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lieux communs (et autres fadaises)
15 mai 2015

réminiscences

L'ASTRAGALE
de Brigitte Sy

On quitte l'Inde (comme Titli) et on revient aux adaptations littéraires (comme Journal d'une femme de chambre).
Je connaissais, bien sûr le nom d'Albertine Sarrazin, et de son roman L'astragale (on a dû en parler dans les années 70, lorsqu'en était sorti une adaptation au cinéma par Guy Casaril (Les novices) avec Marlène Jobert dans le rôle-titre (pas celui de l'os du pied, hein) ce qui vous date assez précisément un film -ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit-...) mais je ne l'avais jamais lu (et n'avais pas très envie de le lire).
Or, après avoir vu le film de Brigitte Sy, on aurait drôlement envie de pouvoir reprendre le bouquin, parce que ce qu'elle écrit, dans le film, est vraiment magnifique (pfff je n'ai aucune imagination : quand je trouve ça beau et que j'aime bien c'est "magnifique"). Dans le film il est surtout question d'amour, (de désir, d'attente, d'espoir, de déceptions, oh que ce processus (ces processi ?)-là me parle...), d'Albertine pour Julien (et réciproquement). Albertine est jouée par Leila Bekhti, tandis que son Julien d'amour l'est par Reda Kateb. Un critique les qualifie de "magnétiques", et je m'y joins (ce qui me permet d'éviter de replacer un autre "magnifique"). Si je  découvrais, me semble-t-il, la qualité du jeu de Leila Bekhti (ce qui ne veut pas dire qu'avant je la trouvais mauvaise, hein, simplement que je pensais ne l'avoir jamais vue jouer), celle de Réda Kateb venait, ecore une fois, confirmer que ce mec-là, quoi qu'il joue (un gitan énervé chez Audiard, un terroriste torturé chez  Bigelow, un kidnappeur pédophile chez  Videau, un interne bûcheur chez Lilti), m'impressionne à chaque fois tellement il y est bien. Et qu'on y croit. Et toujours en restant simplement lui-même. Sans jamais en faire trop (on pourrait même avoir le sentiment qu'il "en garde toujours sous le pied".) C'est sidérant.
Là c'est un "apache", un marlou, un petit truand dans le Paris (noir et blanc) de la fin des années 60. L'astragale s'emploie à retranscrire (à faire renaître) une époque désormais assez lointaine (le toute fin des années 50), et Brigitte Sy utilise donc à cet effet d'un  très beau noir et blanc (je ne sais pas pourquoi, j'ai toujours un gros faible pour les films en n&b). Le film ne peut néanmoins être trop précisément daté, sauf dans les intertitres, -on évoque...- et c'est tant mieux qu'il évite aussi de tomber dans l'objet-d'époquisme maniaque qui peut vite devenir plombant dans ce genre d'entreprise.
Brigitte Sy joue avec habileté sur les deux tableaux : l'évocation de la France des années 50/60, mais aussi du cinéma de cette France-là. Un esprit populo parigot, un certain folklore cinématographique (rades où le loufiat vous sert  des ballons de rouge, filles de joie sur un coin de trottoir, chambres d'hôtel de passe) oui ces films où on fume à la chaîne des gitanes sans filtre, où les téléphones pèsent 50kg...). Il y  a  dans ce souci plastique une arrière-pensée de film noir mais aussi de romance, plus ou moins dramatique, un parfum de Gabin et Morgan, d'Arletty, de Piaf, de Prévert et Kosma, (et, pourquoi pas, de Bardot jeune) de Rififi à Paname (non, je viens de vérifier, ça n'est pas ça, c'est plus récent, et Gabin y est déjà vieux, mais le titre est représentatif, dans l'esprit) plutôt de Rififi chez les hommes (le mot Rififi, tiens, ça aussi ça vous date un film...).
Le milieu, Albert Simonin, les "caves", les condés, tout ce folklore, certes, mais aussi un contexte politique précis (la guerre d'Algérie) évoqué en toile de fond -en filigrane- de l'histoire d'amour (elle-même doublée d'une autre, symétrique presque, celle entre Albertine et Marie). Un film que je rangerais pas loin de Nos héros sont morts ce soir (de David Perrault, avec l'impressionnant Denis Ménochet) : même époque, même ambiance, même noir et blanc... S'il s'agissait d'un exercice de style, genre revival réalisme poétique, il est sacrément bien réussi. En "temps subjectif" (la durée supposée, celle qu'on évalue en regardant le film), je l'ai trouvé à peine un peu plus long que sa durée réelle, mais bon, s'agissant d'un film sur l'attente, ça peut se comprendre...
Le carton final (combien d'années de prison, combien d'années d'amour) n'était peut-être pas complètement indispensable, voire même la "vraie" photo ultime... mais peut-être la dernière image du film, le plan sur le visage de Réda Kateb à travers la vitre était-il  -finalement- trop ambigu ?

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12 mai 2015

à trois (sur la moto) on y va!

