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lieux communs (et autres fadaises)

13 avril 2015

qu'il est donc doux de rester sans rien faire

... tandis que tout s'agite autour de soi...
(Jacques Higelin, Poil dans la main)

LIBRE ET ASSOUPI
de Benjamin Guedj

Un joli "petit" film, vu cet après-midi, et que je n'aurais en principe jamais dû voir, mais le hasard a fait que. J'étais sur un site de téléchargement un endroit interdit où on n'a pas le droit d'aller et où donc je n'irai jamais puisque je n'ai pas le droit et donc j'ai vu l'affiche d'un film qui me disait vaguement quelque chose, (j'avais dû la voir au moment de la la sortie du film et je n'avais pas eu plus envie de le voir que ça, d'ailleurs je dirais même qu'il n'est jamais arrivé jusqu'à nos contrées cinéphilement reculées, et donc je l'avais oubliée) mais qui acquérait soudain un intérêt nouveau, puisqu'y figurait Félix Moati (fort apprécié récemment dans A 3 on y va), et, j'ai honte mais je suis franc, l'accroche suivante le concernant :"le kiff pour Bruno c'est d'être en slip, il est slipiste" (oui j'ai honte, messieurs les publicitaires je ne vous félicite pas d'utiliser de si vils arguments et surtout, que ça marche!)
Je l'ai donc téléchargé souhaité très fort et hop! il est apparu miraculeusement sur mon ordinateur au bout d'un certain temps, alléluia, alléluia! et j'ai pu ainsi commencer à le regarder, prêt à zapper sans pitié à la moindre déconvenue...
Et bien, que nenni! Nulle tristesse ni colère ne se lisait sur mon visage au moment du générique de fin, au contraire. C'était plutôt la combinaison d'un sourire attendri et d'un semblant de larmichette pointant, ce qui chez moi est plutôt bon signe...
Le film commence avec un jeune homme (Baptiste Lecaplain) qui parle à la caméra (à moi donc) et m'expose, de but en blanc ses mécaniques intimes masturbatoires ("parce que c'est un sujet délicat pour en parler et comme ça ça sera fait") avant de se présenter, et là, j'ai un moment de trouble : ses envies, ses ambitions, son plan de vie, sont exactement les mêmes que les miens furent : Rien ! Il ne veut rien. Il n'a pas envie de travailler, il veut juste rêvasser, regarder le plafond, oui, il veut ne rien faire (vous saisissez la nuance ?) alors qu'en principe l'âge est arrivé pour lui de se trouver un job, etc.
Le voilà en coloc avec Anna, une ancienne copine de fac (il est bardé de diplômes), et Bruno, un jeune homme  barbichu (voilà Félix Moati, un peu gentiment bourrin et amoureux transi d'Anna -Charlotte Le Bon-). Jeunes gens, appartement, cohabitation, confidences, insouciance, fou-rires, le contexte est familier, et tout à fait plaisant. Les histoires des mecs (qui tournent bien sûr autour des filles, bien sûr), mais celles des filles aussi (qui essayent de comprendre les garçons, c'est un film très hétéronormé, mais ça ne me dérange pas, voyez comme j'ai l'esprit large.) Dans cet appart, entre ces trois personnages, flotte un délicieux parfum d'adulescence, d'inachevé (le désir de Bruno pour Anna, la complicité d'Anna et Sébastien dans le dos de Bruno, la complicité "virile" des deux garçons)  comme si les gamineries, (les palabres et les jeux),  servaient surtout à (se) protéger, à laisser sans réponse des questions trop explicites.
Sébastien (le jeune homme qui ne veut rien faire) va "s'inscrire au RSA", où se lie d'amitié avec son conseiller -enfin, le deuxième-  (Denis Podalydès), qui décide même de le couvrir dans sa quête d'inaction, et la vie continue... Anna bosse (dans une maison d'édition), bruno enchaîne avec vaillance les petits boulots merdiques, et Sébastien ne fait rien, ou presque. Jusqu'à ce que...

Le film est très agréable, parfois un peu indolent (à l'image de son personnage principal) mais plein de petites notations délicieuses, de scènes drôles, surprenantes, attendrissantes. (le musée, l'ours, Valentine Caillou...). Un vrai "film de gens" comme je les aime (qui m'a évoqué lointainement, par sa structure, ce qu'il raconte, et ses fréquentes adresses-public le délicieux 2 automnes, 3 hivers), qui accompagne avec tendresse ces trois jeunes gens dans leur passage à l'âge adulte, chacun à sa manière, et qui laisse, oui, un petit goût agréable, le sucré  dissimulant la légère amertume que pourrait apporter le fait de grandir,  l'"installation", l'entrée dans une certaine norme, la fin des rêves d'adolescence, ou pas, d'ailleurs.
Oui, un joli petit film.

