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lieux communs (et autres fadaises)
29 octobre 2018

bienvenue aux lendemains

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COLD WAR
de Pawel Pawlikowski

J'étais resté sur le souvenir de l'émerveillement produit par Ida (), en 2014. Et j'ai donc couru voir celui-ci dès la première séance, sans en rien savoir du tout, avec les copines Emma et Dominique, dans la salle 3 de notre cher Victor-Hugo. Tranquilles, au dernier rang (pour ne pas recevoir des coups de genoux dans le dos) même si quelques vieilles sont venues en ribambelle perturber notre quiétude en voulant s'asseoir aussi en ce même dernier rang. Mais passons sur les fâcheuses.
Plastiquement, le film provoque la même sidération qu'Ida (même format, même sens du cadrage, de la composition) pour un sujet un peu différent (quoique). L'histoire est cette fois centrée sur un couple (une chanteuse blonde et un musicien brun, Joanna Kulig et Tomasz Kot, tous les deux délicieusement délicieux) du genre que je préfère, celui  du "ni avec toi ni sans toi", qu'on va suivre de de 1949 (le moment de leur rencontre) jusqu'à quasiment quarante ans plus tard, quand la boucle est bouclée. En Pologne, puis à Berlin, puis en France, puis re-en Pologne. Un couple dont le réalisateur affirme que l'histoire est inspirée de celle de ses parents (à qui le film est d'ailleurs dédié).
Un film qui chante beaucoup (toutes les premières scènes, par exemple, j'en étais très étonné) et qui danse (presque) tout autant, et même qui jazze (même si, justement, vous devez commencer à le savoir, ce n'est pas là mon genre musical préféré...), et c'est drôle (et attendrissant) de voir comment les temps changent (et les lendemains qui (dé)chantent) avec l'évolution d'un chanson (celle qu'on peut appeler "Oy oy oy", qui démarre à l'ouverture du film en refrain folklorique pour choeur de vierges aux joues rouges au grand air pour finir (à la presque fin de l'histoire) en standard vinylique germanopratin (voluptueux  et enfumé.)
Le réalisateur parle d'amour, mais, comme dans Ida, il parle -d'abord-  de la Pologne, du communisme, de la guerre froide, de l'histoire, de la politique, c'est la trame de ce qui aurait pu être un mélodrame étriqué (convenu) mais qui par son sens de l'ellipse et par la grâce de sa mise en scène épurée (sans esbrouffe) devient une grande et belle et touchante chronique (le dernier plan est beau à tomber, et il y aurait d'ailleurs tout un beau travail à faire sur les sorties de cadre dans les films de P.Pawlikowki...) au lyrisme tenu (ténu ?). L'Amour , l'Histoire avec un grand H, mais aussi, surtout, celle d'un couple qui se forme, se déforme, se distend, s'éprend et se déprend, au fil des ans et des lieux, et des élans de chacun des deux.
Et puis ne boudons pas le plaisir de retrouver, dans la partie française, "la" Balibar (notre Jeanne -cocorico- Nationale, que je n'ai d'ailleurs pas identifié à sa toute première scène), mais, également, Cédric Khan (dont j'ai dû attendre jusqu'au générique de fin pour retrouver le nom) que j'aime décidément beaucoup comme acteur même si j'ai du mal à reconnaître.
Le film est bref (moins d'1h30, générique compris) et c'est juste parfait comme ça. On ne pourra pas l'accuser d'en faire trop.
Avec Dominique et Emma, nous sommes sortis tous trois  parfaitement ravi(e)s.
Une incontestable perfection formelle (même si l'histoire est peut-être un peu en deça de celle d'Ida)
Je n'ai pas pu m'empêcher de jeter un oeil sur les critiques, dont j'étais certain que quelques-un(e)s allaient m'énerver. Bingo. Une fessée pour le nouvel *bs, d'habitude mieux inspiré ("Un film de misanthrope drapé dans un romantisme factice") et une pour les Cahiaîs -j'allais dire "bien sûr", tellement ils ont le don, à chaque numéro, de m'énerver plusieurs fois- ("Cold War fait partie d’une vague « rétro » fleurissant actuellement en Pologne marquée par un retour quelque peu nostalgique à la période de la guerre froide. Ce cinéma vintage met l’accent sur la reconstitution soigneuse de l’atmosphère de l’époque d’avantage que sur l’analyse politique. Le film de Pawlikowski ne déroge pas à la règle.")
Pffff...

