LES PROMESSES DE L'OMBRE
de David Cronenberg
Trrrès trrès éprrrouvante experrriment (hmmm difficile beaucoup je écrrrire française langue comme dans française verrrsion du filmovitch de Crrronenbergskaïa) oui oui (smiley avec les joues roses de honte mais c'est pas de sa faute parce qu'il n'y a pas dans la région de copie en vo) je l'ai vu hier soir en version française et je le dis bien haut, cette version française est calamiteuse. C'est bien ce qui m'avait semblé en voyant la bande-annonce (effroyable aussi avec tous ces "russes" qui parlent "français" en roulant des r et en plaçant mal exprès l'accent tonique) mais je me suis fait violence (quelle histoire!) y amenant même une copine!) et me suis décidé.
J'ai pensé, dès le départ (couic! un meurtre au rasoir avec la gorge ouverte et le sang qui pisse et qui fait bllllglllgllllll à gros bouillons) que j'avais peut-être fait une erreur (oui oui en plus j'avoue j'ai horreur des histoires de mafia, qu'elle soit italienne russe américaine ou même tonkinoise...) et la première demi-heure semblait bien hélas me donner raison : Naomi Watts est blonde et naïve (comme dans Mulholland Drive), Vincent Cassel est énervé et insupportable (comme d'habitude), Armin Mueller-Stahl est un immonde salopard à l'air bon dieu sans confession (comme dans Music Box), Viggo Mortensen est impénétrable et impressionnant (comme dans History of Violence), rajoutez la mafia, la violence omniprésente et, dirons-nous, complaisante, et, indéniablement, on se dit que, oui, ça démarre mal. J'ai d'ailleurs dit à ce moment à ma copine "je déteste ce film", et, à sa proposition de quitter la salle, j'ai tout de même résolu de laisser au film encore une petite chance...)
Mais cette histoire de mafieux russes in London, de jeune prostituée ukrainienne droguée violée enceinte et assassinée, soignée (en vain) par une infirmière blonde et pure, qui ô hasard tombe sur le journal intime de la pauvrette (journal qui va nous être lu par bribes, en fil rouge et en voix off tout au long du film, mais encore une fois hélas avec ce grotesque accent ukrrrainien, ce qui nuira encore une fois à l'émotion de l'entreprise), et qui, mettant le nez dedans va passer de l'autre côté, dans le monde glauque du crrrime organisé tovaritch avec beaucoup vodka beaucoup tatouages virils et langage idem (une femme ici ne peut être qu'une salope ou une pute, sauf babouchka, et encore rien n'est moins sûr) tueurs impassibles gorges tranchées guerre des gangs, et trrrès méchant parrain cruel qui veut rrécupérrer jourrnal pauvrre Tatiana, avec fiston un peu taré sur borrrds (de la Tamise ou de la Volga?), sans oublier bortsch balalaïka et kazatchok, mais qui (l'infirmière du début de la phrase, vous suivez ?) va trouver peut-être amourrr en croisant les yeux du tueur impassible quand il enlève ses lunettes noires et vient lui rapporter sa moto qu'il vient de réparer, cette histoire donc, pourrait sembler banale et déjà vue (et convenue ? oui, et convenue) pour qui fréquenta jusque là assidûment la filmographie de David C., (remember Crash, La mouche, Vidéodrome, Faux-semblants...) et serait donc en droit de penser que le susdit a déjà été, dans ses oeuvres, plus original plus audacieux et plus dérangeant (la violence à l'écran n'étant pas pour moi un signe d'originalité ni d'audace).
On en donc là de ses ronchonneries cinéphiles lorsqu'on réalise que tiens on maugrée un peu moins, tiens on regarde soudain avec un peu plus d'attention, et que petit à petit on s'intéresse à tout ça. Non seulement les faits et les situations, mais aussi comment dire... les articulations souterraines de cette histoire, les muscles et les nerfs mis en oeuvre sous l'épiderme de cette histoire, et, plutôt qu'à ce qui est raconté, on s'intéresse à la façon dont c'est raconté.
Et c'est vrai que Viggo Mortensen y est (de plus en plus) pour quelque chose, dans cet intéressement progressif. La pub, les journaux spécialisés, les interviews promo nous l'ont vendu comme "un corps mutant" (il fallait bien justifier sa présence, raccrocher son apparence à la problématique des films antérieurs de Cronenberg, qui n'a jamais caché sa fascination pour ces altered states, ces états intermédiaires (homme / machine, normalité / folie, humanité / monstruosité), bref on n'allait pas juste vous dire "Il joue un gros bourrin musclé tatoué de partout").
Je dois reconnaître que j'ai une aversion quasi viscérale pour les tatouages, surtout en aussi grand nombre (il y a longtemps, dans Indian Runner, de Sean Pen, Mortensen jouait déjà un frangin poly-tatoué dont les apparitions me gâchaient un peu le film, oui oui je suis une petite chose fragile) et que le film joue là-dessus, avec un genre de fascination morbide (regardez ce qu'est un homme, un vrai de vrai corps d'homme, un tatoué, et russe bien sûr!) puisqu'il y consacre avec gourmandise tout son générique de fin. Mais cet homme, aussi illustré en surface qu'opaque à l'intérieur est, c'est certain, l'axe central de toute cette machinerie somme toute un peu énervante et vaine. Le pivot, le coeur du mécanisme.
Il sait extrêmement bien rester en-dedans de lui même, rien qui dépasse, aussi expressif qu'un bloc de glace juste sorti du frrrezerrr (plus froid encore qu'ukraine et kamtchatka rrréunis boljemoï ça me reprendrrre) mais, en même temps il a une façon très personnelle d'émettre des signaux infra-émotionnels (dur à expliquer : il fait passer des choses mais parfois sans manifester aucune émotion apparente...) et quand il passe à l'action, alors-là, mamma mia!
Il y a dans Les promesses de l'ombre (quel titre idiot, d'ailleurs!) une scène après laquelle le film entier bascule, vous avez dû en entendre parler, c'est celle dite "du hammam". Doublement sidérante, à la fois par l'extrême violence des combats qui y sont montrés, et aussi par le fait que Nikolaï (Viggo Mortensen) la joue comme on est dans un bain turc, c'est à dire complètement à poil. Je l'ai regardé assez attentivement (évidemment, dès qu'il y a un homme nu quelque part...), mais ma copine qui s'était caché les yeux m'a confirmé que "juste avec le son, c'était aussi horrible".
La deuxième scène forte c'est la scène finale, au bord de l'eau : quatre protagonistes mais avec une quantité de filiations et de liens familiaux possibles : amant et maîtresse, amant et amant, mère et fille, frère et frère, etc. (le sous-texte gay clignotant ici joyeusement) mais finalement rien ne se termine tout à fait comme on aurait pu croire...
Au final, donc, un sentiment mitigé (je suis par curiosité allé voir les étoiles critiques décernées sur allociné point freu et ouh lala tout le monde ou presque y va de son quatre étoiles carrément. Je me retrouverais donc plutôt dans la mouvance l'Huma ou Ouest-France -mais j'assume tout à fait-) de quelque chose qui a très mal commencé et se finirait plutôt très bien (cinématographiquement, je veux dire), sans qu'on puisse exactement expliquer ce qui s'est passé...