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12 avril 2015

et, pourquoi pas ?

A TROIS ON Y VA
de Jérôme Bonnell

Oui, qui se souvient de Pourquoi pas! le deuxième film de Coline Serreau ? Un trio amoureux (deux mecs et une fille : Sami Frey et Mario Gonzalès, et Christine Murillo -dont ma soeur dit que c'est notre cousine mais je ne suis pas sûr...-), dans la France de la fin des années 70, un parfum d'utopie amoureuse, de l'amour, de l'humour, on s'en était bien bien régalé à l'époque, avec les copines et les copains (j'avais arghh à peine 20 ans), on avait même cru d'ailleurs un moment que ça pouvait être un modèle mais on s'était vite rendu compte que non non.
J'ai repensé à Pourquoi pas! en voyant A trois on y va. Par la similarité de la situation amoureuse (ici, on a deux filles pour un garçon, les temps changent), par l'injonction donnée par le titre, par ce ballet des sentiments, ce trouble, cette confusion, oui, qui constitue(nt) l'essentiel de la matière -soyeuse et chatoyante- du film.
Jérôme Bonnell, d'abord, parlons-en un peu. Un réalisateur qu'on aime beaucoup par ici (n'aurait-on pas d'ailleurs passé quasiment tous ses films dans le cadre de notre programmation dans le bôô cinéma ?). Un réalisateur "discret" sans doute, mais pour lequel j'éprouve une énorme tendresse, surtout depuis le magnifique J'attends quelqu'un, (et la révélation que j'en avais eu de la divine Florence Loiret-Caille). Il y a des noms de réalisateurs, comme ça, qui me font éprouver de l'impatience quand je vois qu'ils vont sortir un nouveau film : Bonnell, Ameur-Zaimèche, Weerasethakul, Jarmusch, Porumboiu, Zang-Khe... Tiens ça y est je bave...
Parlons aussi d'Anaïs Demoustier, découverte-en moineau notamment !-  dans l'aérien Bird people de Pascale Ferran (tiens, elle aussi, que j'aime énormément, avec une belle constance...) ; elle "confirme", ici, (plus que dans le film d'Ozon) toutes les raisons qu'elle a de me plaire, mais il faut dire qu'elle est magnifiquement entourée/soutenue par ses deux "partenaires" amoureux : Sophie Verbeeck et Félix Moati.
C'est l'histoire d'une jeune avocate qui vit un début histoire d'amour compliquée avec une autre jeune femme, histoire qui va encore se compliquée quand une nouvelle relation va se nouer entre la jeune avocate et le copain de l'autre demoiselle... Bonnell filme tout ça avec son élégance habituelle, mais sans jamais trop s'apesantir, tout se joue comme une comédie un peu légère, sensuelle, pleine d'élans, de doutes, d'hésitations, de virevoltes, de ressorts comiques parfois presque boulevardiers (Ciel mon mari! cache-toi ma chérie) mais surtout beaucoup de grâce, de tendresse, d'attention(s). Une construction plaisamment (et discrètement) géométrique, avec des parallèles et des symétries, entre autres figures (sans oublier les hyperboles et les tangentes -celles qu'on prend-).
Plus que d'un film choral, il serait surtout question ici d'un trio (à cordes) cherchant l'accord parfait pour jouer le mieux possible la même (vieille) partition. C'est délicieux, c'est drôle, c'est attendrissant. A la sortie, j'ai dit "c'est charmant" comme j'aurais pu dire "ça m'a enchanté".
Et je ne partage pas les réserves de Jean-Luc (et d'autres) sur les fameuses trois dernières minutes. Telles que, ça me va tout à fait, il y a des indices qui pouvaient l'annoncer, me semble-t-il. (j'aurais été un peu gêné au contraire que ça se termine comme ça juste avant sur la plage.) Les happy endings de 2015 ne sont pas ceux de 1977, et c'est tant mieux!

