Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

lieux communs (et autres fadaises)

9 mai 2015

beaucoup d'amour (et de regrets)

ANTON TCHEKHOV - 1890
de René Féret

L'avant-dernier film de René Féret s'appelait Le prochain film. Il ne savait pas que, justement, ce prochain film,  (celui-ci, donc), serait aussi son dernier. Nous avons appris sa mort au moment où nous mettions en page la nouvelle programmation (où figurait son film) et c'est donc un peu comme un hommage que nous en profitons pour lui rendre.
Et quelle belle fin de cinéaste, de partir ainsi, là-dessus. Un film qui raconte quelques années de la vie de Tchekhov (dont j'avoue que je ne connaissais pas grand chose). Je ne le savais pas isssue d'une fratrie quasi-Daltonienne de joyeux moujiks (tous de barbounettes diversement dotés), avec heureusement au milieu une soeur (Macha, tiens, jouée par la douce Lolita Chammah). Un film sur Tchekhov et  tout autant un film tchekhovien...
En sortant de la salle, on était quatre à être restés à discuter sur le parvis du bôô cinéma, et on était encore, tous les quatre, sous le charme du film. Un je-ne-sais-quoi de doux, d'apaisant, d'apaisé. Comme flottant sur un petit nuage de Tchekhovie. Simple et simplement.
On découvre Anton dans sa famille, au moment où des pontes de la littérature venus de Pétersbourg viennent à domicile chanter ses louanges et insister pour éditer ses nouvelles. Tchekhov est alors médecin, et son don pour la littérature ("j'écris comme je mange une crêpe, je pose la plume sur le papier, et quand je la relève, l'histoire est terminée..." lui fait dire Féret) lui sert surtout à subvenir à l'entretien de sa famille. C'est un moment particulier, un tournant dans son existence, cette soudaine reconnaissance publique ou du moins critique, et la caméra de Féret s'affaire à nous retranscrire tous les remue-ménage (remue-famille, plutôt) que ce changement de situation (ou de point de vue) soudain engendre. D'autant plus qu'il est poursuivi par les assiduités amoureuses d'une demoiselle (à laquelle d'abord il résiste mais pas longtemps). A la mort de son frère, il décide de respecter la promesse qu'ils s'étaient faite tous les deux et part pour l'ile de Sakhaline où sont entassés les condamnés, dans des conditions assez effroyables, avec l'intention d'en faire un livre de témoignages, en interrogeant chacun d'eux l'un après l'autre sur leurs conditions de vie. Il y rencontre aussi une jeune institutrice avec laquelle se noueront des liens affectifs tchékhovienissimes, avant que de revenir à Petersbourg (où sa famille est désormais installée) pour assister à la création de sa pièce La mouette...
Le film est construit en trois actes (la renommée / Sakhaline / La mouette) et c'est sans doute dans sa partie centrale qu'il est le moins convaincant parce que le moins "sobre" (c'est difficile de montrer l'horreur ou la misère sans être démonstratif, et tomber dans l'illustration façon clip de Mylène Farmer avec guenilles pieds sales et morve au nez) au début tout du moins, car ce qui se joue avec Anna vient heureusement à nouveau re-tchékhover l'histoire. Trois parties, trois beaux portraits de femmes (la soeur, la maîtresse, l'institutrice), trois façons d'aimer, aussi, et cette magnifique conclusion où Tchekhov , assistant aux répétitions de La mouette, donne aux comédiens des conseils (des explications) sur sa façon d'envisager la tristesse, le désespoir, et, surtout, la manière de les figurer, de les jouer. Par un effet de mise en abyme douce, on réalise alors que c'est aussi René Féret qui vient de s'adresser à nous, par la voix de son personnage, sur le jeu de ses comédiens.
L'acteur incarnant Tchekhov (Nicolas Giraud, que je ne connaissais pas) est le diapason magnifique au son duquel tous les autres s'accordent. Musique de chambre, quelque chose de beau, de doux, de sensible. Partition affective pour soliste et famille, interprétée avec attention(s) et sensibilité. René Féret nous parle d'Anton et de ses siens, certes, mais c'est toute sa famille à lui (René Féret) qui transparaît discrètement à travers le dépoli des images de l'écran.
Un beau film, qui donne enve de voir ou de revoir tous les précédents (qui n'ont jamais, il faut le reconnaître,  tonitrué dans l'actualité cinématographique, à part La communion solennelle -une belle histoire de famille, encore-, qui avait été un beau succès en son temps).

 