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Ah tiens, si... Si je peux me permettre, j'en aurais bien une petite, de critique : quelle idée de traduire "en français" le titre polonais original par Cold War... A mon avis, il y avait mieux à faire...

24 octobre 2018

y avait un makabe...

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INVASION
de Kyioshi Kurosawa

Quand j'étais plus jeune et que je lisais de la science-fiction, j'ai toujours eu un faible pour les histoires de fin du monde et d'invasion extra-terrestre, et quand j'ai pu en voir au cinéma, évidemment, je m'y suis précipité. J'ai pu voir, dans le désordre, les différentes versions de Body snatchers (idiotement traduit par "profanateurs de sépulture", alors qu'on n'en voit pas la queue d'une -de sépulture- maiscomme beaucoup d'autres idioties, celle-ci est passée à la postérité), celle de Philip Kaufman en 1978, puis un peu plus tard l'original, de Don Siegel, en noir et blanc (1956) tard un soir au ciné-club je pense, et enfin le remake d'Abel Ferrara en 1993 et vu le résumé, je pensais que ce film-ci en était plus ou moins un...
Pas tout à fait.
(Invasion est quand même un remake, celui du film précédent de Kurosawa, Avant que nous disparaissions, qui était l'adaptation de la pièce de théâtre du même nom, sauf que le réalisateur a changé de point de vue, les aliens dans le premier, les terriens dans celui-ci)
S'il y a bien des extra-terrestres qui prennent progressivement possession (belle allitération postillonnante) des humains, ils ne le font pas via les cosses de haricots géantes qui m'avait tant impressionné dans les "body snatchers" précédents oh les délices de la s-f parano des années 50!), simplement (au début du film en tout cas) ils les déshumanisent, ils leurs volent des concepts en leur appuyant le doigt sur le front, en dépossédant ainsi leurs propriétaires (une jeune fille, ainsi, ne reconnaît plus son père, puisqu'on lui a pris le concept de "famille"). "On" c'est surtout un homme, Makabe, chirurgien nouvellement arrivé dans l'hôpital où travaille Tatsuo, le mari de l'héroïne, Etsuko. Etsuko réalise que les gens autour d'elle sont en train de changer (normal, on leur vole leurs sentiments) et qu'il ne s'agit que de la première étape de la véritable invasion. tatsuo sert de "guide" à Makabe, en lui fournissant des proies auxquelles il peut vider la tête (mais qui servent en réalité à assouvir de mesquines vengeances de la part de Tatsuo). mais ce sera bien, me semble-t-il, le seul alien qu'on verra dans le film.
Le film est le remontage d'une série télé de 5 épisodes, ce qu'on ressent un peu au niveau du montage (et de la durée aussi). Si le début est vraiment efficace et anxiogène, les enjeux narratifs se diluent un peu ensuite, et la fin carrément, (je trouve), tire en longueur. J'ai toujours la même réserve vis-à-vis de fils de KK : un je-ne-sais-quoi qui m'empêche d'adhérer complètement au projet (c'était déjà le cas dans le précédent Creepy), dans l'esthétique, peut-être, avec cette lumière volontairement moche et froide, dans la construction aussi, avec cet effritement des enjeux dramatiques et leur progressive mise en sur-place ou quasiment.
Mais j'aime énormément le parti-pris d'un fantastique "à l'ancienne", sans aucun effet spécial ou presque, où ce qu'on ne voit pas pourrait être bien plus terrifiant que ce que le réalisateur nous montre, où l'amour triomphe -dans une certaine mesure- et où certaines répliques m'ont donné envie de les retenir ("J'avais sous-estimé la force de l'amour..." ou  "Jamais un extra-terrestre ne tomberait dans un piège aussi grossier"), sans oublier la noirceur foncière du constat (Kurosawa n'est pas un optimiste, et il a bien raison).
Et il faut reconnaître qu'il est super-doué pour foutre la trouille.
Catherine, qui l'a vu avant moi, m'a dit s'être un peu endormie au début, moi ce le fut plutôt vers le milieu : à nous deux, on devrait pouvoir se reconstituer le film en entier (mais je continue de penser que les 2h20 n'étaient pas indispensables...)