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11 avril 2015

téléphone cassé / tango raté

(bouts de rêve)

Dominique a cassé mon téléphone...
Elle me le rapporte, et me le lance en me conseillant de le rattraper. Évidemment je n'y arrive pas et il tombe par terre. Le téléphone a l'air intact mais il y a, tombés autour de lui, des pièces et des morceaux qui semblent venir de l'intérieur.
Je la remercie ironiquement d'avoir cassé mon téléphone, elle part en se mettant à pleurer très fort et très exagérément. (on la voit -et on l'entend-  s'éloigner assez longtemps)
Je la regarde partir en pleurant et je réalise que j'aurais pu au moins lui dire que mon téléphone est dans ma poche (je pose ma main dessus) et que je suis en train de rêver. Je la retrouve assise sur des gradins (pour assister à un spectacle ?) et je lui dis en riant que ce n'est pas la peine qu'elle s'inquiète, puisqu'on est tous les deux en train de rêver, on est dans le même rêve!
(et je lui dis que c'est la première fois dans un rêve que je dis à quelqu'un qu'on est en train de faire le même rêve...)
Nous rions tous les deux (et même le monsieur qui était assis juste derrière nous)

*

Je suis dans une pièce avec beaucoup de monde (beaucoup de monde que je connais) Passe une demoiselle, et je l'empoigne pour danser (j'ai ma main droite sur sa hanche, et la gauche qui tient sa main, comme pour une danse de salon traditionnelle. Nous commençons à danser, on avance en se frayant un passage au milieu de tous les gens, c'est difficile de tourner, il n'y a pas beaucoup de place.
Je lui suggère de danser autre chose, la java par exemple, et lui montre le petit déhanchement qu'il faut faire
On essaye plutôt de danser le tango (j'ai du mal à tourner)
Je danse à présent avec Pépin, il m'explique qu'il me faudra "beaucoup de temps et de patience pour apprendre à tourner, de très longues années..."
Je lui réponds que si je n'arrive pas à tourner c'est à cause de lui, qu'il est beaucoup trop lourd
Je dois à présent danser avec Thierry, je lui demande s'il connaît "Savez-vous planter les choux ?" et il me répond très sérieusement que oui c'est son morceau préféré
Je suis face à lui, je suis tout petit et il est exagérément grand (je le vois en contreplongée) comme dans un dessin de Dubout, pensé-je, d'autant plus qu'il y a une personne, puis une autre, qui grimpent successivement sur ses épaules

11 avril 2015

à gorge déployée

THE CUT
de Fatih Akin

Non, je plaisante... (le titre).
Finalement, j'ai quand même réussi à le voir (mauvaise semaine pour "nos" films dans le bôô cinéma : il était programmé deux fois seulement -comme le film de Tariq Teguia-, une, justement en même temps que lui -c'est ballot!- et l'autre, heureusement, en ce Mardi de Pâques -ah bon, ça n'existe pas ? -). On avait tenu à le passer, malgré les critiques pas franchement enthousiastes, parce que, bon, c'est quand même notre Fatihchounet chéri-chéri de Head on, de Soul kitchen, et, surtout surtout de De l'autre côté, alors, hein...
En plus, l'affiche annonçait Tahar Rahim (en gros) et Simon Abkarian (en plus petit), deux raisons de plus de ne pas de priver... 2h19 (dont un générique final de plusieurs kilomètres qu'on a suivi jusqu'au bout avec Christine pour voir où ça avait été tourné : Malte et Jordanie!), et des milliers de kilomètres aussi dans le film, puisque notre héros part d'Anatolie en 1915 pour arriver à Minneapolis (et même un peu plus loin) en 1923!
Fatih Akin a visiblement fait péter la tirelire dans une superproduction (il faut voir la liste impressionnante des co-producteurs) qui a dû coûter plus que bonbon (il nous avait habitués à plus simple!), une ample fresque historico-familiale, qui, si elle se laisse voir avec plaisir (je n'ai même pas fermé l'oeil une demi-seconde!) laisse quand même à la fin un léger léger arrière-goût de déception. Jusque là, Fatih, j'adorais sans arrière-pensée (Ah si Polluting paradise n'était -franchement- pas inoubliable mais bon c'était "juste" un doc.)

Là, j'ai pensé "Il s'est pris les pieds dans le tapis de ses moyens" et comme la formule m'a plu, alors je vous la livre telle quelle.