TITLI
de Kanu Behl

"Avertissement : des scènes, des propos ou des images peuvent heurter la sensibilité des spectateurs" (allociné)
Je confirme.
Plusieurs fois j'ai détourné la tête ou je me suis carrément caché les yeux pour ne pas regarder. Ce Titli (en hindi ça veut dire papillon, c'est joli, hein ? c'est léger ça virevolte, ça va de fleur en fleur... sauf que pas du tout du tout...)-là est le plus jeune d'une fratrie de trois, qui habitent ensemble avec leur vieux père (la maman est morte) et sont bandits pour vivre. Le frère aîné est le plus orageux, d'ailleurs ça pète assez fort devant la maison familiale dès le début quasiment du film. Leurs "coups" ? Ils arrêtent  de force des bagnoles dont ils détroussent les occupants, par la violence s'il le faut.
Mais Titli a d'autres ambitions : il veut se mettre à son compte, acheter un parking dont il serait le boss,  mais pour ça il lui faut 300 000 roupies. Il va tout faire pour que son projet se réalise, mais tout va mal se goupiller, parce qu'il est inexpérimenté, parce qu'il a voulu la jouer seul,  parce que les flics sont corrompus, et la solution que ses frangins trouvent est de marier Titli, ça serait bien qu'il y ait une femme dans leur petit commerce (ils veulent aussi ouvrir une épicerie), ça fait davantage venir le client. A mariage arrangé,  (oh quelle tristesse sur le visage des deux tourtereaux) nuit de noces compliquée. Et les choses vont continuer d'aller de plus en plus mal, de plus en plus fort, les mensonges s'accumulant et les tromperies idem. Mais Titli et Neelu (sa jeune épouse) finissent par trouver un terrain d'entente, (chacun est prêt à aider l'autre à réaliser son rêve), au terme d'un accord dont le prix est le plan-épargne de Neelu (250 000 roupies).
C'est parfois insoutenablement violent (quelques personnes ont quitté la salle) mais je pense que c'est aussi cruellement réaliste. Dans un "vrai" Delhi très contemporain de béton et de crasse, ça nous change vraiment des bollywooderies. Là, on n'a même pas un poil de musique indienne (mais celle qu'on entend dans le film, plutôt ambient, est très belle) ni marahadjahs ni éléphants ni numéros musicaux avec sourires et oeillades. Juste du brut, du concret. Et du sang, donc.
Un belle étude de personnage, d'un jeune garçon qui est soudain amené à faire des choix. A grandir, à assumer. (Le dernier quart d'heure, recentré sur Tetli, est magnifique, sans doute parce qu'aussi beaucoup moins violent (physiquement, en tout cas, moralement c'est une autre paire de manches) sauf peut-être le tout dernier dernier petit bout, où la presque happy-end semble presque articielle (mais bon, c'est quand même bien de finir sur une -petite- note d'espoir, après cette accumulation de noiceur.)
De beaux personnages féminins, aussi (ce n'est pas souvent qu'il est question de divorce dans un film Indien), comme dans The lunchbox, des femmes qui sont assez fortes pour oser s'affranchir de leurs brutes de maris (les mères) ou pour aimer celui qu'elles veulent aimer en dépit d'un mariage arrangé (les filles), et de la belle complicité qui les unit (les mères et les filles).
Le film est un premier film (de fiction) pour son réalisateur (venu du court-métrage) mais il l'est aussi pour ses deux -jeunes- acteurs principaux, Shashank Arora (Titli) et Shivani Raghuvanshi (Neelu) deux non-professionnels qui y sont d'une belle justesse, et auxuqels on croit. Et, (paradoxalement  ?), ça fait plaisir de retrouver dans un film une image  juste de l'Inde qu'on connaît, dans son évolution, sa prolifération, son ambition. Une image au quotidien, parfois un peu appuyée (les scènes de lavages de dents avec crachats deviennent presque un gag récurrent) mais juste dans ses couleurs (ah ces murs roses bleus multipeints de l'Inde que j'affectionne tant), dans les vêtements (ah les marcels des frangins) dans la nourriture (on a l'impression qu'ils mangent tout le temps...) dans les décors et les environnements (immeuble en construction, parking à louer, appartement-témoin), dans les comportements aussi (besoin d'argent, volonté d'ascension sociale, importance de la structure familiale).
Un autre élément  important du film est (le cinéaste s'en est exprimé) le rapport au père. Dans la maison de Titli, il est omniprésent (un très beau travail sur les cadrages) même s'il ne s'exprime pas beaucoup, il observe, c'est lui qui régit cette tumultueuse fratrie, et dont l'autorité sera plusieurs fois remise en cause plusieurs fois au long du film. se fera même à plusieurs reprises traiter d'"ordure".
Le film est multiple et contrasté (ah... "Inde, terre de contrastes", n'est-ce pas ?), composite (du thriller, de la chronique sociale, du mélo) et, comme tout "vrai" plat Indien, après une attaque en bouche plutôt incendiaire et agressive, vous pourrez ensuite apprécier la subtilité épicée du mélange des genres...

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(l'affiche en anglais)

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(l'affiche en français)

9 mai 2015

beaucoup d'amour (et de regrets)

ANTON TCHEKHOV - 1890
de René Féret

L'avant-dernier film de René Féret s'appelait Le prochain film. Il ne savait pas que, justement, ce prochain film,  (celui-ci, donc), serait aussi son dernier. Nous avons appris sa mort au moment où nous mettions en page la nouvelle programmation (où figurait son film) et c'est donc un peu comme un hommage que nous en profitons pour lui rendre.
Et quelle belle fin de cinéaste, de partir ainsi, là-dessus. Un film qui raconte quelques années de la vie de Tchekhov (dont j'avoue que je ne connaissais pas grand chose). Je ne le savais pas isssue d'une fratrie quasi-Daltonienne de joyeux moujiks (tous de barbounettes diversement dotés), avec heureusement au milieu une soeur (Macha, tiens, jouée par la douce Lolita Chammah). Un film sur Tchekhov et  tout autant un film tchekhovien...
En sortant de la salle, on était quatre à être restés à discuter sur le parvis du bôô cinéma, et on était encore, tous les quatre, sous le charme du film. Un je-ne-sais-quoi de doux, d'apaisant, d'apaisé. Comme flottant sur un petit nuage de Tchekhovie. Simple et simplement.
On découvre Anton dans sa famille, au moment où des pontes de la littérature venus de Pétersbourg viennent à domicile chanter ses louanges et insister pour éditer ses nouvelles. Tchekhov est alors médecin, et son don pour la littérature ("j'écris comme je mange une crêpe, je pose la plume sur le papier, et quand je la relève, l'histoire est terminée..." lui fait dire Féret) lui sert surtout à subvenir à l'entretien de sa famille. C'est un moment particulier, un tournant dans son existence, cette soudaine reconnaissance publique ou du moins critique, et la caméra de Féret s'affaire à nous retranscrire tous les remue-ménage (remue-famille, plutôt) que ce changement de situation (ou de point de vue) soudain engendre. D'autant plus qu'il est poursuivi par les assiduités amoureuses d'une demoiselle (à laquelle d'abord il résiste mais pas longtemps). A la mort de son frère, il décide de respecter la promesse qu'ils s'étaient faite tous les deux et part pour l'ile de Sakhaline où sont entassés les condamnés, dans des conditions assez effroyables, avec l'intention d'en faire un livre de témoignages, en interrogeant chacun d'eux l'un après l'autre sur leurs conditions de vie. Il y rencontre aussi une jeune institutrice avec laquelle se noueront des liens affectifs tchékhovienissimes, avant que de revenir à Petersbourg (où sa famille est désormais installée) pour assister à la création de sa pièce La mouette...
Le film est construit en trois actes (la renommée / Sakhaline / La mouette) et c'est sans doute dans sa partie centrale qu'il est le moins convaincant parce que le moins "sobre" (c'est difficile de montrer l'horreur ou la misère sans être démonstratif, et tomber dans l'illustration façon clip de Mylène Farmer avec guenilles pieds sales et morve au nez) au début tout du moins, car ce qui se joue avec Anna vient heureusement à nouveau re-tchékhover l'histoire. Trois parties, trois beaux portraits de femmes (la soeur, la maîtresse, l'institutrice), trois façons d'aimer, aussi, et cette magnifique conclusion où Tchekhov , assistant aux répétitions de La mouette, donne aux comédiens des conseils (des explications) sur sa façon d'envisager la tristesse, le désespoir, et, surtout, la manière de les figurer, de les jouer. Par un effet de mise en abyme douce, on réalise alors que c'est aussi René Féret qui vient de s'adresser à nous, par la voix de son personnage, sur le jeu de ses comédiens.
L'acteur incarnant Tchekhov (Nicolas Giraud, que je ne connaissais pas) est le diapason magnifique au son duquel tous les autres s'accordent. Musique de chambre, quelque chose de beau, de doux, de sensible. Partition affective pour soliste et famille, interprétée avec attention(s) et sensibilité. René Féret nous parle d'Anton et de ses siens, certes, mais c'est toute sa famille à lui (René Féret) qui transparaît discrètement à travers le dépoli des images de l'écran.
Un beau film, qui donne enve de voir ou de revoir tous les précédents (qui n'ont jamais, il faut le reconnaître,  tonitrué dans l'actualité cinématographique, à part La communion solennelle -une belle histoire de famille, encore-, qui avait été un beau succès en son temps).