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22 octobre 2018

comme si le coeur sortait

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LE GRAND BAL
de Laetitia Carton

C'était la soirée d'ouverture de saison, avec le film qu'on offre à nos adhérents (mais qui nous est facturé par l'esploitant, faut pas rêver non plus...), avec, cette année, une fois n'est pas coutume, un doc. Mais quel doc... Et si le bonheur était dans la salle, sur l'écran, il le fut aussi, après la séance, dans le hall du cinéma, puisqu'un groupe ami (Akan) s'y était installé pour, lui aussi, (nous) proposer un grand bal, et donc ça guinchait, ça tournait, ça virevoltait, avec un plaisir manifeste et des sourires grands comme ça.
J'avoue que j'étais, avant le début du film, un tout petit peu sceptique sur l'intérêt de la chose : un documentaire sur des gens qui se réunissent tous les ans, à 2000, pour passer une semaine à danser ? Mouais me disais-je... Et j'ai d'ailleurs continué à avoir un (tout petit) peu peur, au tout début du film : on y voit, effectivement, des gens qui dansent, la logistique du festival, les cours, les bals, les boeufs... Des gens qui parlent de ce festival, de la danse, de la façon dont ils vivent l'événement.
Et, comme une danse, justement, ça se met en route, tout doucement, à petits pas, mine de rien, et puis ça prend de l'ampleur, de l'espace, de la vitesse. De la force. Tiens, comme Le beau Danube Bleu, au début c'est calmos et riquiqui, comme si les musiciens (comme si les danseurs) prenaient le temps de s'accorder, de se mettre dans le bain, et puis ça prend de l'ampleur, ça accélère et ça tourbillonne majestueusement, à profusion, de plus en plus, comme si ça n'allait jamais s'arrêter.
Et c'est comme ça que Laetitia Carton a construit son film. Plus on avance, plus on danse, et plus ça devient passionnant. Moins il y a de mots et plus il y a de corps, de mouvement, d'énergie. Et de cinéma. Il y a dans ce Grand bal des scènes sublimes, ma préférée (la première) étant peut-être -paradoxalement- celle qui est centrée sur un couple, quasiment immobile au milieu de la piste, enlacé, les mains de la femme tenant le dos de son cavalier, tandis qu'au fond, en flou, ça s'agite joyeusement. autour d'eux, d'abord sur une musique "rapportéé", puis le son descend progressivement jusqu'au silence complet -un moment éblouissant- avant que la réalisatrice ne rende à la scène son son d'origine, et c'est comme si, à partir de ce moment, le film (pour moi) avait véritablement pris son envol. Oui, à partir de ce moment le pari est gagné, j'étais conquis, séduit, enthousiasmé. Une danse où ne sont filmés que les pieds, En surface par Etienne daho et Dominique A, un monsieur qui signe les consignes d'une danse, un gros plan sur deux mains jointes d'un couple en train de tourner follement, un grand cercle collectif avec des pas en avant puis en arrière, qui pourrait ne jamais s'arrêter, tout passionne, attendrit, émerveille, ponctué (accompagné) par la voix-off de la réalisatrice qui vient presque chuchoter à notre oreille des choses douces et tendres...
Ce qui est frappant (et qui s'est ensuite vérifié dans le hall, "en vrai") c'est la joie qu'on peut lire sur tous les visages de ces danseurs, l'incroyable sentiment de communauté, de partage, qui se dégage de ces corps en mouvement. Ca donnerait presque envie de s'y lancer, de les rejoindre (et le film m'a permis d'éclaircir un peu le rapport compliqué que j'ai personnellement avec la danse (celle qu'on pratique, pas celle qu'on regarde) : danser c'est toucher, accepter d'être touché, et c'est sans doute pour ça que je n'y suis pas très à l'aise...)
Un beau moment de liesse cinématographique à regarder, en tout cas.

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18 octobre 2018

l'éclipse, mon cul!