214330

6 mai 2015

autre soir, autres musiques

Oui, les soirs se suivent...
J'ai eu hier matin la visite d'Emma, et bien sûr nous avons fini par parler musique(s). Emma est pour moi à la musique ce qu'Hervé serait au cinéma (et Philou à la littérature) : un point de "référence", quelqu'un(e) avec qui j'ai beaucoup de choses en commun dans un domaine précis, d'affinités, de connivence(s), avec qui je partage, j'échange, avec qui "la paroi de la cellule est extrêmement poreuse, perméable",  à qui je sais que je peux faire confiance à 99,99% quand elle/il me donne un conseil, me propose un nom, me suggère une nouveauté, m'annonce une découverte...
Musicalement, Emma est sans doute la personne dont je me sens le plus proche, le plus "gémellaire", ça fait plus de trente ans qu' on déguste les morceaux avec la même gourmandise et le même plaisir (Je lui dois des bonheurs musicaux importants, autant sans doute que j'ai pu lui en apporter moi-même aussi, perméable, la membrane je vous dis...) et le spectre (lumineux / musical) est large : par exemple la découverte de la série des Comme Bach avec autant de plaisir qu'un concert de JoeyStarr un soir à la Poudrière à Belfort, ou celui de Philippe Katherine à Arc-et-Senans pour ce qui est des concerts (mais c'est peut-être un mauvais exemple, puisque question musique vivante vivante, ma référence est une autre Emmanuelle, sans conteste celle avec qui j'en ai partagé le plus... Coucou Manue!) vécus ensemble. parlons donc plutôt de cd, de disques, de microsillons (!)
C'est vrai qu'avec Emma on aime parler de musique, et qu'on a toujours des morceaux ou des albums à faire découvrir à l'autre.
Et ce lundi matin, nous avons pas mal échangé, justement, parce que ça faisait longtemps qu'on ne s'était pas vus

Il y avait des noms que je connaissais, dans ce qu'elle m'a proposé, et d'autres pas du tout


Suivant ses conseils, dans sa longue liste, j'ai d'abord écouté Somnambules, de Raphael. Oui, Raphael, j'en avais beaucoup entendu parler ces derniers jours, puisqu'il vient de sortir un album et que donc il promote, mais j'avoue que ça ne me faisait pas vraiment envie. Je connais ce jeune homme juste de nom, je sais qu'il a été en tête des ventes en 2015 avec Caravane, mais j'avoue que je n'ai jamais écouté ça.
Je l'ai croisé l'an dernier sur l'album de Manset (Un oiseau s'est posé) en duo sur Toutes choses, et j'avoue avoir trouvé ça plutôt touchant...
Je savais juste que sur cet album il y a avait des enfants qui chantaient. Et la conviction et l'enthousiasme d'Emma m'ont fait me laisser tenter...
Le premier titre m'a plutôt plu (mais mon lecteur, je ne sais pas pourquoi, me fait toujours écouter en premier le dernier morceau de l'album, puis le premier, et ensuite tout continue normalement... Le deuxième morceau entendu (donc le premier de l'album) m'a beaucoup plus accroché l'oreille, et le troisième donc... J'ai donc tout écouté jusqu'au bout une première fois, puis re, puis re-re, et ainsi de suite (c'est plutôt très bon signe), et il y a plusieurs titres que j'adore vraiment : Somnambule, Arsenal, Chant d'honneur, Ramène-moi en arrière... Et si les textes ou la voix peuvent paraître un peu "juste" sur certains titres, il y en a qui m'ont collé les larmes aux yeux (Arsenal surtout, avec son refrain "élevés comme des garçons..."), et ça c'est bon signe...

raphael somnambules

Ca tourne en boucle, je suis joyeux, j'envoie un mail à Emma pour le lui faire savoir, et elle me répond "As-tu écouté La féline ?" "Non non lui réponds-je un peu plus tard, mais j'y vais de suite"... Le nom ne me disait rien du tout, je me lance donc, fort de sa recommandation. J'écoute d'abord, comme d'hab, le dernier morceau Le parfait état, dont le début  (les petits cris de la demoiselle) manque de me dissuader d'aller plus loin, mais je continue vaillamment. Le morceau suivant Les fashionistes (au loin) par contre me harponne immédiatement :  électronique, claviers jolis comme j'aime, un peu entre Taxi-Girl  et Tristesse contemporaine, les textes sont précis (minutieux), la musique les enveloppe précieusement, et la voix m'évoquerait un peu celle de La grande Sophie, (Emma parlait de Brigitte Fontaine, c'est vrai pour l'esprit de certains morceaux...) Mon dieu que tout ça est agréable et séduisant, surtout lorsqu'apparaissent en plus des guitares jolies oui plus que très jolies... c'est vraiment une configuration musicale qui semble avoir été élaborée spécialement pour moi...)
Elégance indéniable de l'ensemble, vraiment ça me plaît de plus en plus à chaque écoute, heureux comme un gamin je réécoute et ré-réécoute (quand j'aime je suis très répétitif), je vais fouiner sur le ouaibe, j'apprend qu'ils sont passés à Besac fin 2014 (ahlala), que la formation est centrée autour de la demoiselle (Agnès Gayraud), qu'elle va faire la première partie de Domnique A aux Nuits de Fourvière, le 14 juin (hmmmm... soupir) et, oh tiens qu'elle passe aussi  tiens, le 3 juin à Montbéliard! Bref tout ça m'enchante, et je vais même sur amaz*n pour acheter (oui oui) le précédent album de La féline (elle a d'ailleurs choisi ce nom en référence au sublime film de Tourneur, excellent point pour la demoiselle). Titres préférés : Adieu l'enfance, Midnight, Les fashionistes (au loin), La fumée dans le ciel, mais je pourrais presque tous les nommer

la féline adieu l'enfance cover

Donc, pour le moment, j'écoute les deux albums (Raphael et La féline) en alternance et avec un  identique bonheur (il semblerait tout de même que La féline prenne de plus en plus le pas sur Raphael)... deux fois merci à Emma pour ces cadeaux, donc!

