madame thérouanne et le compteur à budget
LA FILLE INCONNUE
de Luc et Jean-Pierre Dardenne
(Pardon pour le titre, je n'ai pas pu m'en empêcher, mais je n'ai rien inventé, il en est vraiment question dans le film, même si très furtivement... ceux qui me suivent comprendront!). Bôô cinéma, séance de retraités, on est 9 dans la salle (et je suis le seul mec), pour ce Dardenne qu'on a en sortie nationale, et dont j'apprends par Marie à la sortie du ciné que, justement il a été remonté pour sa sortie, après le plutôt frais accueil Cannois qu'il avait reçu. Il est question de "7 minutes en moins", et d'un "nouveau film" (pour ceux qui ont vu les deux versions...)
Cette version-là me convient très bien, à une (toute) petite réserve près, la révélation du coupable à la fin du film qui ne me semble pas indispensable, ou tout du moins de ce coupable-là (et dans ces conditions-là). Jusque là, je me disais "Un Dardenne im-pec-ca-ble, mais qu'est-ce qui donc les avait ainsi chiffonnés, quelle mouche cannoise les avait donc piqués ? " (mais, tiens, cette scène-là, précisément Téléramuche a adoré, et qualifie même de "une des scènes les plus fortes que les Dardenne aient jamais tournée". Don't act.).
Adèle Haenel incarne un jeune médecin confronté à un problème de conscience : la mort d'une femme survenue après qu'elle ait eu refusé de lui ouvrir la porte de son cabinet, un soir, une heure après la fin de sa journée de travail. Elle culpabilise, et, pour elle tout va désormais se polariser autour de cette femme inconnue à laquelle elle voudrait, simplement, redonner une identité. Une reconnaissance.
Encore une bien belle héroïne dardennienne (j'adore Adèle Haenel, dois-je le préciser) confrontée à toute la Misère du Monde (dans le sens Bourdieuesque), grisâtre humide et froide, de pauvres gens, comme vous et moi, de petites vies, de salauds ordinaires, au fil de son investigation obsessionnelle. On est chez les Dardenne, et on a donc le plaisir de voir passer quelques habitués, la famille proche (Olivier Gourmet en fils et Jérémie Rénier en père, ça change !).
Jenny la doctoresse, dans son duffle-coat à gros carreaux, entêtée comme un petit animal (Adèle Haenel est sensationnelle de justesse), fouine, s'obstine, persiste et signe, subit quelques agressions verbales, se fait secouer à plusieurs reprises, "remettre à sa place", mais finira par découvrir le fin mot de l'histoire. En mettant son nez dans quelques affaires qui ne la regardent pas vraiment.
Mais attention, on n'est pas chez Agathie Christie, hein, on serait plutôt chez Simenon, infra-ordinaire, je le redis, petites gens, familles, petites douleurs ordinaires pour lesquelles Jenny est à chaque fois à l'écoute, et le prouve. Elle fait avec grande conscience son travail, mais l'accomode avec son idée fixe. Inlassablement.
Le scénario a tissé également une jolie trame secondaire en mineur, entre Jenny et Julien, son stagiaire qu'elle a secoué un peu, d'ailleurs, au début du film.
Un beau film, sans apprêt (aucune musique à part une petite chanson de remerciement, générique sur fond de bruits de circulation anonymes), avec une caméra attentive et posée (ouf, on est loin de Rosetta) et des cadrages toujours aussi minutieux.