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LE JEU
Fred Cavayé

J'ai voulu y aller pour Grégory Gadebois (ce nounours-là je l'adore), et j'ai donc profité de l'avant-première -inhabituelle- du lundi (d'hab' c'est plutot le lendemain avec un ticket orange, mais demain, justement, c'est la nôtre, d'avant-première). L'idée semblait sympathique : pendant un diner réunissant 3 couples + 1 tout seul, dont les hommes sont des amis d'enfance, un jeu est proposé : tous les participants posent leur portable sur la table et tout ce qui arrive pendant le repas (appel, sms, photo) devra être montré aux autres, et partagé par tous. C'est aussi, accessoirement, le moment d'une éclipse de lune (et on n'arrête pas de nous répéter, à la télé que "pendant une eclipse de lune, tout peut arriver..."). Hin hin bonjour la groooosse ficelle scénaristique. "Attention il va se passer quelque chose d'extraordinaire!" ok, on est prévenu, on attend, on est suspendu, comme les personnages, à la moindre sonnerie de portable, puisque, visiblement, le repas n'est pas passionnant (pour les convives).
Et ça commence à sonner. Et les petites histoires des un-e-s et des autres remontent à la surface les unes après les autres, comme des bulles de méthane à la surface d'un marigot (celle-là, -plop!- elle m'est venue comme ça), les petits secrets, les petites coucheries, les petites cachotteries (on est dans une optique résolument boulevardière) : qui se fait refaire les seins, qui voit une psy, qui a visité un hospice, pardon, une résidence, qui offre des boucles d'oreilles et à qui, qui est enceinte, qui reçoit des photos de cul, qui a enlevé sa culotte au début du repas (ça on le savait déjà, on l'a vu), et, -finalement- qui est pédé, tandis que le repas se délite de plus en plus et que l'ambiance devient de plus en plus délétère. On est insensiblement passé de "comédie" à "dramatique", mais toujours option cul et coucheries.
On avait démarré façon un dîner presque parfait et on se retrouve devant Strip-tease. Ou presque. Toutes et tous, ils sont graves. Sept personnages, trois femmes (Bérénice Béjo, Suzanne Clément, Doria Tillier, chacune très bien dans son registre) et quatre hommes (Stéphane de Groodt, Vincent Elbaz, Grégory Gadebois et Roschdy Zem, pareils, chacun son genre, mais vous savez vers lequel penche mon coeur) et sept téléphones pour un huis-clos façon Jeu de massacre. On s'y prend, au jeu, on accepte les ficelles, on ferme les yeux sur les facilités, on apprécie le montage (chaque scène a été re-tournée sept fois, chacune pour les réactions de chaque personnage). Oui, on joue le jeu (même si la partie semble de plus en plus truquée et prévisible).
Jusqu'à ce qu'un artifice scénaristique absolument innommable (injustifiable) ne vienne changer tout ça.
Pour une fin aussi inacceptable qu'incompréhensible. 
Oui, l'éclipse mon cul.

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17 octobre 2018

assis sur le toit de la voiture

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DOVLATOV
d'Alexei Guerman Jr

Je suis penaud : j'ai terriblement dormi, et ai donc manqué (par petites tranches) au moins les deux-cinquièmes du film (pour ne pas dire la moitié) donc c'est difficile d'être objectif pour le chroniquer. Dovlatov est un "vrai" écrivain soviétique (même s'il est inconnu par chez nous, comme on dit ici) et le film raconte quelques jours de sa vie, en 1971 (au moment, comme il le dit lui-même, en voix-off, "du re-gel, juste après le dégel"). Dovlatov écrit et veut publier, mais le "pouvoir" non seulement ne le lui permet pas, mais fait comme s'il n'existait pas (comme on le lui dit au début "si tu n'as pas ta carte, tu ne seras jamais publié...") et donc Dovlatov fait ce qu'il peut pour vivre.
On suit donc quelques jours de sa vie, filmés en amples plans-séquences (j'étais étonné de découvrir que le film était en couleurs) aux couleurs un peu passées, un peu fanées, comme dans un salon un peu vieillot où la poussière au fil des ans se serait accumulée et donnerait envie d'éternuer. La reconstitution est très soignée, les plans-séquences très chorégraphiés (calligraphiés) et le personnage de Dovlatov est attachant (et encore plus via l'incarnation qu'en donne Artur Beschastny, toute en rondeur bonhomme, en apparence tout du moins) voilà donc a priori réunis tous les ingrédients nécessaires pour faire un bon biopic, destructuré juste ce qu'il faut et hagiographique juste ce qu'il faut aussi...
Mais bon voilà, j'ai dormi et je le regrette.