5 mai 2015

colza31

hier à 19 h, ça se passait là :

6-DSC01430

(J'ai pourtant mis l'option "j'ai de la chance" sur picasa, mais y pas à tortiller, la lumière était merdique, tant pis donc j'ai quand même pris quelques photos de l'événement que je me suis, après coup, amusé à bidouillasser. L'événement ? Il a lieu chaque année, fin-avril/début-mai, près d'un champ de colza, entre very happy few (nous ne sommes que cinq) et c'est la commémoration d'un "truc" qui commence déjà à dater (et qu'il serait trop long ici de détailler) puisque nous en fêtions cette année le 31ème anniversaire... Il y a un genre de cérémonial / rituel : on se rend dans un endroit secret et très précisément géo-localisé par notre éminence grise jaune (lieu  qui change chaque année), on y boit du champagne (anniversaire oblige) puis chacun lit quelque chose de son choix, avant qu'on ne s'assoie -enfin! diront certains- sur la bâche, ou le plaid (ça dépend des années)  non moins rituellement y casser la croûte)

3-DSC01429

(celle-là aussi a été légèrement bidouillassée ; je l'ai prise en arrivant, ce qui était intéressant, a posteriori, ce n'était pas tant le reflet du champ que -plus discrètement, celui du photographe, mais, encore plus (intéressant et discrètement) celui du même (champ) sur la continuité de la baguette métallique (?) faisant le tour des surfaces vitrées du véhicule)

4-DSC01431

(là c'est la même chose que la première photo, mais "en rêve", avec la fonction "boost" du même picasa. Une idéalisation, puisque la réalité était moins solaire et bien plus humide... le coffre ouvert du véhicule ci-dessus photographié pouvait abriter deux personnes, sous son hayon (j'avoue qu'il a fallu que je googlise pour retrouver ce mot, je me souvenais juste que ça commençait par un "h") et un joli parapluie Van Gogh pouvait aussi en abriter deux autres,  se mit donc en place un turnover pour à tour de rôle être abrité ou passer entre les gouttes. Les hommes lurent dans le coffre, et les femmes sous le parapluie, en alternance)

2-DSC01455

(à tout seigneur tout honneur, ce fut à notre maître de cérémonie, l'homme qui est depuis le début (depuis quelle année déjà  ? j'aurais du mal à le dire) à l'origine de cette commémoration, que revint le privilège de lire en dernier, quelques pages de son dernier "cahier-arbres", ce qui n'alla pas sans provoquer chez moi, allez savoir pourquoi, une certaine et légitime émotion, lecture que voici ci-dessus illustrée, bidouillassée aussi au double moyen de l'effet "N&B partiel" suivi de l'effet "boost" -mais légèrement atténué)

(le champagne était bu, il nous restait du vin italien -plutôt très sucré (j'avais écrit secret)- un cadeau de l'entreprise où est employé le fils aîné de P à ce fils aîné en question, qui le lui avait ensuite rétrocédé, vin qui accompagna honorablement la charcutaille et le camembert qui constituaient cette rustique mais fort joyeuse collation, avant que de tout terminer replier ranger pour rentrer la nuit venait) se mettre au chaud pour déguster le dessert -gourmand- qui nous attendait à l'intérieur, bien au chaud chez les S. ("on est quand même mieux là qu'assis sur la bâche dans la nuit sous la pluie..."), gourmand mais tout aussi joyeux que le repas qui l'avait précédé...

exit Colza 31...

 

5 mai 2015

musiques du soir

"et on se sent tout seul peut-être mais peinard et on se sent floué par les années perdues..." (en écoutant une version inédite -pour moi- de la chanson de ferré par bashung, une version assez étonnante parce que débarassée du pathos habituel qui l'enveloppe) j'aime bien ces petites soirées au casque comme ça, à faire des trucs et des machins sur l'ordi avec le casque sur les oreilles et des choses à écouter tranquillement parce qu'on a le temps, à écouter ou à ré- , ça dépend (des fois je me décide enfin à écouter un truc qui traîne depuis longtemps sur l'ordi avant de l'effacer et c'est une excellente surprise -Baxter Dury- et des fois pas du tout et donc je l'efface justement et définitivement) ce soir donc c'était l'album Osez Bashung que j'avais failli acheter, mais bon finalement j'ai bien fait de ne pas, très peu de choses intéressantes en fin de compte que je ne connaissais pas, ensuite j'ai mis Alain Chamfort, le dernier, négligemment, parce que je n'en avais pas plus envie que ça, mais, encore une fois, j'ai bien fait, plutôt une bonne surprise, je l'ai même réécouté deux, trois fois (en général il y a une chanson sur deux qui me plaît davantage : des textes plaisants sur une musique toute aussi plaisante, ça parle d'amour(s) et d'amours malheureuses, comme dans la vie) et j'ai continuer de fouiller dans le dossier ma musique, et a donc succédé une vieille compil de Simple Minds (à vrai dire, un seul cd d'un coffret de 4, mystérieusement épargné dieu sait pourquoi) des "extended versions" de morceaux connus qui m'ont donné envie d'en entendre davantage, mais je n'ai que ça semble-t-il... pour changer d'ambiance, j'ai ressorti le disque de Serge Teyssot-Gay "On croit en être sorti" sur des textes de Georges Hyvernaud, absolument magnifique, et là il est 23h57 et je n'ai pas vraiment envie d'aller dormir, même si j'ai un peu froid aux pieds, je n'ai pas encore trouvé ce que je vais lire demain pour le 31ème anniversaire du colza, je réalise que j'ai oublié de souhaiter à Philou son 59ème anniversaire, fin janvier, je me dis qu'il faudra que je range un peu la cuisine demain matin parce qu'Emma vient boire le café à 11h et tiens j'écoute à présent un truc qui était absolument imprévu, une version collector de Dieu fumeur de havanes par un ami d'ami (c'est l'ami qui m'a envoyé le fichier, parce qu'il sait que je craque sur l'ami d'ami (et je savais d'avance que j'adorerais sa voix, et c'est le cas) et tiens on se termine avec encore Chamfort, oui oui, une vieille compil avec chansons que j'aime bien : Mens, Tombouctou, L'ennemi dans la glace, Clara veut la lune (coucou Emma!) Qu'est-ce que t'as fait de mes idéees noires...
0h36 bon je vais y aller peut-être