 

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4 mai 2015

je suis content(e) de savoir que vous allez bien

UN PIGEON PERCHE SUR UNE BRANCHE PHILOSOPHAIT SUR L'EXISTENCE
de Roy Andersson

A quoi ça tient parfois, hein...
Je viens de relire le post que j'avais écrit qur son précédent film, Nous les vivants, et je pourrais carrément presque tout recopier à la virgule près, SAUF là : "On aimerait que ça dure davantage (on ne voit pas le temps passer)."
Figurez-vous que là c'était tout le contraire, j'ai trouvé que ça durait trèèèèèèès longtemps, (le syndrome "Tiens, là, ça serait bien que ça s'arrête...") et je me suis emmerdouillé. Roy Andersson persiste dans l'observation de l'homo sapiens (mais pas rigolans) et c'est...  sinistre (c'est voulu, je sais mais n'empêche que j'avais le sentiment que tout ou presque était lourd - ou tombait à plat-). C'est très désespéré (et -rant, donc, aussi) et du coup ça nous laisse désemparé (comme si le réalisateur nous tendait un miroir et nous disait "Allez, vas-y, rigole!".)
Sans doute ni le bon jour, ni l'humeur adéquate (j'avais pourtant fait courageusement 50km sous la pluie en écoutant Anaïs Demoustier sur France-Cu, juste pour le voir). Comme Nous les vivants, cette même sensation de bric-à-brac, d'empilement, de méli-mélo, de bout-à-bout de machins (et peut-être que, justement, l'effet de surprise ne jouait plus cette fois-ci), ce même travail chromatique (j'ai appris entre-temps qu'il s'agit de désaturation) qui fait que tout, absolument tout est beigeasse (Nous les vivants était plutôt dans les verdasses), même la figure des gens (comme enterrés). Certains personnages reviennent (contrairement à d'autres qui ne font que passer, ou trépasser, ou juste outrepasser -le roi...-), et servent vaguement de fil rouge (deux vendeurs ambulants de farces et attrapes tout droit sortis de Beckett ou avoisinant).
Reste le sentiment de profonde et sourde étrangeté (je suis persuadé qu'un autre jour, j'aurais pu trouver ça génial) qui ne suffit pourtant pas, parfois, à faire passer le temps plus vite...
Et, pour moi, un cas d'école d'éthique cinématographique : une longue scène vers la fin, avec des militaires en tenue coloniale, qui font entrer au fouet des Noirs (hommes femmes enfants) dans un étrange cylindre de cuivre percé de pavillons acoustiques (comme les anciens gramophones), les y enferment, puis allument un énorme feu dans la fosse qui est sous le cylindre, qui se met lentement à tourner, en produisant une musique multiforme et troublante (on voit la fumée noire au dessus du cylindre qui tourne). La scène est  effroyable, épouvantable, évoquant dans le même temps le colonialisme et la Shoah (vus par Plonk et Replonk), d'autant plus qu'y assistent, impassibles et silencieux, des "dignitaires" auxquels on sert cérémonieusement du champagne. Cette scène, je l'ai trouvée vraiment dérangeante, intolérable. Jusqu'à ce que (scène suivante) on s'aperçoive que c'est un des deux olibrius des farces et attrapes, assis piteusement sur le coin de son lit, qui explique à son comparse qu'il "a vu quelque chose d'affreux" . Et là, à ce moment, en mon for intérieur, je soupire de soulagement en disant "Ah booon, ça n'était qu'un rêve, ouf!", et, me tirant mentalement par l'oreille et m'interrogeant juste après "Mais pourquoi, ça rend la chose plus justifiable ? ou juste plus supportable ?,  déjà avant, c'était du cinéma, non ?"  Ca m'a, comme on disait chez Brétécher, "interpellé" mais  j'ai arrêté là l'introspection et le questionnement.
Il n'y a pas à dire, Roy Andersson fait bien du Roy Andersson, strictement, et cela peut, pour certains,  tenir  du procédé et du/de la mécanique. Et agacer. Il ne fait que reproduire "son" système. On peut quand même lui reconnaître un talent multi-casquettes, non ? (pluricul/multimed, comme le titre de cette catégorie, protéiforme dirait Téléramuche) : Ballet, peinture, comédie musicale, théâtre "moderne", film en costumes, sculpture, expérimentation scientifique, création sonore...  (Mais reprocherait-on à Godard de faire du Godard,qui peut lui aussi être considéré comme un applicateur de "procédé",un reproducteur de "système", non ?)
Mais, bon, quand même, ils avaient fumé quoi, à Venise, quand ils lui ont décerné le Lion d'or, hein ? J'aime bien la conclusion de Julien Gester, dans Libé : "Un jury taquin présidé par le compositeur Alexandre Desplat lui a décerné le Lion d’Or de la dernière Mostra de Venise, dans un probable accès d’extrême mauvais esprit." (je viens de regarder la liste de films en compétition, il n'y avait, à première vue, effectivement pas de grande grande chose qui aurait été injustement oubliée...). Oui, mais bon.
Nihilisme et cinéma sont dans un bateau...

