violemment d'un bout à l'autre. J'avais trouvé Le Havre très sympathique mais. (Je ne me souviens plus vraiment d'ailleurs du pourquoi de ce bémol -ou de ce dièse ?- mais qu'importe.) Je m'attendais donc à nager dans les mêmes sympathiques eaux (on est d'ailleurs à nouveau dans un port). Mais là ce fut ooooooh dès le début (l'admiration qui vous coupe parfois la respiration et vous embue tout aussi parfois les yeux). Et ce le fut jusqu'à la fin.
Un bateau, donc, et dans la soute un mec qui sort du charbon, et s'en va, tout noir, aux douches d'abord, puis au centre d'accueil, puis à la préfecture (ou l'équivalent finnois) pour demander l'asile politique en tant que syrien. Ce brave homme a, en plus, de vagues airs de Riad Sattouf, ce qui le rend encore plus attachant.
Parallèlement on suit un bon gros finnois très kaurismäkien (taiseux et fumeur), qui part un soir  de son appart' très kaurismäkien (mobilier couleurs et accessoires) en posant sur table, devant sa femme qui boit, ses clés et son alliance, puis liquide son stock de chemises à moitié-prix et joue l'argent au poker pour ouvrir un restaurant.
Jusqu'à ce que ces deux-là finissent par se rencontrer, assez tard dans le film d'ailleurs (la scène est délicieusement kaurismäkienne aussi). Et que, de fil en aiguille (même si fil blanc et aiguille rouillée) on sache ce qui se cache, justement, de cet autre côté de l'espoir. Pour ce qui est du filmage, c'est du Kaurismäki pur jus, ce qu'on adore, cette façon de styliser, de minimiser, d'aller en apparence au plus simple. L'indispensable, le vital, que si tu enlèves encore quelque chose il n'y a plus de film. Le détail. Un simple geste filmé en gros plan, sans effusions, souvent sans mots. Cette bonne vieille économie de cinéma de notre Aki chéri. A l'iconographie reconnaissable entre toutes (comme le disait Dominique à la sortie, très justement, en regardant une image, une seule, on sait déjà qu'on est chez Kaurismaki. Couleurs, accessoires, attitudes, décors, cadrages. Mais un aveugle, c'est sûr, pourrait s'y reconnaître tout autant (les dialogues, mais aussi les textes des chansons plutôt kitchissimes -ça aussi j'adore- qui rythment le propos à intervalles réguliers).
Minimalisme, sècheresse, soit, mais avec le pouvoir (la force) de réaliser soudain des scènes qui vous terrassent (le récit du "voyage" de Khaled, en plan fixe et face caméra en est une, et celle où il joue de la musique, dans la chambre, au foyer, en est une autre). Jamais Kaurismäki ne s'apitoye, rarement ses personnages s'émeuvent, en apparence, mais des scènes affleurent et le prouvent (la blonde du centre d'accueil, par exemple) et la façon dont ils se serrent, s'étreignent, ne trompe pas...
Bien sur, ils ont tous des tronches de cache-ta-joie (je pense qu'on ne verra pas un sourire de tout le film), ils fument comme des pompiers (on a l'impression de puer la clope en sortant de la salle), ils ne sont pas expansifs, mais quelle humanité, quelle belle humanité! (et quel sens de la famille).
Il sera question des flux migratoires, des nationalismes exacerbés, des massacres à Alep et ailleurs, des frontières fermées, de l'asile politique, de la difficulté de l'obtenir (autant que les papiers d'identité). Et des contrôles de police. De la façon dont la Finlande peut s'ouvrir au monde (ou le contraire). et aussi de la façon dont, en Finlande, c'est comme partout, il y a des gens très bien et il y a des gros cons. (mais ici ouf! les gros cons n'ont pas le dernier mot, c'est pour ça qu'on peut parler de conte, ou de fable.)
Si c'est vraiment le dernier film, alors le dernier plan en est encore plus fort. Un mec, un arbre, un chien. Et un regard, presque un sourire.