4 mai 2015

je suis content(e) de savoir que vous allez bien

UN PIGEON PERCHE SUR UNE BRANCHE PHILOSOPHAIT SUR L'EXISTENCE
de Roy Andersson

A quoi ça tient parfois, hein...
Je viens de relire le post que j'avais écrit qur son précédent film, Nous les vivants, et je pourrais carrément presque tout recopier à la virgule près, SAUF là : "On aimerait que ça dure davantage (on ne voit pas le temps passer)."
Figurez-vous que là c'était tout le contraire, j'ai trouvé que ça durait trèèèèèèès longtemps, (le syndrome "Tiens, là, ça serait bien que ça s'arrête...") et je me suis emmerdouillé. Roy Andersson persiste dans l'observation de l'homo sapiens (mais pas rigolans) et c'est...  sinistre (c'est voulu, je sais mais n'empêche que j'avais le sentiment que tout ou presque était lourd - ou tombait à plat-). C'est très désespéré (et -rant, donc, aussi) et du coup ça nous laisse désemparé (comme si le réalisateur nous tendait un miroir et nous disait "Allez, vas-y, rigole!".)
Sans doute ni le bon jour, ni l'humeur adéquate (j'avais pourtant fait courageusement 50km sous la pluie en écoutant Anaïs Demoustier sur France-Cu, juste pour le voir). Comme Nous les vivants, cette même sensation de bric-à-brac, d'empilement, de méli-mélo, de bout-à-bout de machins (et peut-être que, justement, l'effet de surprise ne jouait plus cette fois-ci), ce même travail chromatique (j'ai appris entre-temps qu'il s'agit de désaturation) qui fait que tout, absolument tout est beigeasse (Nous les vivants était plutôt dans les verdasses), même la figure des gens (comme enterrés). Certains personnages reviennent (contrairement à d'autres qui ne font que passer, ou trépasser, ou juste outrepasser -le roi...-), et servent vaguement de fil rouge (deux vendeurs ambulants de farces et attrapes tout droit sortis de Beckett ou avoisinant).
Reste le sentiment de profonde et sourde étrangeté (je suis persuadé qu'un autre jour, j'aurais pu trouver ça génial) qui ne suffit pourtant pas, parfois, à faire passer le temps plus vite...
Et, pour moi, un cas d'école d'éthique cinématographique : une longue scène vers la fin, avec des militaires en tenue coloniale, qui font entrer au fouet des Noirs (hommes femmes enfants) dans un étrange cylindre de cuivre percé de pavillons acoustiques (comme les anciens gramophones), les y enferment, puis allument un énorme feu dans la fosse qui est sous le cylindre, qui se met lentement à tourner, en produisant une musique multiforme et troublante (on voit la fumée noire au dessus du cylindre qui tourne). La scène est  effroyable, épouvantable, évoquant dans le même temps le colonialisme et la Shoah (vus par Plonk et Replonk), d'autant plus qu'y assistent, impassibles et silencieux, des "dignitaires" auxquels on sert cérémonieusement du champagne. Cette scène, je l'ai trouvée vraiment dérangeante, intolérable. Jusqu'à ce que (scène suivante) on s'aperçoive que c'est un des deux olibrius des farces et attrapes, assis piteusement sur le coin de son lit, qui explique à son comparse qu'il "a vu quelque chose d'affreux" . Et là, à ce moment, en mon for intérieur, je soupire de soulagement en disant "Ah booon, ça n'était qu'un rêve, ouf!", et, me tirant mentalement par l'oreille et m'interrogeant juste après "Mais pourquoi, ça rend la chose plus justifiable ? ou juste plus supportable ?,  déjà avant, c'était du cinéma, non ?"  Ca m'a, comme on disait chez Brétécher, "interpellé" mais  j'ai arrêté là l'introspection et le questionnement.
Il n'y a pas à dire, Roy Andersson fait bien du Roy Andersson, strictement, et cela peut, pour certains,  tenir  du procédé et du/de la mécanique. Et agacer. Il ne fait que reproduire "son" système. On peut quand même lui reconnaître un talent multi-casquettes, non ? (pluricul/multimed, comme le titre de cette catégorie, protéiforme dirait Téléramuche) : Ballet, peinture, comédie musicale, théâtre "moderne", film en costumes, sculpture, expérimentation scientifique, création sonore...  (Mais reprocherait-on à Godard de faire du Godard,qui peut lui aussi être considéré comme un applicateur de "procédé",un reproducteur de "système", non ?)
Mais, bon, quand même, ils avaient fumé quoi, à Venise, quand ils lui ont décerné le Lion d'or, hein ? J'aime bien la conclusion de Julien Gester, dans Libé : "Un jury taquin présidé par le compositeur Alexandre Desplat lui a décerné le Lion d’Or de la dernière Mostra de Venise, dans un probable accès d’extrême mauvais esprit." (je viens de regarder la liste de films en compétition, il n'y avait, à première vue, effectivement pas de grande grande chose qui aurait été injustement oubliée...). Oui, mais bon.
Nihilisme et cinéma sont dans un bateau...