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30 avril 2015

rohmervaudage

CAPRICE
d'Emmanuel Mouret

Dans le bôô cinéma, on a déjà programmé pratiquement tous ses films, sauf, bizarrement, l'avant-dernier* (avec JoeyStarr, où il avait pris un ton plus grave), mais, Mouret, c'est comme ça qu'on l'aime, en éternel grand benêt maladroit, aussi emprunté dans ses gestes qu'embrouillé dans ses sentiments. Et des jolies filles dans chacun de ses films.  Virginie Efira et Anaïs Demoustier dans celui-ci , mais, auparavant, Judith Godrèche, Virginie Ledoyen, Frédérique Bel, Déborah François, Julie Gayet ont eu avec lui des histoires d'amour. L'amour chez Mouret n'est pas très loin de celui de chez Perceval le Gallois, par exemple. Les mots "carte du tendre", "amour courtois", "horriblement compliqué" sont tout à fait de mise. On pourrait même rajouter au cocktail un zeste de Roro Barthes pour le faire un peu plus effervescer. Comment théoriser la pratique (et donc pratiquer la théorie). Non, rien n'est jamais simple dans les histoires d'amour d'Emmanuel M. Pourrait presque l'être, mais ce serait trop facile. Et ce qui pourrait être facile le dédevient, automatiquement. Parce qu'on "pense"...
Ce qu'on aime, en tant que spectateur, c'est guetter l'apparition du grain de sable qui va immanquablement venir enrayer la machine, et, surtout, de quelle façon il va le faire. Et quelquefois c'est encore un peu plus compliqué, il y a deux grains de sable, et on hésite, on tergiverse, on suppute, lequel serait donc le plus apte à bousiller le mieux  le processus, chacun de son côté, à moins que les deux... Comme il y a une mécanique du rire, une mécanique des femmes, il y a une mécanique des films de Mouret.
Une cérébralité certaine, qui s'appuie sur des dialogues très précisément écrits, presque précieux (de précis à précieux il n'y a qu'un eux d'écart). Il y a relation amoureuse, certes, mais il y a surtout un questionnement (mille questionnements) à propos du processus en question, qu'on se pose à soi-même, qu'on pose à l'autre, et aux autres aussi. Et chacun de mettre son grain de sel (ou de sable). Un comique de geste, aussi, un comique de maladresse et de gaffe (entre Tati et Pierre Richard), et, encore plus léger, un comique galant de l'incertitude, de l'entre deux, du oui ou non...
Comme si on essayait de résumer l'amour par une formule mathématique, ou une recette de cuisine. Quels ingrédients, dans quelles proportions, quelles actions, dans quel ordre... On ne sait jamais, on n'est jamais sûr, alors on joue à "et si..." (ça pourrait être tout aussi bien le jeu du petit chimiste).
Là, Mouret est divorcé, son ex-femme est très gentille parce qu'ell est partie avec son meilleur ami et donc qu'elle culpabilise. Le voilà qui rencontre une actrice de théâtre qu'il idolâtre (Virginie Efira, blondissime, avec des chaussures dorées sublimes -tiens, voilà que je vire Bunuel...-) et se met en ménage avec elle. Bonheur total, nirvana, plénitude, sauf qu'une rousse piquante (Anaïs Demoustier) lui tourne obstinément autour, autour de son jeune couple, de son bonheur tout neuf, de sa fidélité consciencieuse... Ah et il y a aussi son directeur (Laurent Stocker)- j'ai oublié de dire qu'Emmanuel M était instit'- que sa femme vient d'abandonner et qui aimerait bien en retrouver une autre...
Les quatre danseurs sont en place pour le quadrille, et, bien sûr, la musique commence...  "Faites la révérence, tournez, échangez vos cavalières..." (je ne raconterai rien de plus) Zabetta a dit qu'elle s'y était un peu ennuyée, moi, non non, rien que le fait de voir les petites mines d'Emmanuel Mouret me titille les commissures, alors je suis prêt à être plein d'indulgence. J'ai ri, j'ai souri, j'ai même pouffé (pas trop fort, parce que dans la salle, les autres spectatrices -il n'y avait que des femmes!- se cantonnaient dans un silence recueilli. (étaient-elles, elles aussi, amoureuses d'Emmanuel M. ?)
Il me semble qu'il y a, sur tout cet apparemment volatil marivaudage, un petit quelque chose de moins souriant, un léger voile d'amertume (ou d'aigre-douceur) qui n'existait pas forcément dans les oeuvres précédentes (mais j'ai pu oublier), et je trouve plutôt plaisante cette voix-off teintée d'un zeste de tristounerie qui ouvre et clôt le film (les paroles s'envolent...).
Oui, plaisant. "Mentir, ça peut être intéressant..."