Le début du film est agréable, Tahar Rahim est mimi comme tout en forgeron aux mains noires, sa femme est jolie, ses fillettes adorables, les voisins charmants, et tout et tout. La vie au village, youp la boum. Ca bascule assez vite et tragiquement, puisqu'il est s'agit du génocide des Arméniens par les Turcs (et Tahar, qui s'appelle Nazaret dans le film, est Arménien), sujet toujours tabou en Turquie, d'ailleurs. Le voilà emmené en pleine nuit, avec tous les hommes de plus de 15 ans, puis employés à casser des cailloux pour construire des routes, et finalement emmenés* dans une marche terrifiante qui aboutira à l'égorgement de presque tous les hommes sauf un (Nazaret, gracié par celui qui devait lui trancher la gorge mais en est incapable et ne fera qu'enfoncer son couteau dans son coup, lui causant une vilaine blessure et le privant de la parole, mais produisant assez de sang pour faire croire qu'il est mort.) Je ne devrais pas l'avouer, ça va faire mauvais genre, mais il y a une scène qui pourrait devenir culte dans mon cinéma personnel d'après minuit, lorsque Tahar, mourant, frotte son visage barbu contre le visage barbu de son frère* allongé à ses côtés, mais qui lui est mort. Une scène magnifique.
Puis son "sauveur" revient le chercher à la nuit, et les voilà tous les deux qui crapahutent dans le désert, rencontrent des soldats déserteurs, les suivent, et  là  Nazaret décide, après avoir appris qu'elles sont toujours vivantes, de revenir sur ses pas, pour partir à la recherche de ses deux filles jumelles, Arsinée et Lucinée... Il rejoint d'abord un camp de réfugiés. La reconstitution est tellement colossale qu'elle pourrait avoir coûté la moitié du budget du film, c'est la première scène où on se dit "là, peut-être c'est quand même un peu too much...", surtout que le plus important (l'essentiel) est un plan rapproché sur Nazaret et sa belle-soeur*. C'est là qu'il l'a retrouvée, mourante, et qu'elle lui donne un indice pour retrouver ses filles. Le jeu de piste commence, il durera des années et des milliers de kilomètres. Et de toutes ces années, ce qui gène un peu, c'est que notre Tahar joli ne change pas d'un iota -ou si peu- qu'on a quand même du mal à le croire (bon, vous me direz, huit ans, c'est pas la mort tout de même et ça fait plaisir de voir Taharchounet au naturel, plutôt qu'artificiellement vieilli).
Au cours de son voyage, il va changer de pays, rencontrer des gens, certains l'aideront (un fabricant de savons particulièrement bon, un coreligionnaire attachant -Simon Abkarian-), avec toujours cette obsession : retrouver ses filles, tout ça fait avancer le film à un rythme soutenu, alternant les visions sanglantes (réelles ou rêvées) et les scènes de violence avec des moments plus doux (la séance de cinéma, par exemple).
Un film ambitieux, donc, trop peut-être, mais qui ne mérite pas toutes ces bouches pincées criticatoires qu'il a suscitées (dans les Inrocks, Kaganski le qualifie tout de même de "baudruche académique"!) Peut-être que Fatih Akin a vu trop grand, peut-être qu'il a été parfois maladroit dans le traitement de certaines scènes, peut-être qu'il n'était pas indispensable d'aller aussi loin, mais, il y a à la base de tout ça une envie, une énergie, une sincérité indéniable(s) (qu'on connaît bien chez Fatih Akin), qui, par le traitement du film, pourrait parfois  passer pour de la candeur ; n'empêche, on ne peut qu'être touché par cette aventure humaine, impressionné  l'évocation d'un sujet rarement abordé au cinéma.

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* : corrections apportées suite aux remarques de Christine