423045

 

2 mai 2015

concombre, banane et tofu

CUCUMBER
de Russell T. Davies

C'est une série british que j'ai découverte il y a peu de temps, et dévorée en aussi peu de temps ou presque. Ça doit être dans les inrocks, un article sur les gays dans les séries... et un encart grisé m'avait attiré l'oeil "Cucumber, la série pansexuelle"... Mmmmh diante, qu'est(ce donc ? Je fouine donc sur le web (j'essaie d'abord honnêtement mais ce n'est même pas la peine...)
Il y a donc, huit épisodes, c'est une série british, dont le héros est un quarantenaire pédé, qui vit avec son compagnon (un vieux couple presque sans histoire sauf que son copain souhaiterait qu'ils se marient, mais lui, surtout pas.)
Dès le premier épisode (dès la première scène!) j'étais séduit. Hilare et conquis. Henry (c'est le héros) fait les courses à la supérette du coin, et, en poussant son caddie, il fantasme sur tous les mâles qu'il croise, en nous expliquant que des sexologues ont étbli un classement de la dureté des pénis en 3 groupes :1) le tofu (c'est le mou-mou)
2) la banane (on devient plus ferme)
3) le concombre (cucumber du titre) là c'est le plus dur, et d'illustrer lascivement ces 3 notions en les mettant en image (le tofu fait flotch quand le mec du rayon fromage lui tranche et lui sert sa portion, la banane est épluchée et dégustée par un jeune homme appétissant, et le concombre est frappé virilement dans la main par un autre jeune homme encore plus appétissant...)

On va donc suivre les aventures de Henry, de Lance (son boyfriend). Et des autres, autour. Henry et Lance s'aiment, vivent ensemble, mais sont un "vieux couple". Une certaine soirée va apporter comme un vent de folie sur leur histoire... J'ai regardé les 3 premiers épisodes sans encombre, et plutôt avidement. Le personnage d'Henry me plaisait énormément, sa presque cinquantaine, son indépendance, son désir permanent, son peu de goût pour la pénétration, et je suivais donc ses -leurs- aventures, quand, au 4ème épisode, me  semble-t-il, les choses ont commencé à se gâter : les sous-titres étaient, au bout d'un moment, un peu décalés, puis encore un peu plus, puis affreusement, et je passias mon temps à titiller la flèche pour essayer de les re-synchroniser. Mais ça me plaisiat tellement que je voulais vraiment voir la suite...
Le 6ème épisode est une énorme baffe, et vous oblige à reprendre votre respiration, à reconsidérer les choses sous un angle nouveau. J'ai regardé vite le 7ème et là... tout s'arrête

Le huitième épisode n'était pas, allez savoir pourquoi, disponible. Nulle part (j'ai pourtant effectué des recherches poussées), ne trouvant que des liens morts, ou des fakes, ou même rien du tout.
Je suis donc allé sur amaz*n, et là, ô bonheur, non seulement la série existait en dvd, mais un mec la vendait pour quasiment trois fois rien. Oh joie ineffable! Je commande, je le reçois assez vite (merci le gentil vendeur) et je peux enfin regarder à quoi ressemble ce fichu dernier épisode!
Le seul petit détail est que, s'il y a bien des sous-titres , ils ne sont qu'en version "anglais pour les malentendants". Ca ne m'a pas dérangé outre mesure, mais ça oblige à être très attentif.
Bon, il semblerait qu'il n'y aura pas de Cucumber saison 2, mais ça n'est pas une raison d'être triste (le dernier épisode est très très bien fichu, je trouve...)

Un bijou, cette série (si on aime les histoires de gay, bien évidemment) moins idéal(ist)e que Looking, plus terre-à-terre, moins bien peignée, plus bloody fucking british, à consommer comme le tea (ou le gin) : sans modération. (et en plus, ça vous fait un légume supplémentaire par jour! hihihi)

Cucumber - Cover
la jaquette...

Cucumber - Inside
la fanfare...

