SERRE MOI FORT
de Mathieu Amalric
Un film "à nous", et un autre "pas à nous". (Qu'on paye donc plus cher). On s'est installé pour le film de Mathieu Amalric dans une petite salle du bôô cinéma. De ce film je n'en savais pratiquement rien, à part que Zabetta m'avait dit qu'elle l'avait détesté à Cannes, plus juste deux lignes rapidement entrelues dans Téléramuche, suffisantes pourtant pour qu'un idiot de critique (comme, il y a longtemps, pour Les Autres, d'Amenabar, où, tiens, il était déjà question de mort(s)) "vende la mèche" et me gâche la moitié de mon plaisir de spectateur.
Eh oui. Une histoire de famille, donc. Maman, Papa, fille, garçon, un matin comme les autres, à la maison, réveil, petit déjeuner, "je veux que maman me prépare mon chocolat chaud...", sauf que, très vite ce petit-déjeuner se fractionne, se fragmente, se diffracte, rendant le spectateur un peu perplexe, perdu, dans un territoire mouvant, constitué de fragments instables, et s'y déplaçant un peu au hasard, comme sautant de l'un à l'autre. On n'est, au début, sûr de rien. Souvenirs ? Réalité ? fantasmes ? Extrapolations ?
On est juste sûr de Clarisse et de Marc (les parents), de Lucie et de Paul (les enfants). Et encore.Il est question d'un départ, peut-être, d'une cassure, sans doute, d'une séparation, probablement, et la caméra de Mathieu Amalric (et sa mise en scène) parviennent avec maestria à faire co-exister ces univers juxtaposés, comme parallèles ou pluriels...
Bon j'avais les mots du journaliste de Télémuche qui tournicotaient dans un coin de ma tête, mais j'en venais même à me demander si j'avais bien lu (bon, finalement, j'avais très bien lu...). Vicky Krieps compose une Clarisse (comme Mrs Dalloway ?) impressionnante (il y a peu de temps encore, j'ignorais tout de cette artiste, et voilà que je l'ai vue coup sur coup dans Old, Bergman Island, et à présent chez Amalric..., tandis qu'allocinoche me rappelle que je l'ai découverte, somptueuse, dans le pervers Phantom Thread de P.T Anderson).
Elle est pour beaucoup dans le charme insidieux (véneneux ?) que génère / distille le film, elle possède cet incontestable charme franco-germain qui m'avait fait craquer pour la délicieuse Paula Beer. Elle le "porte" littéralement sur ses jolies épaules, et, spectateur, on a grand plaisir à se faire prendre par la main dans l'obscurité de ce labyrinthe intime. On la suit séance tenante, on se laisse mener par le bout du nez, tandis que la structure du film se tabilise progressivement, que l'image générale en devient plus nette, que se confirme (ou s'infirment) les hypothèses et supputtations de chacun(e).
Un film mouvant, sinueux, fascinant. Un film incontestablement réussi.
BAC NORD
de Cedric Jimenez
Et nous n'avons eu qu'une dizaine de minutes pour changer de salle (et complètement d'univers). D'abord on s'est retrouvé dans une salle gigantesque (où nous n'étions que 3, pourtant frileusement serrés sur un demi mètre-carré), avec un son très fort (qui semblait assez mal réglé puisque dès les premières minutes, nous avons convenu tous les deux "qu'il était pourri"... Très souvent, on avait du mal à comprendre tout les mots qu'un acteur prononçait dans une phrase (oui,impossible de comprendre une réplique entière!)
J'avais échangé quelques mots avec Malou qui m'avait dit au téléphone l'avoir beaucoup aimé, ce à quoi j'avais dit que j'appréhendais de le voir parce que beaucoup le qualifiaient de bourrin, et qu"elle avait rebondi en disant qu'elle aimait ce qui était bourrin... Et toc! Je me sentais donc moralement obligé d'y aller, au moins pour me faire une idée.
Je n'ai pas été "rassuré" au début (en constatant qu'effectivement, je trouvais ça bourrin), puis encore (un peu plus) mal à l'aise lors d'une looongue scène d'intervention musclée en téci qui ne pouvait pas ne pas faire penser à son équivalent dans Les misérables, de Ladj Ly -plusieurs situations sont quasiment décalquées-,( et ce, pas à l'avantage de Bac Nord.)
A ce moment, on a heureusement eu le temps (comme dans Les Misérables), de s'attacher au trio de flics de cette Bac Nord, de Gilles Lellouche très plausible en chef sanguin qui nous la joue aussi sévèrement burné que mal rasé de trois jours (c'est comme ça qu'on l'aime), de François Civil en chien fou aussi con (c'est ses collègues qui le disent) que peroxydé, et, surtout, surtout, l'excellent Karim Leklou, qui n'arrête pas de m'intéresser de film en film. Le principal intérêt du film, ce sont ses trois personnages principaux. C'est, on ne peut pas le contester un film de (grosses) couilles (Adèle Exarchopoulos -que j'adore- y a tout de même une fonction "décorative"...), au langage fleuri et lourdement chargé (ah tous les "Va te faire enculer..." de ces gros machos), un film qui sent le bonhomme, quoi.
Et puis (heureusement) il y a cette troisième partie que je n'avais pas vu venir, celle qui se passe en prison, qui "casse" la superbe de nos héros couillus (on est presque dans un autre film), qui reprend à son compte pas mal des clichés sur le films -couillus!- dits "de prison" (mais ouf! on n'est pas non plus dans Un Prophète, de Jacques Audiard), en se recentrant sur les heurts et malheurs en gros plan de nos trois lascars (Karim Leklou, encore une fois, étincelle particulièrement), la question étant "Va-t-il finir par donner le nom de son informatrice ?", mais heureusement ouf! tout est bien qui finit bien, et la vérité triomphe darmaninesquement. Et ils sortent de prison. Et on entend la musique de début du Pénitencier de Johnny. Et on se pince en se disant que non quand même il n'a pas osé... mais non, finalement il a pris la version originale (mais l'idée est là, quand même...).
Bref, ce n'est pas vraiment "mon cinéma" (Les Misérables avait tout de même une toute autre classe, non ?) et en plus ça fait très mal aux oreilles tellement c'était fort.
Libé a la dent dure :
""Alors la zone, ça dit quoi ?" Pour commencer, big up à Fiachra Gibbons, le journaliste irlandais et ironique qui a inauguré la conférence de presse de Bac Nord au Festival de Cannes en félicitant l’équipe d’avoir fait un film aussi "fort" pour inciter son public à voter pour Marine Le Pen. Netflix l’a acheté aussi sec. Ça n’a fait rire que Gilles Lellouche (comme toujours, désolé frérot), mais il faut rendre justice à Bac Nord, préciser qu’il n’est pas que fasciste. Tendance cinquante nuances de droite, il déplie l’éventail complet, en fidèle portrait de son pays : non pas de sa réalité, mais du discours qui le décrit partout où la police vous parle, à toutes les heures sur toutes les chaînes – adapté en fiction qui tabasse, certaine de son impunité, se permettant même, en art engagé, quelques piques à la hiérarchie des flics en col blanc, pour un peu plus de démagogie."
(mais, tiens, pour une fois, je suis d'accord)