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16 octobre 2018

rimbaud

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SAUVAGE
de Camille Vidal-Naquet

Il y a des films, comme ça, qui vous vous prennent au dépourvu. Qui vous coupent les pattes, qui vous retournent l'estomac, qui vous fendent le coeur. Et vous donnent l'envie, le besoin, impérieux, d'un petit remontant. Quand je suis sorti de la salle, je marchais à petits pas, tellement j'étais désorienté. Le plan final est en même temps infiniment doux et infiniment terrible. Il y a des films, comme ça, qui vous font sortir les larmes avec effet-retard.
Sauvage (dont je n'ai compris qu'à la toute fin dans quel sens on doit prendre le qualificatif) m'a secoué. En tant que spectateur, d'abord, en tant que mec ensuite, et aussi en tant que gay, et in fine en tant que vieux. Boum et boum et boum et boum, comme quatre déflagrations simultanées (j'aurais pu en ajouter une cinquième, mais je ne suis pas sur du mot, en tant qu'aimant, ou aimeur, ou  amoureux, le fait d'aimer, quoi... la façon d'aimer, plutôt).
Mais revenons au commencement : dans la première scène, le jeune Léo (Félix Maritaud l'interprète et est absolument ahurissant dans le rôle) passe un examen médical, dont la suite nous révèlera qu'il n'était pas exactement ce qu'on croyait voir (il y en aura deux autres dans le film, vers le milieu et vers la fin, avec des médecins différents, qui seront à chaque fois aussi touchants, mais pas pour les mêmes raisons). On comprend que ce jeune homme se prostitue, qu'il pratique son job avec un certain enthousiasme, en extérieur (à l'entrée d'un bois), en compagnie d'autres tapins, dont un qu'on va vite connaiître un plus en détail, Ahd (Eric Bernard, très impressionnant). Léo aime Ahd (le mot ne sera jamais dit) mais la relation entre les deux jeunes hommes est très particulière, instable : Ahd refuse tout signe extérieur d'affection et se sert plus volontiers de ses poings (que ce soit pour rabrouer Léo ou, au contraire, le protéger). Et tous les deux rejouent le fameux ni avec toi ni sans toi, qui m'a déjà apporté tant d'émotions au cinéma.
Le film pourrait passer pour un documentaire, on suit Léo (il est de tous les plans) quand il tapine, quand il attend le client, quand il baise, quand il danse (très impressionnantes -et électro- scènes de clubbing), quand il se défonce (au crack de préférence), quand il dort dehors, (oui, son quotidien est plutôt rude) mais aussi quand il va avec ses copains tapins faire un break pour regarder s'envoler les avions, quand il vole une pomme à l'étal d'un épicier (irascible), ou quand il s'endort dans les bras de Ahd (après que celui-ci l'ait rabroué parce qu'il se branlait contre son cul : "On n'est pas des animaux...") ou même ceux d'un client, un vieux bibliophile solitaire... Car Léo envisage son "métier" d'une façon bien particulière, moins pour l'argent que pour le sexe, ou, mieux, le contact humain (s'endormir dans les bras de quelqu'un) la chaleur. Il y a quelque chose de candide, d'enfantin presque, dans son attitude, dans sa façon d'être seul et de le vivre simplement.
Le film est sans concession, dans la crudité de ses dialogues et dans la frontalité avec laquelle il aborde les scènes "physiques", (où le réalisateur pousse même parfois le bouchon un peu loin, au sens propre, vous comprendrez en voyant le film, une scène qui m'a fait me cacher les yeux comme un film d'horreur). Mais il est honnête (le film) dans sa façon de montrer la vie ce ce mec, de ces mecs. la circulation du désir (et de l'argent aussi).
La vie jusque là cahin-caha de Léo va devenir encore un peu plus difficile lorsque Ahd (qui se définit comme "même pas pédé, et qui compte bien ne pas sucer des bites toute sa vie") se "range" en se maquant avec un vieux. Et envoie bouler Léo, une fois, deux fois... Léo a du mal à combler ce vide, et de plus en plus de mal, même. Même si le terme d'amour  ne sera jamais reconnu, par aucun des deux.
Par imitation, pourrait-on dire, Léo recontre lui-aussi un "vieux", Antoine, qu'il commence par rejeter  ("parce que t'es vieux, parce que t'es moche, parce que je t'emmerde..."), avant que d'être, un peu plus tard, carrément sauvé par lui. Mais les choses ne sont pas si simples, et les projets jamais si sûrs...
Oui, Sauvage est un film d'amour. Et avec un des plus beaux personnages masculins récemment vus au cinéma.
Et une affiche magnifique.