Pour la petite histoire, le monsieur qui a écrit Cucumber a créé en même temps deux autres "séries" qui vont avec : Banana, un format plus court (26'), qui est un genre de spin-off mettant en scène des jeunes gens qu'on voit aussi dans Cucumber, mais de façon indépendante, et Tofu, un format encore plus court (10') où, simplement, des gens, comme vous et moi (des acteurs de la série et d'autres) parlent de leur sexualité. Il y a peu de chances qu'on puisse voir ça un jour en France! Banana existe en dvd, mais pas Tofu

1 mai 2015

le scooter

(juste en phase d'endormissement)


J'entends distinctement, dans le garage qui est juste en-dessous de ma chambre, du bruit : quelqu'un est en train de faire démarrer un véhicule, mais pas ma voiture, plutôt un deux-roues... Un solex , une mob ? Non, un scooter, mon scooter... (J'aurais donc au fond de ce garage un scooter que j'y aurais oublié ?)
Dans un sursaut, je me réveille : il n'y a aucun garage en dessous de ma chambre (ça, c'était dans l'appartement d'avant), et je n'ai absolument jamais eu aucun scooter que ce soit...

dessin-margerin-01

(la nuit dernière, très flou, mais ça m'a mis en joie lorsque je m'en suis rappelé aujourd'hui)

Je suis avec des jeunes filles plutôt joyeuses. Parmi elles je réalise qu'il y a Adèle Haenel (et il doit y a voir aussi une autre jeune actrice que j'aime beaucoup, peut-être "l'autre" Adèle (Exarchopoulos), mais je ne suis pas sur). Je suis en même temps très joyeux moi aussi d'être avec elles, mais plutôt un peu impressionné : qu'est-ce que je vais bien pouvoir leur dire, il ne faut pas les décevoir...

unnamed-tt-width-604-height-425-bgcolor-000000

30 avril 2015

rohmervaudage

CAPRICE
d'Emmanuel Mouret

Dans le bôô cinéma, on a déjà programmé pratiquement tous ses films, sauf, bizarrement, l'avant-dernier* (avec JoeyStarr, où il avait pris un ton plus grave), mais, Mouret, c'est comme ça qu'on l'aime, en éternel grand benêt maladroit, aussi emprunté dans ses gestes qu'embrouillé dans ses sentiments. Et des jolies filles dans chacun de ses films.  Virginie Efira et Anaïs Demoustier dans celui-ci , mais, auparavant, Judith Godrèche, Virginie Ledoyen, Frédérique Bel, Déborah François, Julie Gayet ont eu avec lui des histoires d'amour. L'amour chez Mouret n'est pas très loin de celui de chez Perceval le Gallois, par exemple. Les mots "carte du tendre", "amour courtois", "horriblement compliqué" sont tout à fait de mise. On pourrait même rajouter au cocktail un zeste de Roro Barthes pour le faire un peu plus effervescer. Comment théoriser la pratique (et donc pratiquer la théorie). Non, rien n'est jamais simple dans les histoires d'amour d'Emmanuel M. Pourrait presque l'être, mais ce serait trop facile. Et ce qui pourrait être facile le dédevient, automatiquement. Parce qu'on "pense"...
Ce qu'on aime, en tant que spectateur, c'est guetter l'apparition du grain de sable qui va immanquablement venir enrayer la machine, et, surtout, de quelle façon il va le faire. Et quelquefois c'est encore un peu plus compliqué, il y a deux grains de sable, et on hésite, on tergiverse, on suppute, lequel serait donc le plus apte à bousiller le mieux  le processus, chacun de son côté, à moins que les deux... Comme il y a une mécanique du rire, une mécanique des femmes, il y a une mécanique des films de Mouret.
Une cérébralité certaine, qui s'appuie sur des dialogues très précisément écrits, presque précieux (de précis à précieux il n'y a qu'un eux d'écart). Il y a relation amoureuse, certes, mais il y a surtout un questionnement (mille questionnements) à propos du processus en question, qu'on se pose à soi-même, qu'on pose à l'autre, et aux autres aussi. Et chacun de mettre son grain de sel (ou de sable). Un comique de geste, aussi, un comique de maladresse et de gaffe (entre Tati et Pierre Richard), et, encore plus léger, un comique galant de l'incertitude, de l'entre deux, du oui ou non...
Comme si on essayait de résumer l'amour par une formule mathématique, ou une recette de cuisine. Quels ingrédients, dans quelles proportions, quelles actions, dans quel ordre... On ne sait jamais, on n'est jamais sûr, alors on joue à "et si..." (ça pourrait être tout aussi bien le jeu du petit chimiste).
Là, Mouret est divorcé, son ex-femme est très gentille parce qu'ell est partie avec son meilleur ami et donc qu'elle culpabilise. Le voilà qui rencontre une actrice de théâtre qu'il idolâtre (Virginie Efira, blondissime, avec des chaussures dorées sublimes -tiens, voilà que je vire Bunuel...-) et se met en ménage avec elle. Bonheur total, nirvana, plénitude, sauf qu'une rousse piquante (Anaïs Demoustier) lui tourne obstinément autour, autour de son jeune couple, de son bonheur tout neuf, de sa fidélité consciencieuse... Ah et il y a aussi son directeur (Laurent Stocker)- j'ai oublié de dire qu'Emmanuel M était instit'- que sa femme vient d'abandonner et qui aimerait bien en retrouver une autre...
Les quatre danseurs sont en place pour le quadrille, et, bien sûr, la musique commence...  "Faites la révérence, tournez, échangez vos cavalières..." (je ne raconterai rien de plus) Zabetta a dit qu'elle s'y était un peu ennuyée, moi, non non, rien que le fait de voir les petites mines d'Emmanuel Mouret me titille les commissures, alors je suis prêt à être plein d'indulgence. J'ai ri, j'ai souri, j'ai même pouffé (pas trop fort, parce que dans la salle, les autres spectatrices -il n'y avait que des femmes!- se cantonnaient dans un silence recueilli. (étaient-elles, elles aussi, amoureuses d'Emmanuel M. ?)
Il me semble qu'il y a, sur tout cet apparemment volatil marivaudage, un petit quelque chose de moins souriant, un léger voile d'amertume (ou d'aigre-douceur) qui n'existait pas forcément dans les oeuvres précédentes (mais j'ai pu oublier), et je trouve plutôt plaisante cette voix-off teintée d'un zeste de tristounerie qui ouvre et clôt le film (les paroles s'envolent...).
Oui, plaisant. "Mentir, ça peut être intéressant..."

