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UN PRINCE
de Pierre Creton
Et voilà. Contrairement à mes principes, je vais sortir un dimanche soir pour voir un de "nos" films. Pourquoi ? Parce qu'il ne passait pas avant. Eh oui, dans le bôô cinéma, le programmateur a décidé que pendant les vacances scolaires, les spectateurs n'avaient le droit de voir que des courgeries, mais surtout pas les films que nous programmons... Certains films auront droit à entre vingt et trente séances par semaine, tandis que celui-ci n'en aura que trois : une ce soir, une lundi et une mardi, et basta. Même régime (sec) pour le premier film du Mois du Doc, A PAS AVEUGLES, qui n'aura droit lui-aussi qu'à 3 séances, deux le lundi et une le mardi. Et tout ça m'a mis dans un certain état de vénéritude. mais bon, dans le bôô cinéma, il semblerait que ce que le programmateur a décidé, personne d'autre ne peut (ou veut) le modifier...
Donc, UN PRINCE... J'ai chroniqué, il y a quelques temps, (ici), le précédent film de Pierre Creton, LE BEL ÉTÉ (2019), entraperçu à la sauvette (pléonasme, non ?) à Besac, et, un peu plus tôt, celui d'avant, VA,TOTO! (2017) -là- que nous avions programmé nous-mêmes avec nos petites mains dans le bôô cinéma... Et je réalise que je pourrais reprendre ce que j'avais écrit sans presqu'en changer une ligne.
Tiens, déjà, il y a une image en commun (lapsus j'avais écrit en copain) entre UN PRINCE et TOTO, et quelle image! : trois hommes -d'âges divers- couchés dans le même lit (et c'est même un plan-clé dans UN PRINCE : celui où le jeune homme se lève, tout nu, sort du champ, et est remplacé par le réalisateur lui-même, aussi nu mais beaucoup plus velu, qui vient prendre sa place -qu'on imagine toute chaude- sous les draps, tout ça filmé dans le reflet de l'armoire... Et c'est le temps qui passe...
J'avais oublié que dans VA, TOTO! eétait déjà en place cette pratique des voix-off (et que, déjà, c'étaient certaines de ces voix amies qui officiaient : Françoise Lebrun, Grégory Gadebois, Mathieu Amalric, lui, y ayant été acteur) et qu'on retrouvait aussi déjà au générique Vincent Barré et Mathilde Girard, qui sont intervenus sur les trois films (et semblent faire partie de sa garde (très) rapprochée).
Comme Vincent Dieutre, Pierre Creton est un artiste / un bear / un gay / un intello (entourez le terme que vous préférez) qui met dans ses films des morceaux de sa vraie vie (et vice-versa), mais dans une manière encore plus chantournée que celle de Vincent D. (qui est pourtant, au départ le prototype de l'intello tourmenté ++). Histoires d'hommes, de corps, de désir, d'art (l'art et la manière, bien sûr), de culture, de travail de la terre, d'érudition, de pornographie (envisagée "intellectuellement" j'y reviendrai), bref un mélange qui me comble et me ravit. Un terreau fertile. Tout pour plaire (et prendre racine). Un film avec les pieds très dans la terre et la tête très dans les nuages.
Pierre Creton est presque sur tous les fronts. Il filme, mais il écrit (très souvent, le coffret dvd se compose d'un film et du livre qui va avec, du texte en surimpression, un genre de "discours intérieur" accompagnant chacun des personnages principaux (trois ici : Pierre-Joseph, Françoise et Alberto -et il me semble que vers la fin un quatrième a droit aussi à sa voix-off perso). Et j'aimerais beaucoup avoir le texte de ce film-ci : Françoise parle d'abord de Kutta, puis de Pierre-Joseph, Alberto parle de plantes et de Pierre-Joseph, et Pierre-Joseph parle de son rapport -le plus souvent désirant- avec les hommes qui l'entourent (il commence par évoquer la bite de son cousin, puis celle de son père, dans une évocation aimablement crue qui peut paraître surprenante au premier abord, lorsqu'elle fait irruption dans le "discours intérieur" jusque là plutôt retenu, et des différents homme auxquels il a eu affaire, qu'il a désirés, et avec qui il a fait l'amour (C'est un monde merveilleux comme celui de Guiraudie, où il suffit de désirer un homme pour faire illico l'amour avec lui. Un mon de rêve.)
Pierre Barray, Pierre Creton, et Vincent Barré
A la deuxième vision, cet après-midi, (j'étais assis à côté de Catherine) j'ai pensé qu'on pouvait (avec elle) tout à fait -vraiment- partager ce film, puisqu'elle aime autant les plantes (le végétal) que j'aime les hommes (le sexué), et que le film serait fait presqu'à 50/50 de l'un et de l'autre.
Un récit singulier, conçu comme un herbier fantasmatique où la sexualité (la sexualisation) viendrait comme par transparence (comme, dans le film, un dessin de plante révèle en-dessous, lorsqu'on le met à la lumière, une vigoureuse pornographie sous-jacente ("une belle plante" commentera Adrien.)
Un univers à la lisière du conte (pas trop au milieu des ronces), comme le précise un des personnages au moment de la construction de la cabane, qui fraterniserait avec celui d'Alain Guiraudie, où les mâles génèrent un genre de désir diffus qui se répand sur la campagne environnante, faisant de chaque autre mâle rencontré, quelque soit son âge (ça fait plaisir, que dis-je, très plaisir de voir qu'enfin les plus de 60 ans, les "jeunes séniors" (et même les un peu plus âgés) ont droit à une sexualisation, oui, une sexualité visible (chez Creton ils s'embrassent beaucoup), un univers où tous les hommes, qu'ils soient professeur de botanique, élève, propriétaire de serre, chasseur, apiculteur, sont tous, à la fois, désirants, désirés et disponibles...
Un récit attentif, polysémique (osons les grands mots, le récit s'y prête), avec des plans sublimes (j'ai déjà évoqué la scène de lit à trois, mais je pourrais évoquer la "disparition" de Kutta, ou même la scène de la battue, simplissime a priori mais d'autant plus fascinante (soutenue par la musique passionnante de Jozef Van Wissem).
Et je ne peux pas ne pas ranger ce film si particulier sur l'étagère de mes bibelots marquée "Top 10"
ps : (cela me revient après coup) il est extrêmement rare d'entendre citer un extrait de Philippe Jaccottet dans un film qui n'est pas un documentaire sur lui. Philippe J. apparaît par la bande, avec des fleurs jeunes et une voix de chemin de fer, je crois.)