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* (On me fait remarquer (merci Philou) que ce film est passé dans le bôô cinéma, et que c'est même nous (j'ai vérifié) qui l'y avons programmé... Donc ce n'est pas parce que je n'ai pas vu un film qu'il n'a pas été programmé... J'ai eu tort, et je le reconnais publiquement)

29 avril 2015

épouvantable

Ciné-Concert autour du
PROFONDO ROSSO
de Dario Argento
par le Surnatural Orchestra

(Troisième film de la journée, après Shahada et Taxi Téhéran). Là c'était une autre histoire...
Ce spectacle, c'était un des premiers que j'avais cochés sur la catalogue de la saison 14/15. Parce que je connaissais le film (pas mon préféré d'Argento mais bon) et parce que cette mise en musique, avec en plus un acteur et une danseuse, me promettait quelque chose de différent...
D'autant plus qu'il s'agissait d'un big band pour la musique, et que le film avait été remis en perspective avec son contexte politique italien contemporain (1975) : attentats, Brigades Rouges, et assassinat de Pasolini. J'étais très curieux de voir ce que tout ça allait donner. Beaucoup de scolaires dans la salle (signe que le spectacle n'avais pas été hyper-demandé par les abonnés habituels) mais qui se sont plutôt bien tenus : aucun portable allumé, c'est bon signe de l'intérêt qu'ils portaient à la chose). Deux heures plus tard je sortais, plutôt d'excellente humeur (c'était moi le plus content des quatre que nous étions).
Le Surnatural Orchestra a fait sur ce film un sacré boulot. La bande-son en a été ôtée (presque tout le temps), les sous-titres y figurent à peine de temps en temps (lorsque c'est vraiment nécessaire ou significatif), la musique vivante y est presque tout le temps aussi (souvent avec mais aussi quelquefois contre le film), et on a même droit (au moins deux fois si je me souviens bien) à des arrêts sur image (vive le numérique) clic! où on sort carrément du film pour assister (comme le visage alors présent sur l'écran) à ce qui se joue sur la scène (et même dans la salle), en vrai pour de bon. Je ne suis ni grand spécialiste ni amateur éclairé de jazz, mais ça j'aimais plutôt bien. Le spectre musical du groupe est très large, allant du simple bruitage minimaliste (oh ce tic tic tic des baguettes) à la grosse fanfare en passant par tous les cas de figures musicaux ou presque (ah les montées vraiment très angoissantes qui accompagnent certains meurtres, ah la tarentelle joyeuse qui remonte soudain toute la salle...)
Quoi qu'en disent les exégètes, le film n'est pas le "chef-d'oeuvre ultime argentoien" qu'on voudrait nous vendre. Des scènes "fortes", oui (la plupart du temps celles des meurtres) reliées plutôt mollement par un genre de comédie sentimentale tout à fait dispensable. Le Surnatural Orchestra a fait le ménage, et ainsi démontré qu'il y a des scènes entières -et même des loooongues!- dont on pouvait tout à fait se passer (ou auxquelles on pouvait faire dire tout à fait autre chose.)
Si toute la première partie (avec Macha Méril) se goupille plutôt bien, la suite part un peu en salami, les meurtres suivants sont moins... convaincants (celui dans la salle de bains est quand même très longuet), parce que d'un sadisme attentif (l'eau bouillante, les coins de meubles, le camion des éboueurs et son crochet...) trop attentif. Mais il y a aussi le plaisir de revoir David Hemmings, et le discret parfum de Blow-up qu'il apporte (le détail qu'il découvre dans la chambre en grattouillant le plâtre fait -lointainement- référence au détail photographique flou dans le film d'Antonioni...) .
La "maison hantée" est une partie assez intéressante aussi (est-ce que je ne mélangeais pas avec l'angoissant La maison aux fenêtres qui rient ?). Le faux coupable nous est ensuite servi sur un plateau gros comme une maison et le tschack! retournement final n'est pas si retournant que ça... (l'idée en sera reprise dans Vendredi 13, si je ne m'abuse) mais les miroirs sont jolis...
Non, ce qui est vraiment bien, c'est ce que le Surnatural Orchestra a fait du film, travestissant le giallo en discours politique, transmutant le "parfois n'importe quoi" d'Argento en "tout à fait autre chose". Le rapport d'autopsie qui est lu en live pendant la scène complaisamment gore du camion des éboueurs, et fait dans un premier temps ricaner les spectateurs leur cloue soudain le bec quand il s'avère que c'est celui de Pier Paolo Pasolini. Le comédien qui interviendra plusieurs fois au cours du film s'identifie plusieurs fois à lui (et même, aussi, dans une scène émouvante, donne carrément la parole à Dario Argento lui-même, qui expliquait, dans une interview, comment faire du cinéma lui avait littéralement "sauvé la vie"...) La danseuse, petite robe rouge, intervient régulièrement, souvent en bord de scène, dans la salle parfois, dialoguant corporellement avec le film (et intervenant plusieurs fois entre l'image et le spectateur) rajoutant ainsi à la fois une proximité -physique- et une distance -intellectuelle- avec ce qui se joue sur l'écran.
Et, visuellement, la scénographie joue vraiment la carte du Profondo Rosso (le titre original), les musiciens /acteur/danseuse revêtant -au sens strict- l'apparence de certaines "Brigades Rouges"...
Un spectacle qui fut longuement applaudi, et qui le méritait.