10 avril 2015

nous qui désirons sans fin

REVOLUTION ZENDJ
de Tariq Teguia

Le troisième film du monsieur (on a déjà passé les deux premiers dans le bôô cinéma). J'avais mis Rome plutôt que vous dans mes films de l'année. Puis j'avais mis aussi Inland dans mes films de l'année. Et je mettrai encore Revolution zendj dans mes films de l'année. Du cinéma qui m'émerveille, me fait venir les larmes aux yeux et palpiter le plexus , oui, qui m'enchante et me fait ronronner cinéphiliquement de contentement.
Le début, par exemple, est fracassant : du blanc cramé sur l'écran (Tariq Teguia aime les blancs cramés), on devine un homme qui marche (j'ai pensé au topographe d'Inland), qui se rapproche de nous, doucement, flouement (je suis obligé d'inventer des adjectifs) tandis que monte lentement un son de guitare(s) qui lui aussi m'électrise (je n'ai pas réussi à voir au générique de fin de qui il s'agissait) et que viennent s'inscrire sur l'écran les petites polices (Tariq Teguia aime les petites polices) des noms du générique, sur fond rouge-orangé me semble-t-il, jusqu'au très graphique titre, découpé en carré.
On est ensuite dans le film, le même homme qui marche, d'autres hommes, des visages enturbannés, filmés frontalement, cadrés splendide. Qu'est-ce que tu fais là ? lui demandent-ils (et ils semblent alors le faire au spectateur aussi.) Ils le laissent passer. Nous aussi.On le suit, on les suit. (J'avais presque du mal à reprendre mon souffle tellement je jubilais.) Et on passe à autre chose, ailleurs. Oui, la première chose qui frappe c'est l'ahurissante perfection plastique. Tout le temps, à chaque plan, à chaque image. Sans personnages dedans, déjà, chaque cadre (tableau) leur préexiste, de toutes ses forces. Couleurs, textures, composition, angle de prise de vue, focale, chaque plan mérite la contemplation. L'admiration. Le temps qu'on prend.
Passé(e) cette fascination initiale (qui perdurera pendant tout le film, jusqu'à la dernière seconde), le spectateur doit (peut) ensuite être attentif, car y  paraissent des personnages (certains devant, d'autres plus fuyants, parfois même fantômatiques), qui y disent (se disent, nous disent) des choses, et qu'il s'agit alors de reconstruire le propos (ou à chacun de se reconstruire son propos, de par les éléments que le réalisateur nous propose -ou pas-) de tenter d'organiser toute cette fulgurance, -mais est-il vraiment indispensable de vouloir donner du sens à toute proposition plastique  ?- de mettre en place puis de baliser, s'il le souhaite, des petits sentiers transversaux de compréhension. Ou bien d'accepter de se laisser porter, envahir, transporter. De perdre pied, de lâcher prise. D'être voyagé plutôt que voyageant. Ici ou là, quels sens, quelles directions, quels choix. Le film devient alors un atlas fascinant où chacun voyage à sa guise. Mieux qu'un musée, un état des lieux, contemporain,vivant, remué, retracé, distordu, revisité...
Avec ce troisième film, on commence à avoir (un peu) l'habitude de ce que Tariq Teguia nous donne à voir. De ces fragments narratifs, visuels, chromatiques. De ces notes (aussi bien être celles du carnet que celles de la portée.). Propositions, installations, détournements, situations. Il semble que cette fois que le propos se soit -géographiquement- encore élargi. Il est question de l'Algérie, toujours (le "personnage principal" est un journaliste algérien) mais il sera aussi question du Liban, de la Grèce (le deuxième personnage principal est une jeune fille, grecque, qui nous emmenènera d'ailleurs jusqu'à Athènes, dans un final rageusement rouge et noir), de l'Irak (où l'on verra le troisième personnage principal en plein délire de reconstructions commerciales et lucratives) et même des Etats-Unis. Beyrouth Bagdad Bassorah (j'ai retenu les villes en B. même si on finira sur une ville en A).
Question aussi de révoltes, de soulèvements, de répression, de révolution, oui ("La révolution, ça veut dire tourner... " Béjart, samplé par Hugues Le Bars). De foyers de. D'épicentres. d'insurrections qui viennent. Le "zendj" du titre est celui d'une tribu d'esclaves noirs qui se seraient révoltés au XIème siècle en préférant la mort à la soumission, et c'est à leur recherche que s'est lancé le journaliste algérien). C'est dommage, le film ne passe plus (il n'était projeté que deux fois, dont l'une où je ne pouvais pas être là) et je ne pourrai donc pas le revoir dans l'immédiat (peut-être à Paris à la fin du mois ?).
Hervé, me semble-t-il avait émis quelques réserves, historiques peut-être, ou sur la définition de certains personnages, je ne suis plus sûr. Moi, presque rien. (Peut-être juste sur le pourquoi de la nécessité de remettre deux fois la même scène (le "théâtre moderne" des jeunes grecs) filmée quasiment de la même façon.) Je me suis juste laissé allé, comme un bout de bois entrainé par le courant, flottant admirativement, ballotté baladé entre élégie et épopée, me disant, à la fin, ébloui, "oui, pour moi, c'est ça le cinéma, c'est vraiment ça, c'est tout à fait ça."

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8 avril 2015

ooooooh

Oui, il a commencé à faire  cho, cet aprèm' :