088838

* (On me fait remarquer (merci Philou) que ce film est passé dans le bôô cinéma, et que c'est même nous (j'ai vérifié) qui l'y avons programmé... Donc ce n'est pas parce que je n'ai pas vu un film qu'il n'a pas été programmé... J'ai eu tort, et je le reconnais publiquement)

29 avril 2015

épouvantable

Ciné-Concert autour du
PROFONDO ROSSO
de Dario Argento
par le Surnatural Orchestra

(Troisième film de la journée, après Shahada et Taxi Téhéran). Là c'était une autre histoire...
Ce spectacle, c'était un des premiers que j'avais cochés sur la catalogue de la saison 14/15. Parce que je connaissais le film (pas mon préféré d'Argento mais bon) et parce que cette mise en musique, avec en plus un acteur et une danseuse, me promettait quelque chose de différent...
D'autant plus qu'il s'agissait d'un big band pour la musique, et que le film avait été remis en perspective avec son contexte politique italien contemporain (1975) : attentats, Brigades Rouges, et assassinat de Pasolini. J'étais très curieux de voir ce que tout ça allait donner. Beaucoup de scolaires dans la salle (signe que le spectacle n'avais pas été hyper-demandé par les abonnés habituels) mais qui se sont plutôt bien tenus : aucun portable allumé, c'est bon signe de l'intérêt qu'ils portaient à la chose). Deux heures plus tard je sortais, plutôt d'excellente humeur (c'était moi le plus content des quatre que nous étions).
Le Surnatural Orchestra a fait sur ce film un sacré boulot. La bande-son en a été ôtée (presque tout le temps), les sous-titres y figurent à peine de temps en temps (lorsque c'est vraiment nécessaire ou significatif), la musique vivante y est presque tout le temps aussi (souvent avec mais aussi quelquefois contre le film), et on a même droit (au moins deux fois si je me souviens bien) à des arrêts sur image (vive le numérique) clic! où on sort carrément du film pour assister (comme le visage alors présent sur l'écran) à ce qui se joue sur la scène (et même dans la salle), en vrai pour de bon. Je ne suis ni grand spécialiste ni amateur éclairé de jazz, mais ça j'aimais plutôt bien. Le spectre musical du groupe est très large, allant du simple bruitage minimaliste (oh ce tic tic tic des baguettes) à la grosse fanfare en passant par tous les cas de figures musicaux ou presque (ah les montées vraiment très angoissantes qui accompagnent certains meurtres, ah la tarentelle joyeuse qui remonte soudain toute la salle...)
Quoi qu'en disent les exégètes, le film n'est pas le "chef-d'oeuvre ultime argentoien" qu'on voudrait nous vendre. Des scènes "fortes", oui (la plupart du temps celles des meurtres) reliées plutôt mollement par un genre de comédie sentimentale tout à fait dispensable. Le Surnatural Orchestra a fait le ménage, et ainsi démontré qu'il y a des scènes entières -et même des loooongues!- dont on pouvait tout à fait se passer (ou auxquelles on pouvait faire dire tout à fait autre chose.)
Si toute la première partie (avec Macha Méril) se goupille plutôt bien, la suite part un peu en salami, les meurtres suivants sont moins... convaincants (celui dans la salle de bains est quand même très longuet), parce que d'un sadisme attentif (l'eau bouillante, les coins de meubles, le camion des éboueurs et son crochet...) trop attentif. Mais il y a aussi le plaisir de revoir David Hemmings, et le discret parfum de Blow-up qu'il apporte (le détail qu'il découvre dans la chambre en grattouillant le plâtre fait -lointainement- référence au détail photographique flou dans le film d'Antonioni...) .
La "maison hantée" est une partie assez intéressante aussi (est-ce que je ne mélangeais pas avec l'angoissant La maison aux fenêtres qui rient ?). Le faux coupable nous est ensuite servi sur un plateau gros comme une maison et le tschack! retournement final n'est pas si retournant que ça... (l'idée en sera reprise dans Vendredi 13, si je ne m'abuse) mais les miroirs sont jolis...
Non, ce qui est vraiment bien, c'est ce que le Surnatural Orchestra a fait du film, travestissant le giallo en discours politique, transmutant le "parfois n'importe quoi" d'Argento en "tout à fait autre chose". Le rapport d'autopsie qui est lu en live pendant la scène complaisamment gore du camion des éboueurs, et fait dans un premier temps ricaner les spectateurs leur cloue soudain le bec quand il s'avère que c'est celui de Pier Paolo Pasolini. Le comédien qui interviendra plusieurs fois au cours du film s'identifie plusieurs fois à lui (et même, aussi, dans une scène émouvante, donne carrément la parole à Dario Argento lui-même, qui expliquait, dans une interview, comment faire du cinéma lui avait littéralement "sauvé la vie"...) La danseuse, petite robe rouge, intervient régulièrement, souvent en bord de scène, dans la salle parfois, dialoguant corporellement avec le film (et intervenant plusieurs fois entre l'image et le spectateur) rajoutant ainsi à la fois une proximité -physique- et une distance -intellectuelle- avec ce qui se joue sur l'écran.
Et, visuellement, la scénographie joue vraiment la carte du Profondo Rosso (le titre original), les musiciens /acteur/danseuse revêtant -au sens strict- l'apparence de certaines "Brigades Rouges"...
Un spectacle qui fut longuement applaudi, et qui le méritait.

