comme un bruit
ASPHALTE
de Samuel Benchetrit
J'avais adoré son J'ai toujours rêvé d'être un gangster au cinéma, j'ai commencé à lire ses Chroniques de l'asphalte (5 volumes), et voilà que me tombent sous les yeux l'affiche, puis la bande-annonce, puis l'avis enthousiaste d'Hervé...
Whaouuuh! Huppert, Kervern, Bruni-Tedeschi, Michael Pitt, du beau linge, dans cette cité crasseuse. Mais on n'est ni dans Dheepan, ni dans La haine, ni même dans Fatima. (pas de guerre de gangs de dealers à la kalachnikov, pas de charge anti-flics, pas de chronique sociale et humaine, non, ici c'est autre chose.). Pourtant on est bien là, banlieue, faubourgs, logements sociaux, friches industrielles... Samuel Benchetrit reprend le ton de ses Chroniques de l'asphalte, et le regard aussi. J'ai juste reconnu le début de la première nouvelle des Chroniques de l'asphalte (une histoire d'ascenseur, de réparation, et de prix à payer) mais ça part vite ailleurs. (Il en reprend aussi la toute dernière). Trois histoires parallèles de "rencontres de voisinage", trois histoires plus ou moins improbables : un sociopathe et une infirmière, un adolescent et une vieille actrice, et une maman arabe avec un cosmonaute américain tout juste tombé du ciel.
On retrouve l'humour (souvent acide) qui assaisonnait déjà J'ai toujours rêvé... et la tendresse d'un regard bienveillant sur des personnages qu'on peut qualifier de seuls (ou de solitaires). De leurs tentatives de rapprochement. De prise de contact. Des difficultés de communication, de compréhension, qu'ils rencontrent.
Comme dans les films susnommés, la représentation de la cité fait l'objet d'une stylisation, mais pas pour en faire une zone de non-droit ou un terrain d'affrontement (ou de revendications sociales). Un terrain de jeu ? On est juste "autre part", dans un non-lieu, plutôt moche, presque abstraitement, un microcosme observé de très près, quelques mètres carrés à la fois, sans jamais vraiment s'apesantir, à mi-chemin entre le poétique et l'absurde (un toit, une entrée d'immeuble, un escalier, un couloir).
Benchetrit, avec ses trois histoires, sait très bien aller de l'extérieur (l'histoire de Kervern et Bruni-Tedeschi) vers l'intérieur le plus intime (Madame Hamida et Michel Pitt). La troisième histoire (Huppert et Jules Benchetrit) fait fonction d'entre-deux : l'appart' de l'un, l'appart' de l'autre, et le couloir entre les deux.
C'est très plaisant cette approche minimaliste, sans effets ou presque, à bas bruit. Les trois histoires coexistent mais restent indépendantes, alternées en rondelles de couleur dans un tian estival qui donnent un équilibre visuel à l'ensemble (c'est peut-être le petit reproche qu'on pourrait faire, mais bon... ça n'est pas gênant dans la continuité narrative, au contraire, c'est bien plus intéressant, question de goût, que s'il avait fait 3 chapitres successifs et disjoints). Les silences affleurent, comme des appels d'air où passeraient les anges. (Oui, il y a de l'angélique, du candide, de l'attendrissant par ci, par là, la, dans la bouille blonde de Michael Pitt, dans la posture de Valérie Bruni-Tedeschi, dans la façon de boire du lait de Jules Benchetrit, dans le verre de vodka de Huppert, dans le vieux polaroïd et les non moins vieux flashcubes de Gustave K., mais surtout, surtout, chez Madame Hamida, dont l'humanité et la tendresse pourraient servir de contrepoids à toute la méchanceté du monde. Ca pourrait bien être une cousine pas si éloignée de la fatima de Philippe Faucon.
Et, puisqu'on est dans les parentés et les cousinages, cette histoire de bruit récurrent entendu par tous les personnages, qui est le seul point commun à ces trois histoires, pourrait bien figurer dans Nous les vivants, de Roy Anderson, autre observateur "décalé". Oui, que voilà donc un fort aimable film.