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14 octobre 2018

amende honorable

j'étais tout à l'heure
Et ça m'a fait un drôle d'effet.
J'ai, comment dirais-je..., un peu "culpabilisé"...
J'ai détesté le dernier film de ce monsieur, Climax, et je me suis laissé aller au plaisir de le descendre.
Et là je tombe sur un homme qui ne ressemble pas vraiment à son film (ou plutôt à qui son film ne ressemble pas vraiment), un bonhomme attachant et qui parle de films et de réalisateurs qui le touchent, et qui me touchent aussi (en gros, ça va d'Alain Cavalier à Harmony Korine). Ce mec est cool...
Alors je suis un peu embêté, jeme dis que j'ai peut-être un peu chargé la mule, ou qu'il y a un truc que je n'ai pas compris, ou que je suis passé à côté de quelque chose...
Bref, ça me perturbe un chouïa... Et j'ai envie d'en savoir un peu plus sur lui.
Histoire de me (re)faire une idée...

gaspar noé


Dans la même série, on trouve Jacques Audiard (), plutôt plaisant et Quentin Dupieux () qui lui au contraire, même s'il a une belle grosse barbe, l'est moins (plaisant), hélas (il est très cassant avec pas mal de films que j'aime, mais bon, il avoue quand même "chialer devant Totoro...")...

12 octobre 2018

sous l'eau

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VOYEZ COMME ON DANSE
de Michel Blanc

Il y a 16 ans (déjà, oui, 2002...) Michel Blanc réalisait Embrassez qui vous voudrez, film choral (d'après Joseph Connolly) avec (notamment) Charlotte Rampling, Karin Viard, Carole Bouquet, Jacques Dutronc, Michel Blanc, et voici qu'aujourd'hui il nous présente Voyez comme on danse (qui vient de la même chanson enfantine), film choral, encore d'après Joseph Connolly, avec (encore notamment)  Charlotte Rampling, Karin Viard, Carole Bouquet, Jacques Dutronc, Michel Blanc, qui retrouvent leurs personnages d'antan, seize ans après. Il s'agit des adaptations de Vacances Anglaises et de sa suite N'oublie pas mes petits souliers*. On retrouve donc les mêmes personnages (mais bon, seize ans après, on a un peu tout oublié...) avec, quand même, des petits nouveaux, notamment Jean-Paul Rouve et William Lebghil (qu'on commence à voir de plus en plus, ce qui me ravit car c'est un jeune acteur que j'apprécie depuis déjà un certain temps - Jacky au royaume des filles, Cherchez la femme, Première année-, que je trouve toujours aussi bon -acteur, je veux dire-, et qui sera d'aileurs au générique des prochains Sébastien Betbeder et Benoît Forgeard / mais bon il ne faudrait pas non plus qu'on se mette à le voir trop, le syndrome Vincent Lacoste, par exemple...).
J'avoue n'avoir aucun souvenir du précédent Embrassez qui vous voulez, mais je trouve Michel Blanc sympathique et plaisant une fois extrait de sa gangue du Splendid et des Bronzés (ce qu'il a d'ailleurs très bien su négocier : Monsieur Hire ou Tenue de Soirée en tant qu'acteur, ou Grosse fatigue / Mauvaisse passe en tant qu réalisateur).
La bande-annonce annonçait du beau linge et des dialogues acérés, et le film (vu hier soir en avant-première avec Isachounette et un ticket orange) tient ses promesses : c'est une comédie chorale, familiale, aux dialogues hyper-écrits (et qui font mouche, Blanc est aussi dialoguiste), aux personnages gentiment foldingues (ou plus ou moins agités du bocal), aux situations attendues mais efficaces elles aussi, bref pour moi ça fonctionne, j'ai ri/souri souvent, et c'est le principal. Car c'est bien ce qu'on lui demandait au film, hein : l'action des zygomatiques. Promesse tenue. C'est réglé comme du papier à musique, les situations s'enchaînent sans temps morts, les rebondissements, les révélations, les coups de théâtre, les catastrophes, les contre-révélations... J'ai passé un très bon moment (même si Isa à la fin ne semblait pas tout à fait aussi enthousiaste ; je lui ai soufflé "C'est parce que c'est un film de vieux...").
Oui, quand on décortique un peu, c'est construit -impeccablement- (on peut parler de mécanique) comme du Feydeau ou du Labiche, à la sauce 21ème siècle (les photos sur les portables remplacent les amants dans les placards). Les portes claquent, rien de nouveau sous le soleil de la dramaturgie conjugale cinématographique, mais bon  tous les acteurs ont tellement l'impression d'être contents d'être là, qu'ils donnent à leurs personnages la capacité d'exister à coeur joie.
Et quel bonheur aussi pour le spectateur d'assister à une "comédie française" qui ne soit ni basse de plafond, ni xénophobe, ni misogyne, ni racoleuse, ni cruchasse, ni débilisante, ni... (je pourrais continuer encore un moment comme ça, et j'ai quelques titres de films en tête que je prendrai bien soin de ne pas citer tant je refuse de leur faire la moindre publicité...). Bref un film de divertissement (qui, c'est sûr, ne révolutionnera  pas la grammaire filmique, mais restons simples) et dont on peut sortir la tête haute.
Mission remplie, zygomatiques dérouillés. et cerveau pas en berne, que demander d'autre? Etre indulgent, peut-être (vu la tonalité des critiques que je viens de lire. A Libé, par exemple, ils devraient se calmer, et, je ne sais pas moi..., tiens, prendre un bon bain de siège à l'eau glacée...)
Bon, ceci dit, il y a un tout petit truc qui me gêne, c'est le personnage du fils de Karin Viard, inexplicablement lisse et parfait, à propos duquel j'ai attendu, jusqu'à la toute fin, un révélation un peu croustillante, ou, du moins, une réponse aux questions qui restent en suspens...