Top 10

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18 mars 2017

juste un doigt...

070
GRAVE
de Julia Ducournau

Ce qu'on appelle un gros buzz... Un film d'horreur franco-belge, réalisé par une demoiselle, doublement primé à Gérardmer 2017 (Grand Prix et Prix de la critique), primé à cannes aussi (prix Fipresci), encensé (diling diling -ceci est un bruit de cloches qui sonnent à toute volée-) par quasi toute la presse écrite (seul Libé met un bémol à cette unanimité clapclapante), forcément, ça  donne envie (même si le thème, ou un des thèmes du film, le cannibalisme -je préfère anthropophagie, on comprend moins de quoi il est question- ne m'avait jusque là guère réussi : le Trouble every day de Claire Denis m'vait été assez pénible...).
Premier jour, première séance, on s'y enfile, avec Dominique, pour s'ouvrir l'appétit avant le Kaurismaki qui va suivre. On est dans la petite salle du Victor Hugo et on n'est pas beaucoup, qu'importe. on s'installe, on frémit, on a peur d'avoir peur... Et ça commence. Et, déjà, la scène d'ouverture est un beau travail cinématographique. (un prologue qu'on comprendra mieux par la suite). On réalise qu'on connaissait déjà un peu la réalisatrice (Julia Ducournau) et son actrice principale (Garance Marillier, impressionnante) parce qu'on avait vu celle-ci dans un court-métrage de celle-là, Junior, Au Festival de Clermont, et qu'il y était déjà question d'une adolescente, de maladie, de mutation, de revanche... Mais d'un certain humour aussi. Ca démarre bien, et on est encore plus heureux quand on voit à l'écran le coloc de Justine (l'héroïne), qui est joué par Rabah Naït Oufella (qu'on avait adoré dans Nocturama, à quatre reprises quand même.)
Justine est végétarienne, comme le reste de sa famille, elle intègre une école de vétos, où elle retrouve sa soeur aînée, et doit donc subir le traditionnel (et épouvantable -et imbécile-)  bizuthage, en compagnie de tous ses jeunes coreligionnaires. Et lors de ce fameux bizuthage, on la force à manger de la bidoche crue (un truc assez peu ragoûtant, d'ailleurs, genre rein de lapin). Et c'est là que les ennuis commencent. Pour Justine, d'abord, qui va assez vite en ressentir les effets, inattendus, puis pour sa soeur, qui va lui montrer l'exemple, et enfin pour son coloc', mignon à croquer (ce sera grosso-modo le trio infernal du film). Le film est interdit aux moins de 16 ans, et on s'attendait donc presque à pire, question gore, et bien pas du tout (en tout cas pas tant que ça). Je n'irais pas jusqu'à dire qu'on en est déçu (on avait quand même tous les deux l'estomac un peu chamboulé à la sortie du cinoche) mais j'avais peur d'un truc beaucoup plus tripal et sanguinolent.
Le film est très intelligemment construit construit son petit escalier du dérangeant une marche après l'autre. Aux épreuves dégueulasses (à tout point de vue) du bizuthage répondent les changements successifs de Justine. Ses réactions et leurs conséquences. Julia Ducournau serait pour moi un genre de Kathryn Bigelow (une réal' qui filme comme un mec -avec tout ce que cette précision peut avoir de sexiste, j'en conviens) sauf qu'elle ne monte pas une machine de guerre cinématographique (même si les scènes de bizuthage peuvent s'apparenter à du para-militaire). Elle fait le portrait d'une demoiselle qui se transforme, d'une ado qui devient adulte, ou comment utiliser une métaphore (le cannibalisme) pour évoquer un dilemne moral face à la transgression, un problème crucial, quasiment un choix de vie.
Avec un sacré beau filmage à bras-le-corps, au service d'une interprète vraiment impressionnante.
Marquant (comme des traces de morsure).

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