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8 avril 2015

servitude

JOURNAL D'UNE FEMME DE CHAMBRE
de Benoît Jacquot

Ah... Jeanne Moreau...  (soupir)
Eh bien, contre toute attente (je partais d'un mauvais pied), Léa Seydoux compose, il faut le reconnaître, une Célestine qui n'a pas à rougir de la comparaison avec son aînée (entre Jacquot et Bunuel c'est peut-être une autre paires de manches. Comme dirait mon ami Philou "Je n'ai aucun avis sur la question...")... Benoît Jacquot dit s'être recentré sur le livre d'Octave Mirbeau, et je veux bien le croire puisque je n'ai pas lu le bouquin en question. Cette Célestine est tout de même bien effrontée, pour une personne qui a "la servitude dans le sang" : elle marmonne des insultes à l'égard de sa patronne (Clothilde Mollet, plus que parfaite dans l'autoritarisme pincé), tient tête aux mains baladeuses (et pire) du mari de la patronne (Hervé Pierre, idéal de veulerie satisfaite et bonhomme), s'entiche du jardinier (Vincent Lindon hélas coincé en position "je ne bouge pas un muscle de mon visage pour montrer quel monstre de virilité je suis"), et va et vient entre différents postes successifs -il y a parfois des temporalités que je n'ai pas bien saisies- mais toujours finissant par revenir chez les Lanlaire, (oui oui c'est leur nom dans le film, je ne sais pas si c'est ça dans le bouquin).
Du Bunuel j'avais surtout gardé la scène des bottines (oui oui le vieux Señor Luis était fétichiste des pieds féminins et des chaussures qui vont avec) et de Georges Géret, grandiose dans la saloperie mâle (et Jeanne, bien sûr). Du Jacquot je garderai surtout Léa et Clothilde. C'est leur affrontement qui m'intéresse, bien plus que les rapports de la demoiselle avec l'ensemble de la gent masculine environnante. Benoît Jacquot est un cinéaste qui aime filmer les femmes, et les place toujours au centre de chacun de ses dispositifs filmesques (avec des résultats parois éblouissants : Godrèche dans La désenchantée, Ledoyen dans La fille seule, Kiberlain et Huppert dans La fausse suivante, et des plantages tout aussi retentissants -je ne donnerai pas de noms pour ne fâcher personne-) il est donc normal qu'il filme sa Célestine avec amour et convoitise (gourmandise) en laissant le spectateur mâle moyen rester sur sa faim : on tourne autour, on regarde vu de l'extérieur, mais on n'en aura guère davantage, ni téton ni lingerie ni ni. et pour moi c'était très bien comme ça. Le film est à ce diapason-là, plutôt class(iqu)e, un peu engoncé, corseté, comme les tenues de l'époque ("Vous avez une bien jolie toilette, lui dit la patronne à son arrivée, vous l'enlèverez de suite."). On tourne autour, oui, on reste en-dehors. Plutôt dans l'illustration que dans la subversion ou la malversation.
Mais bon,oui oui, je crois bien que j'ai adoré Léa Seydoux dans ce rôle, alors que je me préparais à tout le contraire. Chapeau ! (d'époque, et à plumes, s'il vous plait). Et en plus le plaisir de retrouver, dans un second rôle, le touchant Patrick d'Assumçao (de L'inconnu du lac!)

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(J'aime beaucoup l'affiche)

7 avril 2015

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LA BEAUTÉ DES LOUTRES
Hubert Mingarelli

Je continue ma lecture chronologique des livres d'Hubert Mingarelli (j'en ai encore 7 ou 8 sous le coude, commandé chez un vendeur chez qui les frais d'expédition étaient gratuits au-delà de 26€, mais peut-être en ai-je déjà parlé...) celui-là est, je crois, le quatrième "pour adultes" (ne traduisez par "pour adultes avertis", mais plutôt "pas publié en collection "jeunesse").
Et c'est sidérant de le lire après ce roboratif Club des policiers yiddish que j'aurai longuement savouré. Je me demande s'il peut y avoir deux bouquins (ou deux styles d'écriture) aussi diamétralement opposés, mais qui pourtant me procurent autant de plaisir (mais peut-être pas exactement le même genre de plaisir ? Y a-t-il, d'ailleurs plusieurs genres de plaisir(s) de lire ??)
Un livre plus petit (en nombre de signes), plus ramassé, plus... simple ? (Je cherche mes mots). Autant chez Chabon on était dans la richesse, l'accumulation, la profusion, la gourmandise, l'excès, autant ici on est dans la sobriété, la retenue, l'épure, l'ascèse presque (sans aucune notion de mysticisme ou de religiosité.)