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* Plates excuses : je viens de lire qu'en réalité les personnages de ce film-ci sont juste des personnages de Joseph Connolly, mais que les pérpéties scénaristiques ne sont que du Michel Blanc, et ne sont, donc, l'adaptation d'aucun bouquin que ce soit

 

 

11 octobre 2018

faux-semblants

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SOFIA
de Meryem Benm'Barek

Une semaine cinématographique forte et âpre. Après le lyrique et speedé (et marseillais) Shéhérazade, voici Sofia, sa soeur marocaine. Film qu'on pourrait classifier "de femme(s)" tant est prépondérante la place d'icelles au casting. Les mâles ici n'ont pas vraiment le beau rôle, et ils le méritent bien...
Le film débute à la fin d'un repas de famille, où des alliances financières sont en train de se conclure autour d'un projet agricole commun. Sofia, la plus jeune, plutôt effacée, se plaint soudain de violentes douleurs au ventre, et sa soeur qui l'ausculte (hors de la vue des autres) lui annonce qu'elle est enceinte, et d'ailleurs la voilà qui perd les eaux. Sa soeur l'emmène à l'hôpital, où on refuse de s'en occuper, un bébé hors-mariage et sans père étant considéré comme illégal. Elle aura quand même une chambre pour accoucher en douce, grâce à la complicité d'un camarade médecin, mais doit la quitter l tout de suite, "avant le passage du chef de service". Voilà Sofia avec un bébé, et dans l'obligation de "régulariser" la situation. Qui est le père ? Il doît reconnaître le bébé et épouser la jeune fille. Elle désigne un jeune homme, Omar, qu'elle n'a vu qu'une fois, qui vit dans un quartier pauvre de la ville. Les parents de Sofia sont anéantis, et vont rencontrer la famille du jeune homme, qui lui nie les faits dans un premier temps, puis finit par les reconnaître. Après un bref passage en cellule, puis un consécutif graissage de patte du commissaire chargé de l'"affaire", voilà que soudain "tout est arrangé"...
Sauf que. Ce n'est que le début de l'histoire.
La réalisatrice, dans un récit beaucoup plus complexe qu'il n'apparaît au départ, dénonce l'hypocrisie de la société marocaine, le poids -écrasant- des traditions, le pouvoir de l'argent, la différence des classes, et l'importance de l'apparence. Surtout, toujours, sauver les apparences. Pour parvenir à ses fins. Chacun(e) des personnages féminins  y a eu affaire. Et chacune a réagi à sa façon propre. Elles sont toutes magnifiques. Sofia, d'abord, butée, fermée, qu'on ne verra souriante (et transfigurée) qu'à la dernière minute du film (et tant de choses alors se seront passées). Et sa soeur, et sa mère, et sa tante, et la mère de son mari. Toutes, elles font ce qu'elles peuvent, à leur façon, à leur niveau. Le film ainsi oscille entre l'intime (les scènes entre femmes) et le sociétal. Avec beaucoup de finesse et d'intelligence. Se marier, pourquoi ? Dire la vérité, pourquoi ? Où le verbe "aimer" se conjugue de bien étrange(s) manière(s), et ce depuis tellement longtemps...

