esmée
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LE RAVISSEMENT
d'Iris Kaltenbäck
Je l'ai vu parce que j'étais à Besac. Parce que "l'occasion a fait le larron". Et je ne l'ai pas regretté, bien au contraire. Un film "d'après une histoire vraie" ça ne m'attire a priori pas plus que ça. Une histoire de bébé, de bébé volé (emprunté, plutôt) non plus. Mais là quelque chose de mystérieux s'est produit : parce que la voleuse de bébé est aussi sage-femme, et, surtout, qu'elle est interprétée par Hafsia Herzi, comédienne troublante (à propos de qui j'ai pu avoir parfois dans le passé ça et là des réserves sur la qualité de son jeu -ou non-jeu-) qui se révèle ici parfaitement enthousiasmante. D'autant plus qu'elle forme dans ce film un couple avec Alexis Manenti, tout aussi parfaitement surprenant, en conducteur de bus serbe atone et, quasiment, diaphane (c'est sa voix, que j'ai reconnue "à l'oreille" assez rapidement, qui introduira le récit, nous informant ex abrupto de l'issue de cette histoire et commentera à intervalles réguliers la progression de l'histoire). Alexis Manenti qu'on n'a jamais connu d'une telle douceur un peu éteinte, somnambulique presque , mais qui fait le job à la perfection, formant avec Hafsia Herzi un non-couple (un "faux couple" ?) un peu blafard, sidérant, qui fait la grande force du film (qui laisse une sensation de froid).
Qu'on suit, un peu en apnée, faisant le dos rond devant l'imminence de la catastrophe. Avec, au bout du compte deux mots dans la tête : "profondément malaisant". Et une scène finale hypnotique.
(Tiens, je me réconcilie avec la critique de Libé à qui j'ai déjà promis par le passé maintes machines à gifles mais qui livre ici une critique impeccable):
"Pour dire la force captivante du Ravissement dès ses premiers instants, rien ne sert d’évoquer autre chose que le visage de son interprète. On le savait, chaque apparition de Hafsia Herzi à l’écran se prête à une étude sur son sourire laconique, sa manière de bouger les yeux, ces paupières lourdes d’un vécu qu’on ignore. Ce nouveau personnage d’amoureuse au cœur brisé, larguée au tout début de l’histoire, semble d’ailleurs échouer d’un précédent film qu’elle réalisait en 2019, Tu mérites un amour. Dans le premier long métrage de la Française Iris Kaltenbäck, la superbe de l’actrice frappe encore d’un grand coup de blues et de grâce.
Surtout pas évanescente, la grâce. Toujours cette trempe du réel et du contemporain dans lequel la cinéaste veille à ancrer son film, dans le concret de la matière. Lydia, la trentaine, ne connaît en effet que ça, travaillant dans une maternité comme sage-femme. Le premier beau programme du film consiste à l’accompagner au travail, enregistrant son passage parmi les foules d’anonymes qui, comme elle, mènent une existence de nuit. Un sentiment reconnaissable file dans la cohue parisienne, quelque chose comme la solitude des villes, imprégnée des mines absorbées des passants au hasard de leurs circulations. Un autre film les aurait voulus "sans fard", or celui-ci les farde au contraire – fards d’une nuit de synthèse, marbrée de couleurs romantiques, phare rouge de ce manteau que Lydia ne quitte jamais.
(...) Son souvenir est imparfaitement reconstitué au passé, en voix off, à travers les yeux de l’homme qu’elle a dupé et des hypothèses formées par son imagination. Dindon de la farce, le voici réennobli par ce pouvoir de narrateur, délicatesse qui donne une idée des attentions qu’a la fiction pour ses personnages. Une autre s’illustre dans une scène qu’on sent tributaire de l’imprévu du tournage. Alors que Lydia se blottit dans un rideau, prise en chasse et sans échappatoire, le bébé dans ses bras agrippe le tissu avec sa petite pogne pour le rabattre sur elle, comme pour la protéger. Beauté de l’accident que le film semble toujours prêt à accueillir, et qui lui va en effet à ravir."