profondo04-500x332

27 avril 2015

diffusable

TAXI TEHERAN
de Jafar Panahi

Un grand bonheur de cinéma. (En ces temps de Shaun le mouton, toujours pas vu d'ailleurs, je ne peux que joindre mon humble bêlement d'admiration à la cohorte -oui, plutôt, filons la métaphore, au troupeau- de ceux qui réééésonnent déjà sur l'affiche. ) Un gros, vrai, grand, bonheur de cinéma. Dont je m'approchais pourtant avec toute la prudence requise (je l'ai déjà dit 1000 fois je me méfie des unanimités dingdinguantes) mais là, pile-poil c'était le bon film à la bonne séance.
Dès la première scène, hop, c'est parti, de la jubilation pure et simple : un dispositif simplissime (une voiture, un taxi, avec une caméra qui peut pivoter sur son axe) des personnages (le chauffeur à casquette -Mister Panahi himself, "Jafarounet" pourrait sans doute dire une connaissance ficaïenne-, un passager devant, une passagère derrière), et un dialogue magnifique à propos de vol, de punition, de pendaison. Oui, il n'y a pas d'autres mot : je jubilais.
Et ça a continué, jusqu'à la fin. D'autres passagers vont se succéder, dedans (deux vieilles dames, un motard accidenté et sa femme, un vendeur de dvd piratés, la nièce du réalisateur, un ami perdu de vue) ou dehors (un étudiant en cinéma, un vendeur de cd piratés, un couple de jeunes mariés et leur photographe, un gamin...) Le film ne quittera pas la bagnole, ou ses abords  immédiats (tout ce que peut filmer, dedans ou dehors, la caméra embarquée à son bord). Ou comment, avec trois fois rien (la forme est humble) on peut réussir à parler de tout ou presque, à propos de la société iranienne actuelle : de cinéma (qu'on regarde), de lois, de violence, de vols, de répression, de religion, de superstitions, de règlementations, de cinéma encore (qu'on fait), sans oublier les roses, les poissons rouges, Woody Allen, et les cafés glacés.
Panahi a été l'assistant de Kiarostami (forcément, on pense à Ten, avec le même dispositif, mais qui était nettement moins drôle) et on peut se dire qu'il lui rend ainsi, plus ou moins, hommage, avec malice, contournant pour la troisième fois le "jugement" qui lui a interdit de tourner des films -et de sortir du pays- pendant vingt ans (purée, vingt ans!). Après avoir raconté un film dans son appartement (Ceci n'est pas un film) Il est donc descendu dans la rue (ça il a le droit!) s'est assis dans ce taxi et s'y est donc mis en scène (certains critiques tatillons lui ont reproché cette complaisance), au fil des rues de Téhéran. Et c'est, finalement, la seule chose , dans le film, dont on est sûr qu'elle est vraie : Jafar Panahi conduit un taxi à Téhéran.
Pour le reste...
C'est du vrai ? du faux ? du vrai pour de faux, du faux pour savoir le vrai ? Et bien j'avoue que cette délicieuse incertitude rajoute encore une épaisseur de bonheur au film. Un des passagers  dit à Panahi "Je sais bien que ce sont des acteurs, et que tout ça est scénarisé, hein ?" et Jafar P. répond juste avec un sourire. Ni oui ni non, débrouille-toi avec ça, et ainsi chaque spectateur. Des moments de vie, des instants, des rencontres, des passages.
En plus des événements, du "réel", il est aussi beaucoup question des différentes façon de le figurer, de le conserver (les supports et les outils caméra, téléphone portable, appareil-photo numérique). Donc de le transmettre. Et ces possibilités de représentations deviennent parfois vertigineuses (cette scène magnifique où ce qui se passe à l'extérieur est filmé par la fillette sur son téléphone - on re-voit très bien les choses sur son écran numérique-, qui est elle-même filmée en train de filmer à cet instant par la caméra installée dans la voiture.) Jolie oui très jolie mise en abyme cinématographique, le genre de choses qui me font encore plus jubiler (oui c'est la troisième fois au moins que j'utilise ce mot dans ce post, à dessein).
Et, tout à la fin, Taxi Téhéran rejoint le très fort (et éprouvant) Les manuscrits ne brûlent pas (de Mohammad Rasoulof) : comme lui, il est dépourvu de générique.
Pour cause de courage, d'intelligence,  de finesse, de lucidité, d'énergie, d'humour (toutes ces raisons sans doute considérées comme d'effroyables crimes lèse-mollahs...) Deuxième film de la journée, tout de même (après Shahada le matin) où il est à nouveau question, moins frontalement sans doute,  de religion et d'aveuglement...

546075

un film "ligne claire", ce que suggère finement l'affiche française

Top 10

Archives
Newsletter
Visiteurs
Depuis la création 384 527