petrov, petrova, & petrov junior
LES PETROV, LA GRIPPE, ETC
d'Alexei Salnikov
C'est un grand plaisir de cinéma (La fièvre de Petrov) qui m'a donné envie de lire le bouquin dont il était l'adaptation, que je viens de terminer et qui s'avère un grand plaisir de lecture (aussi grand que, par exemple celui généré par le Connemara de Nicolas Mathieu). Un roman multiple et foisonnant, frissonnant aussi puisque chacun des personnages a eu, a, ou aura la grippe (et la température qui va avec). Petrov (le mécano dessinateur de bd), Petrova sa femme (bibliothécaire,et, accessoirement, un peu serial killeuse), et Petrov Junior, leur fils (qui se contente, pour l'instant, d'être un enfant, avec tout ce que ça suppose d'interrogations, de jeux, de bouderies, de rigolades, d'impatiences, d'inventions, d'incompréhensions, de jeux vidéo et de yaourts pas à la cerise... Papa et maman sont séparés mais s'aiment toujours (c'est Petrova qui donnera le pourquoi de cette situation), et Petrov junior va de l'un chez l'autre, dans deux appartements où tout a été dupliqué pour qu'il n'en soit pas trop perturbé, le cher enfant...
Le film débute exactement comme le bouquin -on pourrait dire qu'il le suit fidèlement (Petrov dans le tram, Petrov dans le corbillard, etc.) -, reprend même carrément des lignes de dialogues, et on y retrouvera ensuite l'essentiel de ce qui est raconté dans le bouquin (y compris l'histoire de La fille des neiges, tournée en noir et blanc dans le film, et qui aura le privilège d'être l'ultime chapitre du bouquin). Le roman compte huit autres chapitres, tous consacrés à la famille Petrov... Et c'est une écriture dense, joyeuse, débridée, assez constamment drôle, parfois brutale, qui m'a fait marquer des pages (je déchirais à chaque fois un bout de mon marque-pages, qui rapetissait donc au fur et à mesure de la lecture), juste pour avoir la plaisir d'en recopier ici quelques passages :
""Toi aussi, quand tu seras grand, tu pourras écrire un livre", lui avait dit son père après avoir remarqué à plusieurs reprises l'incrédulité de son fils. Mais ces mots contenaient d'emblée deux affirmations on ne peut plus douteuses pour Petrov : premièrement, le fait que Petrov pourrait écrire un livre (à quel sujet ? comment ?) ; deuxièmement, le fait que Petrov grandirait. Certes, il n'était pas opposé à l'idée de devenir aussi énorme que les gens autour de lui, mais la phrase Dans vingt ans tu seras à peu près comme moi ne signifiait rien pour lui, ou signifiait plutôt Ce sera dans si longtemps que ce sera pour toi une éternité, autrement dit Tu ne deviendras jamais grand." (p83)
"Avant que Petrov junior n'ait eu le temps de se chausser, le doux copain blême sonna à la porte ; à en juger d'après la douceur du coup de sonnette, il avait dû faire un petit bond pour atteindre le bouton. Petrova lui proposa poliment du thé et des biscuits, mais il se contenta pour toute réponse de rougir en faisant non de la tête. Il était coiffé d'une formidable chapka à rabats en tissu imperméable bleu foncé, avec de la fausse fourrure blanche sur le front et à l'intérieur des rabats ; Petrova lui demanda où ses parents avaient acheté une chapka si extraordinaire (Petrov junior n'avait qu'un vulgaire bonnet en laine rouge), mais le petit copain blême ne savait pas - grâce à lui Petrova avait appris à poser des questions fermées auxquelles on pouvait ne répondre que par des hochements de tête silencieux, de gauche à droite ou de haut en bas." (p146/147)
"Petrov voulut contourner un trolleybus qui attendait à l'arrêt Académie-d'architecture, mais quelque chose lui dit de rouler lentement en le doublant, et son pressentiment ne le trompa pas -un étudiant rouquin et long comme une asperge, qui se hâtait de rejoindre son école supérieure tant désirée en faisant des bonds de cerf sur la chaussée, manqua passer sous les roues de la voiture." (p253)
"Sa mère avait de drôles de représentations du travail viril : selon elle, un homme devait soit conduire un tracteur, soit battre le fer avec un maillet, soit faire de la manutention lourde soit être un chef qui gueule sur ses subalternes, mais si un homme passait sa vie à farfouiller dans la paperasserie, elle trouvait ça louche, elle considérait ce genre d'hommes comme des invalides parce qu'à ses yeux le refus de conduire un tracteur, de battre le fer ou de gueuler ne s'expliquait que par une invalidité pure et simple ; dans la conception de la mère de Marina, un homme devait rentrer du boulot dégueulasse de la tête aux pieds, sinon il ne s'agissait pas de travail, mais d'un passe-temps inutile et vain". (p302)
Et il y a même un chapitre entier (le 6, Petrov n'est pas un cadeau non plus) que j'aurais pu recopier quasiment in extenso tant j'y ai pris de plaisir (mais bon, 40 pages, c'est long à taper, surtout avec un seul doigt -ou deux-)