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27 avril 2015

diffusable

TAXI TEHERAN
de Jafar Panahi

Un grand bonheur de cinéma. (En ces temps de Shaun le mouton, toujours pas vu d'ailleurs, je ne peux que joindre mon humble bêlement d'admiration à la cohorte -oui, plutôt, filons la métaphore, au troupeau- de ceux qui réééésonnent déjà sur l'affiche. ) Un gros, vrai, grand, bonheur de cinéma. Dont je m'approchais pourtant avec toute la prudence requise (je l'ai déjà dit 1000 fois je me méfie des unanimités dingdinguantes) mais là, pile-poil c'était le bon film à la bonne séance.
Dès la première scène, hop, c'est parti, de la jubilation pure et simple : un dispositif simplissime (une voiture, un taxi, avec une caméra qui peut pivoter sur son axe) des personnages (le chauffeur à casquette -Mister Panahi himself, "Jafarounet" pourrait sans doute dire une connaissance ficaïenne-, un passager devant, une passagère derrière), et un dialogue magnifique à propos de vol, de punition, de pendaison. Oui, il n'y a pas d'autres mot : je jubilais.
Et ça a continué, jusqu'à la fin. D'autres passagers vont se succéder, dedans (deux vieilles dames, un motard accidenté et sa femme, un vendeur de dvd piratés, la nièce du réalisateur, un ami perdu de vue) ou dehors (un étudiant en cinéma, un vendeur de cd piratés, un couple de jeunes mariés et leur photographe, un gamin...) Le film ne quittera pas la bagnole, ou ses abords  immédiats (tout ce que peut filmer, dedans ou dehors, la caméra embarquée à son bord). Ou comment, avec trois fois rien (la forme est humble) on peut réussir à parler de tout ou presque, à propos de la société iranienne actuelle : de cinéma (qu'on regarde), de lois, de violence, de vols, de répression, de religion, de superstitions, de règlementations, de cinéma encore (qu'on fait), sans oublier les roses, les poissons rouges, Woody Allen, et les cafés glacés.
Panahi a été l'assistant de Kiarostami (forcément, on pense à Ten, avec le même dispositif, mais qui était nettement moins drôle) et on peut se dire qu'il lui rend ainsi, plus ou moins, hommage, avec malice, contournant pour la troisième fois le "jugement" qui lui a interdit de tourner des films -et de sortir du pays- pendant vingt ans (purée, vingt ans!). Après avoir raconté un film dans son appartement (Ceci n'est pas un film) Il est donc descendu dans la rue (ça il a le droit!) s'est assis dans ce taxi et s'y est donc mis en scène (certains critiques tatillons lui ont reproché cette complaisance), au fil des rues de Téhéran. Et c'est, finalement, la seule chose , dans le film, dont on est sûr qu'elle est vraie : Jafar Panahi conduit un taxi à Téhéran.
Pour le reste...
C'est du vrai ? du faux ? du vrai pour de faux, du faux pour savoir le vrai ? Et bien j'avoue que cette délicieuse incertitude rajoute encore une épaisseur de bonheur au film. Un des passagers  dit à Panahi "Je sais bien que ce sont des acteurs, et que tout ça est scénarisé, hein ?" et Jafar P. répond juste avec un sourire. Ni oui ni non, débrouille-toi avec ça, et ainsi chaque spectateur. Des moments de vie, des instants, des rencontres, des passages.
En plus des événements, du "réel", il est aussi beaucoup question des différentes façon de le figurer, de le conserver (les supports et les outils caméra, téléphone portable, appareil-photo numérique). Donc de le transmettre. Et ces possibilités de représentations deviennent parfois vertigineuses (cette scène magnifique où ce qui se passe à l'extérieur est filmé par la fillette sur son téléphone - on re-voit très bien les choses sur son écran numérique-, qui est elle-même filmée en train de filmer à cet instant par la caméra installée dans la voiture.) Jolie oui très jolie mise en abyme cinématographique, le genre de choses qui me font encore plus jubiler (oui c'est la troisième fois au moins que j'utilise ce mot dans ce post, à dessein).
Et, tout à la fin, Taxi Téhéran rejoint le très fort (et éprouvant) Les manuscrits ne brûlent pas (de Mohammad Rasoulof) : comme lui, il est dépourvu de générique.
Pour cause de courage, d'intelligence,  de finesse, de lucidité, d'énergie, d'humour (toutes ces raisons sans doute considérées comme d'effroyables crimes lèse-mollahs...) Deuxième film de la journée, tout de même (après Shahada le matin) où il est à nouveau question, moins frontalement sans doute,  de religion et d'aveuglement...

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un film "ligne claire", ce que suggère finement l'affiche française

Top 10

24 avril 2015

impénétrable

SHAHADA
de Burhan Qurbani

(Ce post aurait pu aussi s'intituler "suppositoire", rapport à une plaisanterie sans doute de mauvais goût mais qui me réjouit depuis tant d'années et se termine par "parce que les voies du Seigneur sont impénétrables", mais qui ne rendait pas justice au film en lui conférant une notion de gaudriole avec laquelle il n'a aucun rapport, fin de l'introduction, ouch!)
Un film de 2010 dont j'avais en vain souhaité la programmation dans le bôô cinéma, et que finalement Marie m'avait offert pour mon anniversaire (dvd qui depuis m'attendait sur l'étagère, et, hier matin, voilà que c'était le moment de la rencontre... (rencontre qui a failli ne pas se faire puisque le lecteur de dvd sur mon ordi pédalait dans la choucroute -pour rester dans la gaudriole- et faisait mine de ne pas vouloir démarrer).
Un réalisateur au nom singulier, pour un film au générique tout aussi original (animé et graphique). Une histoire divisée en chapitres numérotés et titrés -bilinguement-. Trois histoires, plutôt, contrées sur trois personnages : une étudiante, un flic, et un employé aux abattoirs, chacun confronté à un problème précis (un avortement médicamenteux, un amour homosexuel, des retrouvailles problématiques) et ses conséquences (surtout dans les conflits moraux générés par ses rapports avec la religion islamique). Ce n'est pas un film sur la religion, mais, bien plus intéressant, sur les rapports que chacun entretient avec la religion, et surtout avec le Coran  que chacun des personnages appréhende à sa manière (un livre qui parle d'amour, ou qui stipule ce qui est interdit, ou qui évoque l'apocalypse, ou représente le fait d'être musulman), et, surtout sur les excès comportementaux, les aveuglements, - dans un sens comme dans l'autre- auxquels la foi peut conduire (bigotisme, frustration, illumination, souffrance).
Un dispositif choral, que le réalisateur a voulu peut-être trop resserré pour que les histoires soient imbriquées au maximum, ce qui n'était sans doute pas indispensable : la jeune fille croise à l'hôpital une infirmière qui est la femme du policier qui est intervenu aux abattoirs, sous les yeux du jeune homme dont le "copain" est harcelé par un autre jeune homme qui est le père de l'enfant que portait la jeune fille, etc.
Hormis cette réserve, on ne peut qu'être sensible à ce sacré beau portrait d'une communauté turque en Allemagne aujourd'hui, parce que centré sur les mots d'intégration, de tolérance, et de respect (avec, notamment, en plus de ceux déjà cités, un très beau personnage d'imam prêchant la tolérance -c'est le père de la jeune fille-, ce qui n'est pas si fréquent).
Un film très construit, rigoureux, sensible, actuel (il m'a semblé pouvoir y reconnaître quelques-uns des parents d'élèves auxquels j'ai pu avoir affaire en travaillant dans les "quartiers sensibles"), un film (très) injustement sous-estimé lors de sa sortie. (Il fait partie de ces "petits" (par les moyens, pas par leur impact) films qu'on a envie de, qu'on se doit de, défendre. Certains critiques y ont, heureusement, vu "un réalisateur prometteur". peut-être le sujet même du film a pu en rebuter certains. Mais rien de moralisateur dans tout ce qui est dit et montré, et c'est ce qui en fait la force.
Un beau film de nuit, de neige, d'amour (ou de dés-). De regrets souvent. Qui pour chacun des trois, finit comme ça, ni trop bien ni trop mal. Comme dans la vraie vie. Bref, à recommander.

