avec un r ou deux ?
BARROCO
d'André Téchiné
A chaque fois, je doute, après avoir vu la jaquette du dvd, le programme télé, les différentes sources gougueul, même l'affiche! et je vérifie une nouvelle fois, mais, au générique du film, le vrai, donc, c'est écrit barroco, en lettres bleues sur fond de marigot mais partout ailleurs c'est écrit barocco : tout le monde se tromperait-il ? Ou bien personne ne s'en est-il aperçu ? (Ce film, qui se plaît à jouer sur le thème du double, s'est donc ainsi fabriqué lui-même un jumeau fantôme, mais je suis bien le seul que ça a l'air de préoccuper.) Comme (dans le film) un assassin brun peut prendre exactement l'apparence de sa victime blonde, barocco peut impunément se changer en barroco...
Barroco, donc, en décembre 76, au Cinéma Vox à Besançon, le film vient de sortir et j'y suis, sans doute dès la première séance, et ça me plait tant que je reste à la séance suivante (en ce temps-là le cinéma était dit permanent, et on pouvait donc y rester plusieurs séances si ça nous chantait). C'est l'époque où je suis en train de découvrir, grosso modo, le cinéma en général, et celui de Téchiné en particulier (j'ai déjà vu le magnifique Souvenirs d'en France, avec Jeanne Moreau, et, déjà, Marie-France Pisier -quand est-ce qu'on va enfin se décider à ressortir ce film ???- et je suis donc venu voir celui-ci, dont je ne sais rien, à part le couple vedette, Adjani/Depardieu)
Barocco... Trente neuf ans et quelques plus tard (hier soir, donc) le film était diffusé sur Ciné Classic, ça tombait bien, j'étais sur mon canapé, (je n'avais rien prémédité) et une fois de plus je me suis laissé embarquer (j'ai bien dû le voir déjà 50 fois auparavant, mais quand on aime...). Là, quand même ça faisait quelques années que je ne l'avais pas revu.
Barroco, c'est, d'abord, la musique de Philippe Sarde (je pense que c'est la plus belle qu'il ait jamais composée), j'avais même acheté le vinyl (à Luxeuil!), que je dois toujours avoir quelque part... Dès le générique elle vous cueille, des cordes, un romantisme fiévreux, quelque chose de violent et de passionné, d'un peu mystérieux... ça donne le ton, c'est efficace. (Cette musique, elle sera d'ailleurs réemployée telle que, sans tambour ni trompette par Jean-François Stévenin (dont je n'ai pas encore parlé), qui la mettra sur ses images à lui pour le très beau aussi Passe-Montagne... -et réflexion faite, elle reste plus associée dans mon souvenir avec la combe du film de Stévenin-).
Barroco, c'est, ensuite, une distribution magnifique : Adjani et Depardieu (et même Depardieu deux fois, en blond et en brun), d'accord, mais, autour d'eux, Marie-France Pisier, Hélène Surgère, Jean-Claude Brialy, Julien Guiomar, Claude Brasseur, et le très bôô (je le découvrais là) Jean-François Stévenin, dont les yeux bleus et la barbe de 3 jours n'ont dès lors jamais cessé de m'enchanter...
Barroco, c'est, encore, une série de variations (scénaristiques et cinématographiques) sur le thème du double de la symétrie et du reflet (le tueur et la victime, deux fois un impact de balle dans une paroi vitrée, le décor du sauna, de la boîte de nuit, la chanson de Marie-France "On se voit se voir")de la confusion d'identité (on y revient) qui m'avaient permis de mettre sur pied une théorie du "reflet du reflet" dont j'étais assez fier.
Barroco, c'est, pourtant, une mise en route un peu complexe, un début très embrouillé où on a un peu de mal à savoir qui est qui qui fait quoi et qui veut quoi (deux candidats à une élection donnent chacun la même somme à Samson, un boxeur (Depardieu), l'un pour qu'il parle et l'autre pour qu'il se taise, la symétrie déjà). Un synopsis embrouillé, et presque retors. Un peu trop.
Barroco, c'est peut-être le film du trop, de l'excès : trop de confusion dans les événements, trop d'intensité dans l'amour, trop de lyrisme dans la musique, trop d'emportement dans les sentiments, trop de raffinement dans la mise en scène, trop d'argent dans le sac de Laure, trop de vent sur le pont , on est comme transporté, au milieu de cette nuit amsterdamaise (oui, il s'en passe des choses, dans ce port, hihi), et on se laisse bringuebaler avec bonheur...
Barroco, c'est, toujours, une Adjani magnifique (à l'époque, elle était vraiment jeune), sublime, lumineuse, emportée, exacerbée... (je pourrais continuer longtemps, mais vraiment je pense qu'il s'agit là d'un de ses meilleurs rôles), avec, en contrepoint, une Marie-France Pisier grandiose, baroquement grandiose (Jean-Louis Bory en avait fait à l'époque une critique enamourée) dans un rôle de "prostituée en vitrine", drôle, touchante, décalée, et c'est sur elle d'ailleurs que se clôt le film. Hélène Surgère, en bras droit du directeur du journal (Brialy) est, elle aussi, toujours aussi sublime, dans un rôle peut-être plus en retenue que celui des deux autres personnages féminins.
Barroco, c'est, aussi, une pellicule qui a parfois un peu mal vieilli (ou plutôt un peu souffert des possibilités techniques de l'époque : les premières scènes, par exemple, extérieur nuit sont un peu caca-bouilla d'image, question grain et éclairage, à moins que ce ne soit ma téloche qui était mal réglée, ou mes lunettes pas propres ?)
Barroco, c'est, toujours, des images et des scènes qui restent : Adjani qui se recoiffe au patit matin en se regardant dans une lame de couteau, Marie-France Pisier qui savoure appuyée au mur la première bouffée de cigarette, Depardieu qui casse l'ambiance en faisant sauter à l'improviste le bouchon de la demi-bouteille de champagne au début de la radicale, Stevenin qu'on sort du sauna, trempé et à moitié groggy, Hélène Surgère jouant tous les rôles lors de la projection du testament filmé de Brialy, le calme trompeur de Julien Guiomar, Adjani à reculons bousculée par la foule, Depardieu brun chantonnant, Marie-France glamourissime... (aaaah je pâme)
Barroco, c'est beau comme un rêve de fièvre.