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10 octobre 2018

le diable, probablement ?

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L'HEROÏQUE LANDE, LA FRONTIERE BRÛLE
de Nicolas Klotz et Elizabeth Perceval

Il y a des événements, comme ça, que j'aurais du mal à laisser passer : un documentaire sur la Jungle de Calais (et ses habitants) d'une durée de 3h45, c'était tentant, et c'était l'occasion ou jamais... De Nicolas Klotz j'avais déjà vu La question humaine (avec Mathieu Amalric), aussi impresionnant que glaçant, mais qui était une fiction, et je ne connaissais que de nom ses documentaires.
La Jungle de Calais a été un sujet suffisamment fort pour intéresser d'autres cinéastes (notamment Sylvain Georges pour Qu'il reposent en révolte -que j'étais d'ailleurs quasiment sûr qu'on avait fait venir dans le bôô cinéma mais dont je ne retrouve aucune trace dans mes archives hélas-) et donc j'ai décidé d'y aller en ce beau samedi ensoleillé, facteur qui hélas avait du influer sur la baisse du nombre de spectateurs potentiels (nous étions peu, trop peu en tout cas).
Nicolas Klotz et elizabeth Perceval ont filmé la Jungle et ses habitants pendant plus d'une année, au fil des saisons, et c'est donc d'une énorme masse d'images et de témoignages dont ils disposaient, et le film s'est d'abord construit là-dessus, à partir de ce matériau. Mais à l'image de son sujet, il s'est  construit, reconstruit, a proliféré, comme vivant sa vie propre de film libre, et a adopté donc une forme changeante au fils des jours et des mois (et des minutes et des heures, dans la matière du film). A partir des lieux (les "baraques", le plastique qui claque, les tôles, les bâtiments de fortune) et des gens qui y vivent, qui espèrent, qui attendent, qui tentent et re-tentent leur passage vers cet eldorado idyllique : "UK"... deux lettres auxquelles ils se raccrochent comme une alternative encore plus forte que les trois (lettres) de God, dont il est souvent question. Gens qu'on voit vivre, et qui témoignent, face caméra, et auxquels on ne peut que s'attacher. Fim-phare, film-gyrophare, film-témoin, film-balise, L'héroïque lande (un titre que j'ai eu énormément de mal à retenir) est tout ça, mais, en restant pourtant toujours objectif, bien plus que ça aussi. Une matière filmique somptueuse, multiple, qui fascine et fait rêver. Certains critiques ont fait aux réalisateurs un (mauvais) procès sur l'esthétisme du film. Ils ont tort, bien sûr. Ce n'est pas parce qu'il filme la boue que le film doit être boueux. Bien sûr, il y a le réel filmique, mais aussi -et surtout-  sa "part des anges" (ce qui s'évapore, ce qui s'en échappe, ce qui le sublime, au sens propre). Ce qui est filmé, ce qui est montré (ce qui est monté), et l'interstice entre les deux. La longue scène finale, presque abstraite (sur la plage un homme danse seul tandis qu'au loin un bateau passe (et part, de droite à gauche, c'est le code) est posée comme une longue respiration (comme, après avoir crapahuté, on reprendrait soudain son souffle), un temps suspendu sublime, un ailleurs rêvé, une lumineuse illusion.

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