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21 avril 2015

ce qui restera de nous

UNE BELLE FIN
d'Uberto Pasolini

Un clin d'oeil, en titre, au court-métrage de Vincent Macaigne, qui m'avait plutôt exaspéré mais dont le titre convient parfaitement à ce film-ci, même s'il ne lui ressemble absolument pas. Autant le premier tonitruait, provoquait, à-bras-le-corpsait, épate-bourgeoiseait, autant celui-ci reste calme, mesuré, ouaté, so british. Serein en apparence mais bon... Presque trop, presque.
Porté par un acteur central, Eddie Marsan (que les critiques découvrent et sur lequel ils s'exxxxxxtasient), vu dans pas mal de films et séries, souvent au deuxième rang, au second plan, qui joue ici John May, un homme dont le métier consiste à retrouver les éventuelles relations (familiales, sociales, amoureuses, amicales) de gens qui sont morts seuls, et à l'enterrement desquels il assiste, seul lui aussi. Ces gens qui sont morts seuls, ont été enterrés seuls, sont veillés avec entêtement ("Je fais mon travail", dit-il) et affection par cet homme à l'existence réglée, millimétrée, et aux manies, millimétrées elles aussi, de "vieux garçon".
Eddie Marsan compose un personnage en retrait, presque en creux tellement il s'est effacé derrière ce "job" qui est devenu toute sa vie, qui lui sert de famille, de souvenirs, de substitut relationnel, d'existence par procuration. Bien morne(et pâlichonne) existence, d'ailleurs (il faudra attendre longtemps, dans le film, pour voir son visage s'éclairer d'un sourire...)
Il y a tous ces morts que tout le monde a oubliés, et qui attendent patiemment, chacun dans son urne, que Mr May puisse clore leur dossier, et accomplisse la dispersion de leurs cendres. Chacun d'eux a laissé au moins une trace, une photo que John May colle méticuleusement dans un énorme album-photo où chacun d'entre eux, au fil des ans, aura finalement trouvé sa place. et échappé un peu à l'oubli.
Un film très british et donc plutôt mélancolique (il y a pour moi une incontestable nuance de mélancolie dans la britannicité, qui n'apparaît pas toujours au premier coup d'oeil mais finit presque  toujours par affleurer, et je repense souvent à ce splendide Never let me go, de Mark Romanek, qui constitue sans doute pour moi le mètre-étalon de la britannique mélancolie), ce que souligne encore plus la jolie musique au piano qui l'accompagne (qui le nimbe).
J'avoue que je ne connaissais que le pitch du film, et que, d'après le qu'en-dira-t-on critical, je m'attendais plutôt à voir une comédie sociale et rigolarde à l'anglaise : fish and chips, cups of tea, beuveries au pub and so on. Eh bien pas vraiment (voire même pas du tout). Une grosse partie du film va concerner un cas précis (et un peu particulier) de "mort tout seul", et le travail méthodique de John May pour tenter de reconstituer son existence (et, du coup, les rencontres occasionnées par la recherche de "liens" vieux d'une vingtaine d'années, rencontres dont certaines d'ailleurs pourraient bien bousculer certaine(s) existence(s), de part et d'autre si le hasard...)  Comment la mort de quelqu'un peut "contaminer" l'existence de quelqu'un d'autre qui ne le connaissait même pas (ou presque). Eddie Marsan est de tous les plans ou presque, et c'est bien. Juste.
Le générique final m'a cueilli avec les larmes aux yeux (les scènes finales sont magnifiques...) Non, vraiment, tout ça n'est pas excessivement drôle. Et je n'ai pu m'empêcher de me poser la question : Et pour moi, comment ça sera ?