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"L'ascèse ou ascétisme est une discipline volontaire du corps et de l'esprit cherchant à tendre vers une perfection, par une forme de renoncement ou d'abnégation." dit wikipedia
(je ne suis pas certain que le mot ici convienne). Il y a juste un adulte (Horacio) et un (très) jeune homme (Vito), assis dans un camion, la nuit. Nuit d'hiver, route enneigée. Dans un camion qui transporte des moutons qu'ils vont vendre. Et ils se parlent, pendant ce trajet  (Horacio a embauché Vito), ils "font plus ample connaissance"...
Chez Chabon on était presque dans le pantagruélique, là, on est quasiment dans le raclé jusqu'à l'os. Des phrases courtes, des mots simples, des situations banales, des faits, et pourtant une indéniable fascination, qui va en s'approfondissant, en s'enracinant, au fur et à mesure que le récit progresse.
Si Michael C. me donnait envie de recopier des passages, Hubert M. serait, lui, capable de me faire venir les larmes aux yeux avec trois fois rien. Vraiment trois fois rien dans ce qui est écrit, mais tant d'espace justement généré par ses blancs, ses manques, ses silences. Tant de latitude. L'univers "habituel" de Mingarelli est là, dans toute sa force et toute sa simplicité. Deux hommes (un adulte et un enfant), un décor, prenant, même si juste ébauché (la nuit d'hiver, la montagne), un but (ici, "franchir le col"), et des échanges entre les deux. Des champss/contrechamps dirait-on au cinéma. Contrechamps de paroles, contrechamps affectifs, parfois le silence, parfois la violence, parfois la complicité. Quelques autres hommes, au fil du récit (celui à la cigarette, celui de la station-service, celui de la dépanneuse), jusquà la très belle -très simple- rencontre finale avec l'éleveur, et, in extremis, dans la grange, sa femme.
On se prend à rêver à ce qui peut bien remplir les interstices, longtemps après avoir refermé le livre...

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4 avril 2015

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Dimanche soir, le cinquième film... Dans cette même salle où le son est très fort. Manque de bol, il y avait beaucoup de musique, et j'ai donc passé une grande partie du film avec les bouts de mon gilet enfoncés dans mes oreilles pour que mes tympans n'explosent pas. La plus grande originalité du film (et la raison pour laquelle on l'avait choisi), c'est qu'il nous vient de République Dominicaine, et le fait est suffisamment rare pour qu'on le souligne. Pour le reste, le film serait à rapprocher de L'evangelio péruvien vu précédemment. Des cojones et de la testostérone, certes (une guerre des gangs entre les deux moitiés de l'île, Haïtiens et Dominicains, un peu à la West side story) de la violence et du sang (des gros flingues -qui dans cette salle font plus de bruit qu'un train de marchandises passant à grande vitesse-), de l'amour aussi (à la Roméo et Juliette, non pas Capulet et Montaigu, mais, justement Roméo Haïtien et Juliette Dominicaine) un zeste de bible (deux demi-frères, l'un Dominicain - Caïn le fourbe- et l'autre Haitien - Abel le gentil) avec en prime un total refus de happy-end (non seulement le gentil meurt mais le méchant n'est pas puni, mais, surtout, le super super méchant -il y a un personnage de flic pourri pourri assez croquignolet- non plus. Un peu comme dans la vraie vie, quoi.

 

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Le meilleur pour la fin. Et nous voilà lundi soir, pour le sixième film, déjà, dont Hervé m'avait déjà auparavant vanté l'excellence (c'est le plus "vieux" de la sélection, décembre 2013), ce que Téléramuche souligne d'ailleurs aussi en haut de l'affiche. Séance de 18h, avec Manue, une trentaine de spectateurs/trices (trices en majorité, d'ailleurs), les meilleurs auspices, donc. Dès le début (et ça le fera pendant tout le film), je ressens ce truc au plexus, qui se soulève un peu et m'annonce un accès d'émotion intense (une bouffée de), et les larmes toujours au bord des yeux.
Dans les toilettes, une fille se déguise en garçon, avant d'aller rejoindre deux autres ados. On comprend assez vite que, guatémaltèques, ils souhaitent arriver aux Etats-Unis, en traversant pour cela tout le Mexique. Les trois amigos sont rejoints par un quatrième larron, un jeune indien, Chauk, qui les suit d'abord de loin,  pour se rapprocher de plus en plus du trio, malgré les réticences de certains. Les voilà embarqués dans cette Odyssée trans-mexicaine, de train en train, pleins d'illusions, passagers clandestins  d'un voyage cataclysmique qui va leur faire affronter successivement toutes les violences auxquelles peuvent avoir affaire les malheureux qui se lancent dans ce genre de périple. Le film est aussi magnifique que le récit en est éprouvant.  Avec des images  aussi belles que certains personnages sont épouvantables. Diego Quemada-Diaz nous harponne irrémédiablement, alternant sans concessions -sans répit- les petites histoires en pointillé du quatuor/ trio/duo -il y a un effet 10 petits nègres tout au long du film- les approches, rejets, attendrissements de ces ados entêtés et la violence des saloperies auxquelles ils doivent faire face, réussissant toujours à nous surprendre, à nous émouvoir, à nous révolter, à nous choquer. (Tous ces gens qui font de la misère des autres leur pain quotidien). Jusqu'à cette scène finale, glaçante, où le "rêve américain" révèle enfin son vrai visage, sinistre et pitoyable. Un grand film.

