beaucoup d'amour (et de regrets)
ANTON TCHEKHOV - 1890
de René Féret
L'avant-dernier film de René Féret s'appelait Le prochain film. Il ne savait pas que, justement, ce prochain film, (celui-ci, donc), serait aussi son dernier. Nous avons appris sa mort au moment où nous mettions en page la nouvelle programmation (où figurait son film) et c'est donc un peu comme un hommage que nous en profitons pour lui rendre.
Et quelle belle fin de cinéaste, de partir ainsi, là-dessus. Un film qui raconte quelques années de la vie de Tchekhov (dont j'avoue que je ne connaissais pas grand chose). Je ne le savais pas isssue d'une fratrie quasi-Daltonienne de joyeux moujiks (tous de barbounettes diversement dotés), avec heureusement au milieu une soeur (Macha, tiens, jouée par la douce Lolita Chammah). Un film sur Tchekhov et tout autant un film tchekhovien...
En sortant de la salle, on était quatre à être restés à discuter sur le parvis du bôô cinéma, et on était encore, tous les quatre, sous le charme du film. Un je-ne-sais-quoi de doux, d'apaisant, d'apaisé. Comme flottant sur un petit nuage de Tchekhovie. Simple et simplement.
On découvre Anton dans sa famille, au moment où des pontes de la littérature venus de Pétersbourg viennent à domicile chanter ses louanges et insister pour éditer ses nouvelles. Tchekhov est alors médecin, et son don pour la littérature ("j'écris comme je mange une crêpe, je pose la plume sur le papier, et quand je la relève, l'histoire est terminée..." lui fait dire Féret) lui sert surtout à subvenir à l'entretien de sa famille. C'est un moment particulier, un tournant dans son existence, cette soudaine reconnaissance publique ou du moins critique, et la caméra de Féret s'affaire à nous retranscrire tous les remue-ménage (remue-famille, plutôt) que ce changement de situation (ou de point de vue) soudain engendre. D'autant plus qu'il est poursuivi par les assiduités amoureuses d'une demoiselle (à laquelle d'abord il résiste mais pas longtemps). A la mort de son frère, il décide de respecter la promesse qu'ils s'étaient faite tous les deux et part pour l'ile de Sakhaline où sont entassés les condamnés, dans des conditions assez effroyables, avec l'intention d'en faire un livre de témoignages, en interrogeant chacun d'eux l'un après l'autre sur leurs conditions de vie. Il y rencontre aussi une jeune institutrice avec laquelle se noueront des liens affectifs tchékhovienissimes, avant que de revenir à Petersbourg (où sa famille est désormais installée) pour assister à la création de sa pièce La mouette...
Le film est construit en trois actes (la renommée / Sakhaline / La mouette) et c'est sans doute dans sa partie centrale qu'il est le moins convaincant parce que le moins "sobre" (c'est difficile de montrer l'horreur ou la misère sans être démonstratif, et tomber dans l'illustration façon clip de Mylène Farmer avec guenilles pieds sales et morve au nez) au début tout du moins, car ce qui se joue avec Anna vient heureusement à nouveau re-tchékhover l'histoire. Trois parties, trois beaux portraits de femmes (la soeur, la maîtresse, l'institutrice), trois façons d'aimer, aussi, et cette magnifique conclusion où Tchekhov , assistant aux répétitions de La mouette, donne aux comédiens des conseils (des explications) sur sa façon d'envisager la tristesse, le désespoir, et, surtout, la manière de les figurer, de les jouer. Par un effet de mise en abyme douce, on réalise alors que c'est aussi René Féret qui vient de s'adresser à nous, par la voix de son personnage, sur le jeu de ses comédiens.
L'acteur incarnant Tchekhov (Nicolas Giraud, que je ne connaissais pas) est le diapason magnifique au son duquel tous les autres s'accordent. Musique de chambre, quelque chose de beau, de doux, de sensible. Partition affective pour soliste et famille, interprétée avec attention(s) et sensibilité. René Féret nous parle d'Anton et de ses siens, certes, mais c'est toute sa famille à lui (René Féret) qui transparaît discrètement à travers le dépoli des images de l'écran.
Un beau film, qui donne enve de voir ou de revoir tous les précédents (qui n'ont jamais, il faut le reconnaître, tonitrué dans l'actualité cinématographique, à part La communion solennelle -une belle histoire de famille, encore-, qui avait été un beau succès en son temps).