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17 avril 2015

boucher roux

IL EST DIFFICILE D'ËTRE UN DIEU
d'Alexei Guerman

D'habitude je suis assis au fond, en bord de rang, mais il y a certains films pour lesquels j'ai besoin d'être au milieu de la salle, "au croisement des diagonales", pour mieux m'y mettre en immersion (dans les derniers : Ne change pas, de Pedro Costa, Leviathan, de Verena Paravel et Lucien Castaing-Taylor, Faust de Sokourov). Celui-là, je l'avais en ligne de mire, depuis que je l'avais raté à l'Etrange Festival (mais comme il était ensuite, bien avant sa sortie officielle, apparu -plop!- sur le web, j'avais pu en voir le début, sur mon ordi, avant de décider que cette prolifération marécageuse avait besoin d'être vue sur grand écran.) Il est programmé cette semaine dans le bôô cinéma, pour deux rikiki séances (dont une le mercredi soir, alors qu'on ne passe JAMAIS de nos films le mercredi soir) et nous étions donc 3 dans la salle au début -je pense que je devais être plus âgé que les deux autres spectateurs réunis-, mais ne fûmes plus que deux à la fin.
2h50, noir et blanc, russe sous-titré, tout pour attirer le chaland! Et le film tient effectivement ses promesses. Le "résumé" évoque  une planète comparable à la Terre, où des terriens ont été envoyés en observateurs. Une planète qui est restée coincée au Moyen-Âge. Et n'a pas l'air d'être prête d'en sortir. Les terriens observent mais n'ont pas le droit d'intervenir sur le cours des événements. On a donc la voix-off du narrateur/observateur, et ce qu'il voit (la caméra). C'est un des rares films (avec Le voyeur, de Powell) où la caméra existe en vrai pour les personnages du film, où on la regarde, où on s'approche pour la toucher, ou la sentir (c'est un film très sensoriel), où on la prend à parti, où on la provoque en agitant devant son oeil impassible (impavide) des machins divers. Face à la caméra, il y a un grand barbu qu'on va suivre sans arrêt, le Don quelque chose, qui parle aussi sans arrêt. Une sorte de seigneur qui est pris pour un dieu par la population locale -et quelle population, une sorte de cour des miracles, une galerie de trognes, sales, déformées, édentées- qui vaque à ses petites affaires moyen-âgeuses, qui grouille, qui s'affaire, qui s'agite, au milieu de la fange, de la merde, de la gouillasse...
C'est un film insensé.
C'est un film inracontable, incompréhensible (Pourrait-on raconter, ou expliquer, une fourmilière, ou une termitière, en faisant des très gros plans sur l'activité de certaines des bestioles qui l'habitent ? Pourrait-on comprendre, ou au moins appréhender une globalité sociale en n'en observant que des détails ?) Un flot d'images, et de mots (et la lecture des sous-titres en rajoute aussi à sa façon dans la difficulté d'appréhension -et de compréhension- de cet univers) perpétuel : l'écran est plein à ras-bord, toujours (on comprend que le tournage du film ait duré des lustres) pendant que le seigneur parle, ou commente, ou apostrophe, ou monologue, ou insulte, tout en faisant d'autres choses qui ne sont pas forcément raccord avec ce qu'il dit. Avec constance, obstination, la logorrhée accompagne la saturation visuelle. On est pris, captif plutôt (et il ne fait pas bon être prisonnier sur cette planète, vu la façon dont il les traitent... Noyé dans les latrines, ça vous dirait ?), il s'agit alors de tenter d'accommoder, d'être perpétuellement en alerte, les yeux et les oreilles grand ouverts (pas le nez, heureusement, le film n'est pas en odorama) pour tenter de -un peu- comprendre, de combiner les éléments disparates pour faire- un peu- sens.
C'est un film total, un film-somme, un film-univers (je parlais d'immersion au début du post et le mot est ici tout à fait justifié). Un film qui déconcerte, déstabilise, dégoûte même, (parfois, souvent) un film qui dégueule, qui chie, qui suppure, qui pue, un film de trou-du-cul-du-monde, un film organique, sphinctérien, un film d'entrailles, de sang, de merde. Métaphore physique, géographique, anatomique, mélancolique, boulimique, d'une certaine russitude (on ne peut pas ne pas penser à Stalker, d'après les mêmes Strougatski -pour le bouquin- mais avec Tarkovski derrière la caméra : même humidité, même fange, même désespoir).
Guerman a passé plus d'une dizaine d'années sur ce projet, et n'a pu vraiment en venir à bout (car il est mort. ) Et c'est sa femme et son filston qui en ont achevé le montage. (D'où la pensée que le film n'est peut-être pas que d'Alexei Guerman (qui n'a réalisé que six films mais dont aucun n'est trouvable -par des moyens "normaux"... -J'ai le bonheur d'être en position d'un exemplaire de Khroustaliov ma voiture! -enregistré sur VHS lors de son passage sur arte il ya longtemps, et numérisé ensuite, mais bon la qualité est celle de la VHS- autre film insensé en noir et blanc et en russe sous-titré, que nous avions programmé lors de nos -éphémères- "lundis des amis", dans l'ancêtre -un peu guermanien, d'ailleurs- du bôô cinéma, c'était plutôt alors le môôôche cinéma, d'ailleurs!) ou plutôt n'est pas tout à fait le film que Guerman "tout seul" aurait fait, mais au fond quelle importance ?)
Un film, donc, qui refuse le "récit" traditionnel, la narration "habituelle" : plutôt que d'aller de l'avant on a l'impression que le récit glisse latéralement, comme un travelling gigantesque, et peut-être circulaire, d'ailleurs, comme si aller de l'avant était impossible, inimaginable, proprement (!) impensable.
Un film viscéral.
Un film éprouvant.
Et aussi, un film qui, à force de coller ses yeux (et son nez) tout près, trop près, ("le nez dedans") finit pourtant par mettre le spectateur à distance. Le spectateur qui n'a pas grand chose de connu à quoi se raccrocher, qui patauge, et avance prudemment en essayant de ne pas s'en foutre partout. Rester debout, rester vivant. (rester éveillé, aussi, diront les mauvaises langues : j'avoue que j'y ai piqué du nez, et, même, dans cet état, mi-sommeil mi-éveil, le film a quelque chose d'hypnotiquement monstrueux : cette voix dont on ne comprend plus les mots (si on ferme les yeux, on n'entend que le russe) qui vous ferraille dans l'oreille sans trêve, infiniment...) Le temps n'a plus de sens. 
Un film sans précédent, comme une gigantesque boucle temporelle, une stase.
Il n'y a qu'à la fin que le réalisateur nous sort la tête du caca et des tripes et prend un peu de recul. Et modifie - enfin ?- notre regard, (et donc notre rapport au film). La caméra a pris de la distance  (elle n'est d'ailleurs à ce moment-là plus utilisée en tant que personnage, c'est juste une caméra, qui enregistre ce que font des gens). La scène où le Don, en chemise, le cul dans l'eau, explique aux autres qu'il ne reviendra pas sur terre.(J'avoue, je viens de la re-regarder sur mon ordi, et ça m'a permis de comprendre certaines choses. D'abord de mieux appréhender l'invraisemblable complexité -la virtuosité- de ces plans-séquences démesurés, où se combinent les mouvements de caméra, ceux des personnages, la profondeur de champ). A ce moment, après cette halte, cette respiration, (l'homme, toujours le cul dans l'eau, vient de s'endormir) la caméra reprend soudain son rôle initial, celui de personnage au même titre que les autres, puisque c'est à ce moment que le Don se rhabille, remet son costume de Don pour repartir... (la scène est absolument magnifique).
Puis la caméra prend -enfin- le temps, de la distance aussi, sur de splendides perspectives de neige (et de silence), qui  laissent  au spectateur le temps de respirer, de se reprendre, avant un sublime plan final où le film enfin s'apaiserait (si Le cheval de Turin virait au dark, à l'obscurité, aux ténébres, ce film-ci, au contraire, en sort, in extremis, et réussit finalement à nous tirer vers le blanc, sans que les perspectives d'avenir en soient plus joyeuses...), prendrait le temps de nous laisser le quitter, avant un austère (et démesuré) générique de fin.
C'est incontestablement le genre de film qu'il faut avoir chez soi, qu'il faut garder (et re-garder). Pour prendre le temps de. (L'arrêt sur image et le rewind sont des fonctions divines, quand il s'agit de mieux comprendre cet univers-là et de l'appréhender à sa juste mesure.)

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