4 avril 2015

mes épaules mes épaules mes épaules

UN HOMME
Albin de la Simone

Un autre disque qui a une histoire ; Emma me l'avait recommandé et en rentrant je m'étais rendu compte que je l'avais déjà sur mon ordi (je suis avec la musique comme les écureuils avec les noisettes avant l'hiver, je stocke j'accumule j'entasse je thésaurise) ,  j'avais donc  écouté la chose, et je m'étais arrêté assez vite à cause de la voix du chanteur, qui ne me convenait pas. Trop chétive, trop petite ("pas balèze" il le dit lui-même à propos de ses épaules). pas mon truc pensé-je. J'ai même fini par l'effacer, carrément, un jour de ménage informatique. Fin de l'acte I.
A Clermont, chez Marie-Pierre, un soir, au moment de la tisane post-films et pré-nuit, elle va mettre un disque. Et, allez savoir pourquoi, un truc m'attire soudain l'oreille, ce refrain "mes épaules mes épaules mes épaules" puis un autre texte ce "comment allez-vous faire foutre" et encore un autre, sans que cette (petite) voix m'évoque quelque chose de connu. Un disque très agréable, qui s'accorde parfaitement avec le moment (marie m'a d'ailleurs laissé quelques instants, pour aller dire bonne nuit à sa fille) et quand elle revient, je lui demande qui c'est (je le prends alors pour un autre chanteur français) et lui demande si elle peut remettre "mes épaules". Ca me plait vraiment, cette voix modeste, ces textes qui pourraient passer pour anodins si on n'y prend pas garde, et ces orchestrations raffinées, élégantes. Classieuses.
Rentré de Clermont, je cherche sur mon ordi, vérifie que je l'ai effectivement effacé, me lamente et me désespère, puis envoie un mail à Emma pour lui dire le plaisir de ma (re)découverte, et m'aperçois alors avec plaisir que je peux le récupérer assez facilement (et que l'écho critique pour cet album a été plus que louangeur). Donc je le réécoute en boucle (et avec grand bonheur), je suis allé fouiner sur le ouaibe et youtioube pour dénicher des versions live (le jeune homme est adepte du dépouillement) de ses chansons (ou d'autres, je suis tombé sur un Vertige de l'amour plaisamment plaisant), de ses clips (découvrant l'agréable physionomie du jeune homme, sa jolie barbe de trois jours dans le clip de Mes épaules). J'aime tout l'abum, mais il y en a quelques-unes que j'adore tout particulièrement, notamment celle-ci où je me reconnais tout particulièrement :

Un jour la vie est belle un euphorie nouvelle
Pour un oui pour un non tout va bien pour de bon
Un jour je suis croyant végétalien pratiquant
Plus de sel ni de pain, plus de lait ni de vin

Un jour je m'exaspère j'ai pas les mots je les perds
Je trépigne, je m'égare
Un jour je ressemble à mon père


C'est la crise c'est la crise
Qui m'épuise rien à faire
C'est la crise c'est la crise
Qui s'éternise on va s'y faire

Un jour je donne, je donne, je donne, je donne
Le cœur sur la main, sur le cœur
Un jour je parle fort à raison et à tort
Je m'emballe, je digresse,
Je m'affale et vous délaisse

Un jour je broie du noir
Miné par mes déboires
De la veille et de l'avant veille
Et tout à coup tout m'émerveille

C'est la crise c'est la crise
Qui m'épuise rien à faire
C'est la crise c'est la crise
Qui s'éternise on va s'y faire

Un jour je n'y crois plus pas le coup pas un clou
Moitié plein moitié bu tout est flou tout est fou
Et toc un coup du ciel à nouveau la vie est belle
Pour un oui pour un non tout va bien pour de bon

C'est la crise c'est la crise
Qui m'épuise rien à faire
C'est la crise c'est la crise
Qui s'éternise on va s'y faire
C'est la crise c'est la crise
On va s'y faire

Et je trouve que, finalement, c'est encore plus fort, cette petite voix fluette, pour faire ressortir la beauté, l'amertume parfois, le "double-fond" de ces chansons. Cette apparence en demi-teinte ("sans faire de bruit sans faire de vagues", comme avait écrit Manset pour Gréco.) Une autre approche de la notion de virilité, terriblement séduisante. Addictive. (merci Emma, merci Marie-Pierre!)

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